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États-Unis: l’armée de terre va devoir se serrer la ceinture

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JOL Press : Le Pentagone veut réduire les effectifs de l’armée de terre américaine à 440 000 ou 450 000 soldats d’ici 2017, contre 520 000 actuellement. Un plancher inédit depuis 1940. Le secrétaire d’État à la Défense, Chuck Hagel, a invoqué des contraintes budgétaire. Est-ce la seule raison?

Étienne de Durand : Cette annonce s’inscrit dans un contexte particulier, après une décennie d’engagements militaires, en particulier en Afghanistan et en Irak, et plus généralement à travers le monde contre Al-Qaïda. Pendant toute cette période, les budgets de la Défense ont été augmentés. Ils sont aujourd’hui réduits à cause des difficultés financières qui touchent le pays. Par ailleurs, les États-Unis sont en train de se désengager du Moyen-Orient. L’opinion publique et la classe politique américaines sont fatiguées des opérations extérieures. Le consensus qui pouvait exister il y a une vingtaine d’années en leur faveur est à présent inexistant.

Une autre raison explique ces coupes drastiques. Aujourd’hui, les militaires américains sont bien payés. Et il a fallu accorder des primes pour faire accepter des déploiements très longs. Cela s’est traduit par des frais de personnels importants qui ont dévoré une grande partie du budget de la Défense. Or, ces dépenses se sont faites au détriment du budget d’équipement. Mécaniquement, si les États-Unis conservent leurs effectifs actuels, la part dévolue à l’équipement diminuera. C’est donc la modernisation de l’armée américaine qui est en jeu. Ainsi que la bonne santé de l’industrie de la défense américaine.

JOL Press : Cela veut-il dire que les États-Unis ne veulent plus jouer leur rôle de gendarmes du monde?

Étienne de Durand : Les États-Unis veulent jouer ce rôle de façon beaucoup plus sélective, à condition que leurs intérêts stratégiques soient en jeu. Ils n’agiront plus de façon automatique, par défaut, ou au bénéfice d’alliés qui n’assumeraient pas leurs responsabilités. L’armée de terre est la première visée par ces réductions de budget car elle concentre le plus d’effectifs. A l’heure où les États-Unis veulent se désengager, et ne plus intervenir au sol pour éviter des pertes importantes, cette décision apparaît logique puisque les forces terrestres sont en première ligne.

JOL Press : Ces coupes budgétaires vont-elles remettre en cause l’efficacité de l’armée américaine?

Étienne de Durand : L’U.S. Army restera une armée de référence. Il n’y a aucune raison d’en douter. En revanche, à cause de cette diminution des effectifs, elle ne sera plus capable de conduire plusieurs engagements majeurs simultanés. Pendant la Guerre froide, l’armée américaine était en mesure de mener quatre conflits d’envergure en même temps. Aujourd’hui, elle se structure pour pouvoir mener un seul conflit régional majeur et, éventuellement, une autre petite opération.

Les États-Unis vont donc devoir faire des choix. Cela s’inscrit dans leur politique de «pivot» vers l’Asie. Par ricochet, des régions comme l’Europe et le Moyen-Orient ne seront plus des zones stratégiques pour les Américains. Ils s’attendent dorénavant à ce que leurs alliés assument leurs responsabilités et leur part du fardeau sur la scène mondiale. Sauf si leurs intérêts sont directement menacés, les États-Unis n’accepteront plus, ou rarement, d’être à la tête d’une opération.

On a pu l’observer au moment de l’intervention militaire en Libye en 2011 : les Américains ont fait une grosse partie du travail initial en affaiblissant les défenses anti-aériennes de Kadhafi, puis ils ont laissé les nations européennes conduire la guerre. Ce modèle, c’est l’avenir.

JOL Press : L’armée de terre américaine avait dans un premier temps été ramenée de 520 000 à 490 000 hommes. De nouvelles réductions d’effectifs sont-elles envisageables? Avec quelles conséquences?

Étienne de Durand : Jusqu’où peut-on aller dans la réduction des effectifs? C’est en effet la question qui se posera dans les années à venir. Je ne suis malheureusement pas sûr qu’on en restera là. Il se peut qu’on aille vers un seuil encore plus bas, à partir duquel l’armée américaine aurait du mal à se reconstituer en cas de dégradation brutale de ses forces.

Par ailleurs, les forces terrestres présentent un avantage politique important : lorsque vous envoyez des troupes au sol quelque part, vous engagez votre pays d’une manière beaucoup plus forte que si vous envoyer simplement des avions. Si cette décrue des forces armées américaines est poussée trop loin, elle pourrait être interprétée par un certain nombre d’alliés comme un signe de désengagement avec un grand «D». Cela pourrait alors devenir un facteur s’instabilité internationale.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Étienne de Durand est le directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales depuis 2006. Il est spécialiste des questions de défense française et américaine.

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