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«Frontisme municipal»: comment géreraient les élus de Marine Le Pen?

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Gestion désastreuse des finances publiques, mesures discriminatoires, multiplication des condamnations judiciaires… Le bilan des maires FN n’est pas un atout pour Marine Le Pen en cette veille d’élections municipales. Les candidats investis par le parti sauront-ils faire mieux que leurs prédécesseurs ?  La question reste entière…

JOL Press : Pour discréditer le Front national, nombreux sont ceux qui rappellent au parti de Marine le Pen les mauvaises expériences des maires FN. Les temps ont-ils changé aujourd’hui ?

Erwan Lecœur : Les élections municipales des 11 et 18 juin 1995 ont, en effet, donné au Front national ses premiers maires dans plusieurs grandes villes de Provence-Alpes-Côte d’Azur : à Marignane, avec Daniel Simonpieri, à Orange, avec Jacques Bompard, et à Toulon, avec Jean-Marie Le Chevalier. Et en février 1997, Catherine Mégret est élue à la municipalité de Vitrolles. C’était l’époque où le FN a été le plus haut, une ère que j’appelle « lepeno-megretiste ».

A Jean-Marie Le Pen revenait le porte-parolat et le symbolique. C’était le FN ancienne figure, le FN qui n’était pas favorable à l’accession au pouvoir du parti. Cette ligne du parti pensait qu’en accédant à la tête d’une municipalité ou d’une région, le FN ne serait plus un parti anti-système. Bruno Mégret, en revanche, et avec lui Daniel Simonpieri ou Jacques Bompard qui venaient de la droite, voulaient des villes et considéraient qu’ils étaient capables de les gérer. Ils pensaient qu’il fallait démontrer que le Front national pouvait arriver au pouvoir. C’était deux visions très différentes de la politique qui s’opposaient en interne et qui a mené à la scission de 1998, 1999.

Aujourd’hui, le parti connaît encore ces oppositions internes, sauf qu’il y a de moins en moins de lepénistes. Marine Le Pen est malgré prise entre ces deux stratégies différentes : elle comprend ce que dit son père et elle est relativement d’accord avec lui parce qu’elle sait qu’il existe au sein du FN beaucoup de militants qui pourraient discréditer le parti s’ils étaient élus. Par manque d’expérience, ces partisans pourraient faire plus de mal que de bien au parti. Mais, en même temps, elle veut, comme Mégret en son temps, prendre le pouvoir et elle s’entoure de gens qui veulent prendre le pouvoir. Marine Le Pen aimerait prendre de villes mais elle sait aussi que tous les candidats ne sont pas prêts et pas capables de gérer une ville.

JOL Press : A Vitrolles, des noms de rues et de places ont été changés : la place Nelson Mandela a été transformé en place de Provence, l’avenue Salvador Allende est devenue l’avenue Mère Térésa… Des caricatures de cette ampleur sont-elles aujourd’hui envisageables ?

Erwan Lecœur : Ce sont des questions que Marine Le Pen va devoir régler. Jean-Marie Le Pen avait reproché aux dirigeants de villes frontistes et notamment à avec Jean-Marie Le Chevalier de ne pas assez marquer leur politique de l’empreinte Front national. Le maire de Toulon se défendait de vouloir gérer la ville plutôt que de faire du symbolique et de l’idéologique. Le président du FN s’était alors fâché car il voulait montrer que lorsque le Front national était au pouvoir il faisait autre chose que les partis traditionnels, il voulait marquer les villes de l’empreinte nationaliste. On peut imaginer que des candidats comme Bruno Gollnisch à Hyères auront, s’ils sont élus, cette même mentalité.

En revanche, les amis de Marine le Pen, comme Steeve Briois, qui se présente à Hénin-Beaumont ou Florian Philippot, qui est candidat à Forbach, vont plutôt vouloir montrer qu’ils savent gérer une ville.

JOL Press : Le FN est aujourd’hui toujours divisé entre les partisans d’un antisystème et ceux qui veulent accéder au pouvoir ?

Erwan Lecœur : Les tendances, au sein du FN, sont multiples mais la vraie question de fond qui divise le parti, depuis la création, est celle de la participation ou non au pouvoir. Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen s’est entourée d’anciens mégrétistes. Florian Philippot aurait très bien pu être au RPR à une époque, il fait du « ni droite ni gauche » sa ligne politique, il est moins idéologue que Bruno Mégret mais au fond il a la même stratégie : il pense que le FN peut arriver un jour au pouvoir car il incarne les idées d’une majorité de Français. Il est donc fort probable que les amis de Marine Le Pen tentent de faire dans leur ville, s’ils sont élus, ce que les maires FN n’ont pas réussi à faire dans les années 90.

Les Mégret ont été, cependant, de parfaits contre-exemples de cette politique à Vitrolles. Ils ont voulu montrer qu’ils savaient gérer une ville mais petit à petit ils se sont laissé entraîner dans le lepénisme parce que Bruno Mégret voulait prendre la tête du FN à la place de Jean-Marie Le Pen. En cela il a fait une erreur qu’il a regrettée plus tard.

On peut d’ores et déjà s’attendre, lors des municipales, aux mêmes tiraillements au sein du FN entre ces deux stratégies bien différentes. Marine Le Pen, elle-même, est en train de devoir faire des arbitrages entre les villes qui sont à prendre et celles qu’il ne faut mieux pas conquérir car les candidats ne sont pas à la hauteur. Le FN manque de cadres, c’est son vrai problème. Ces municipales vont être une véritable chasse aux sorcières et elle le sait.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Erwan Lecœur est sociologue et politologue spécialiste de l’extrême droite, notamment du Front national. Il est l’auteur d’une thèse et de nombreux ouvrages. Parmi eux : Face au FN (Le Passager Clandestin – 2013), Dictionnaire de l’extrême droite (Larousse – 2007) ou encore Un néo-populisme à la française : Trente ans de Front National (La Découverte – 2003).

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