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Il y a 60 ans, l’abbé Pierre lançait son appel pour les sans-abri

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Dans la nuit du 3 au 4 janvier 1954, le sénateur Léo Hamon s’était adressé à l’assemblée, proposant un amendement pour la création de cités d’urgence en France. L’abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, ancien député MRP et fondateur du Mouvement Emmaüs pour lutter contre l’exclusion, avait suggéré cette idée au sénateur. Mais la mesure n’est pas acceptée.

Lettre ouverte

Le 5 janvier, il adresse alors une lettre ouverte au ministre du Logement, publiée dans Le Figaro : « Monsieur le ministre, le petit bébé de la cité des Coquelicots à Neuilly-Plaisance est mort de froid la nuit du 3 au 4 janvier, pendant le discours où vous refusiez les cités d’urgence. C’est à 14 heures, le jeudi 7 janvier, qu’on va l’enterrer. Pensez à lui. Ce serait bien si vous veniez parmi nous à cette heure-là. On ne vous recevrait pas mal, croyez-moi. On sait bien que vous ne vouliez pas ça ». Le 7 janvier, le ministre se rend à Neuilly-Plaisance pour accompagner le petit cortège jusqu’au cimetière.

La nuit du 1er février 1954, alors qu’il est en maraude dans les rues de la capitale avec quelques-uns de ses compagnons, l’abbé Pierre apprend qu’une femme vient de mourir de froid boulevard Sébastopol, dans le quatrième arrondissement de Paris. L’ancien résistant décide alors de lancer un appel mémorable sur les ondes de Radio Luxembourg (qui deviendra plus tard RTL).

Le texte de l’appel :

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !

Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime »

La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques

Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.

Merci ! »

« L’insurrection de la bonté »

Cet appel poignant, qui intervient alors que la France connaît des températures extrêmes – jusqu’à -15°C – aura des répercussions inattendues. Il déclenche une véritable « insurrection de la bonté » : des chèques sont envoyés à la radio et des fonds sont collectés qui permettront de construire les premières cités d’urgences et des logements sociaux. L’appel rapportera 500 millions de francs en dons, une somme considérable pour l’époque.

« Cet appel a entraîné une véritable prise de conscience par l’État que les logements sociaux étaient en nombre insuffisant, que laisser les gens dormir dehors était inacceptable et que la société ne pouvait pas expulser des familles en plein hiver », commente Florent Gueguen, directeur de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), au site LaVie.fr.

L’appel de l’abbé Pierre permet ainsi l’interdiction, dès 1956, des expulsions de locataires pendant l’hiver, du 1er novembre au 15 mars. Une trêve hivernale qui devrait s’étendre jusqu’au 31 mars selon le projet de la loi Duflot pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové (Alur).

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