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Fraude fiscale: pourquoi les régularisations se multiplient

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Les régularisations de plus de 2000 dossiers ont déjà rapporté 230 millions d’euros à l’État (Crédits : shutterstock.com)

Le ministre délégué au Budget, Bernard Cazeneuve, a annoncé le 19 février à l’Assemblée nationale que près de 16 000 contribuables qui avaient des comptes bancaires à l’étranger s’étaient déclarés depuis fin juin à l’administration fiscale, dont 80 % étaient titulaires de comptes en Suisse. Ces dossiers représentent, a-t-il précisé, « 2,4 milliards d’euros d’avoirs, soit près de 910 000 euros par dossiers ».

JOL Press : Depuis fin juin, 15 813 dossiers d’exilés fiscaux ont été déposés auprès de l’administration fiscale, selon le ministre du Budget, Bernard Cazeneuve. Cela vous semble-t-il crédible ?

Jean-Philippe Delsol : Ces chiffres sont crédibles sauf que ce ne sont très certainement pas 16 000 dossiers qui ont été déposés à l’administration fiscale mais 16 000 déclarations de régularisation qui ont été enregistrées à l’administration fiscale, ce qui n’est pas la même chose.

Quand ils ont décidé de régulariser leur situation, les contribuables, pour sécuriser leur dossier, envoient à l’administration fiscale, en général par l’intermédiaire de leur avocat, un courrier pour l’avertir de la possession d’un compte à l’étranger non déclaré et de la volonté de le régulariser.

Ce sont 16 000 déclarations de ce type que l’administration a reçues. Sur ces 16 000 déclarations, environ 2000 dossiers ont d’ores et déjà été déposés. Entre la date à laquelle on déclare qu’on va régulariser sa situation et la date à laquelle on envoie le dossier de régularisation, il peut se passer des mois car il faut du temps pour récupérer des informations et faire toutes les déclarations.

En réalité, il y aura 16 000 dossiers qui seront régularisés mais ce n’est pas encore le cas. Preuve en est le montant encore modeste de 230 millions d’euros que l’Etat déclare avoir déjà perçu par rapport aux deux, trois milliards qu’il espère obtenir au titre de ces régularisations, lorsque l’ensemble de ces dossiers sera traité.

JOL Press : Qui sont ces repentis fiscaux ?

Jean-Philippe Delsol : Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’exilés fiscaux mais de Français, résident en France, qui ne souhaitent pas quitter la France. Mais il arrive aussi que des Français aient des comptes très importants à l’étranger et préfèrent ne pas les déclarer et partir parce que cette régularisation coûte cher et certains se disent que plutôt que de payer des millions, autant s’installer à l’étranger. Ce n’est pas la même chose.

JOL Press : Qu’est ce qui pousse un Français à régulariser sa situation ?

Jean-Philippe Delsol : Un contribuable décide de régulariser sa situation à cause de la pression extrêmement forte que la loi et les pratiques de l’administration fiscale lui font subir. Dans une circulaire datée du 21 juin 2013, Bernard Cazeneuve encourageait les Français ayant des comptes à l’étranger non déclarés à régulariser leur situation. Et d’insister sur l’importance d’une démarche spontanée avant qu’une procédure soit engagée à leur encontre.

En déclarant ces comptes, ils ne bénéficieront pas de mesures de faveur au niveau des impôts – les impôts seront réglés normalement sur période non prescrite – mais ils bénéficieront d’atténuation sur les sanctions – les pénalités et les amendes en particulier – et échapperont aux poursuites pénales.

Parallèlement à cette circulaire, une loi de répression de la fraude extrêmement sévère a été votée le 3 novembre 2013 et publiée le 6 décembre 2013. Cette loi considère que les Français qui ont des comptes non déclarés à l’étranger doivent être traités comme de grands criminels.

Je n’exagère qu’à peine puisque les peines qu’ils encourent peuvent aller jusqu’à deux millions d’amende, plus tous les coûts de régularisation et sept années de prison. Ils sont dans les 1% des peines les plus graves. Cette loi extrêmement répressive fait peur aux gens, à juste titre d’ailleurs. Et on peut s’interroger sur la moralité d’une telle loi.

JOL Press : Que reprochez-vous à cette loi de répression de la fraude ?

Jean-Philippe Delsol : Pourquoi est-ce que Laurent Fabius ou Anne Sinclair ont le droit de détenir dans leur salon des tableaux de maîtres non déclarés ? Quelle différence avec la possession de comptes en Suisse non déclarés ? Moralement, la question se pose. Ceci dit, la loi est la loi et j’exhorte mes clients à la respecter mais ce problème moral n’a été suffisamment posé en France.

JOL Press : Pensez-vous que le gouvernement a malgré tout raison d’être sévère sur cette question ?

Jean-Philippe Delsol : Je pense que le gouvernement a tord d’être si sévère car la plus grande partie des Français qui possèdent un compte non déclaré à l’étranger ne sont pas des fraudeurs actifs qui ont cherché à échapper au fisc.

Dans la plupart des cas, ce sont des gens qui ont hérité de comptes à l’étranger, souvent depuis de très nombreuses générations, par sécurité, pour avoir quelque chose ailleurs pour le cas où. Ils en ont hérité et certains n’y ont jamais touché. C’est un problème qui est plus compliqué qu’on ne le laisse croire.

JOL Press : Quelle serait, selon vous la politique la plus efficace pour encourager les possesseurs de comptes à l’étranger de régulariser leur situation ?

Jean-Philippe Delsol : En France, il peut arrive que plus de moitié du compte soit saisi par l’Etat et c’est inacceptable, d’autres pays luttent contre l’exil fiscal de manière beaucoup plus raisonnable. L’Italie régularise avec des coûts autour de 3 à 5%, l’Espagne, la Belgique, l’Allemagne font de même.

En France, on n’est pas raisonnable sur les coûts mais aussi sur le process. On impose aux personnes qui veulent régulariser leur situation des procédures extrêmement lourdes et c’est un avocat fiscaliste qui vous parle, nos prestations leur coûtent très cher. Il eut été plus astucieux de fixer un taux unique, quelque soit les situations, et on aurait eu un effet beaucoup plus considérable.

On pense que 16 000 comptes régularisés c’est important mais rien n’est moins sûr. La place financière suisse estime, a minima, à 80 000 le nombre de comptes non déclarés détenus dans les banques suisses par des Français. Ce serait donc moins de 20% de ces comptes qui se seraient régularisés.

Ce n’est pas énorme. Je crois vraiment que la France est trop pénalisante et l’état d’esprit n’est pas le bon car les agents de l’administration fiscale sont très sourcilleux et très peu avenants à l’égard de ces contribuables repentis.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Philippe Delsol est avocat fiscaliste. Il a créé un cabinet qui compte à ce jour environ 80 avocats et qui a assuré le conseil et le suivi de nombreux Français souhaitant transférer leur domicile à l’étranger. Il a écrit de nombreux ouvrages dont Au risque de la Liberté (F-X de Guibert, 2008),  À quoi servent les riches ? (JC Lattès, 2012) et Pourquoi je vais quitter la France (Tatamis éditions – novembre 2013).

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