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Harman, 20 ans, «marchand de l’amour» sur le pont des Arts

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C’est au-dessus de la Seine qu’Harman, jeune Indien, passe le plus clair de son temps. Sur le Pont des Arts, ce vendeur à la sauvette propose aux passants ces fameux « cadenas d’amour » qui envahissent les parapets grillagés du pont parisien depuis quelques années.

Aujourd’hui, vendredi 14 février est un jour important. « C’est ma première Saint-Valentin à Paris » confie-t-il. 

Le poids de l’amour

Cette « mode » des « love locks » a commencé en 2008 à Paris et s’est étendue depuis à d’autres ponts de la Ville lumière, comme celui de l’Archevêché, près de Notre-Dame ou la passerelle Léopold-Sédar-Senghor, entre le jardin des Tuileries et le Musée d’Orsay.

Face à l’ampleur du phénomène, la mairie de Paris a menacé d’enlever les 2000 verrous, en 2011, arguant une « dégradation des équipements publics », avant d’abandonner l’idée. « Ce parapet a cassé sous le poids des cadenas il y a quelques jours, il a été remplacé pour des raisons de sécurité » montre du doigt Harman, bonnet vissé sur la tête, écharpe remontée jusqu’au nez.

Métier: marchand d’amour

Depuis son arrivée à Paris, il y a huit mois, ses journées sont bien chargées. Chaque matin, il quitte la chambre qu’il partage avec cinq autres Indiens dans le 93, pour se rendre à la station « Temple », où il achète des dizaines de cadenas à prix bon marché.

Il les revendra dans la journée à des touristes venus des quatre coins de la planète. Le prix dépend de la taille du cadenas, mais également du montant que client est prêt à mettre : « trois, quatre euros en moyenne »

« Les gens l’achètent, puis je leur prête un marqueur indélébile pour qu’ils y inscrivent leurs initiales et la date leur passage sur le pont », avant de jeter la clé dans la Seine. « Eva et Carlos, mars 2013 », « I will be back », « London to Paris », peut-on par exemple lire les boitiers métalliques accrochés les uns aux autres faute de  place sur les rambardes.

Mais, de temps en temps,  il lui arrive aussi de donner les cadenas gratuitement aux jeunes amoureux arrivés là par hasard, qui n’ont pas de monnaie sur eux, mais qui veulent sceller leur amour sur le pont.

500 euros par mois

Chaque mois, l’argent des cadenas d’amour lui rapporte autour de 500 euros. Un peu plus, en été, confie-t-il. Pendant, les longues soirées estivales, le commerce se porte mieux. Harman envoie une partie de l’argent à sa famille restée en Inde dans l’Etat d’Haryana, situé au nord du pays. Sa mère, sa grande sœur et ses grands parents vivent encore là-bas. Tous les soirs, il leur passe un coup de téléphone pour les rassurer et prendre de leurs nouvelles : « Je reste 20 minutes au téléphone avec eux pour qu’ils me racontent leur journée ». Mais de son travail, Harman ne dit presque rien, pour éviter qu’ils ne se fassent du souci.

Sous les verrous

Surtout pas ses nombreuses mésaventures avec la police, ce qu’il craint le plus ici, à Paris. « J’ai peur à chaque minute. Les policiers viennent en moyenne trois ou quatre fois par jour sur le pont, parfois plus » explique-t-il, regard à l’affût. Il a déjà été emmené au poste une dizaine de fois en l’espace de six mois, en « garde à vue », l’un des rares mots qu’il connaît en Français. Il se rappelle avec horreur cette journée qu’il a passé dans une cellule étroite sans nourriture, juste de l’eau dans les toilettes. « La police m’a ordonné de ne plus revenir sur le pont pour vendre ces cadenas… Mais dès qu’ils m’ont libéré, la vie continue, et je reprends le travail ».

Harman a quitté son pays en 2009 pour l’Italie, où vivait son père depuis des années. Après sa mort, il a décidé de venir s’installer dans un petit village à côté  Milan, pour rencontrer les amis et l’entourage de son père qu’il a très peu connu: « j’ai appris à le connaître à travers eux » explique-t-il.  Il a ensuite étudié deux ans, avant de multiplier les petits boulots – ouvrier dans une usine, serveurs dans des bars et des restaurants – avant de tenter sa chance en France. 

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Ce que l’avenir lui réserve

Harman espère pouvoir bientôt retourner en Inde et revoir enfin sa famille. « Je ne sais pas quand je pourrais y retourner ». Son plan idéal, serait de revenir ensuite en Europe: en Italie, ou en France si l’avenir lui permet : « ici la vie est meilleure. Là-bas, il n’y a pas de travail, pas de sécurité » déplore-t-il. Harman aimerait apprendre le français pour trouver un meilleur travail, mais sans papiers, les choses sont compliquées: «  Vendre des cadenas toute la journée, dans le froid, avec la peur au ventre, c’est dur au quotidien ».

« Bridge of love »

Comme la plupart des touristes qu’ils rencontrent, Harman pense que Paris est la ville la plus romantique du monde. Des couples qui s’embrassent, qui se tiennent la main, et même des demandes en mariage… « Les gens appellent cet endroit le pont de l’amour, et je suis bien d’accord avec eux » lance-t-il. J’aime cette ville et les gens qui y vivent »Mais de la capitale, Harman  n’a encore presque rien vu. « Une fois, je suis est allé à la Tour Eiffel » se souvient-il. 

Encore célibataire, Harman ne se voit pas marié avant une dizaine d’années : « je veux garder ma liberté ! » dit-il avec un large sourire. Son ami qui travaille de l’autre côté du pont n’avait jamais entendu parler de la Saint-Valentin avant cette année. Harman, lui, plus au courant, espère bien que les ventes s’envolent à cette occasion : « J’ai bien réfléchis au nombre de cadenas que j’allais pouvoir acheter en cette journée spéciale et je croise les doigts pour que les couples soient nombreux a m’en acheter pour symboliser leur amour ».

Mais pour lui, cette fête est surtout commerciale. Lorsqu’on est amoureux, une seule journée dans l’année ne suffit pas pour célébrer cette union, estime-t-il: « Quand on aime quelqu’un, chaque journée devrait être spéciale ». 

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