Site icon La Revue Internationale

Infections nosocomiales: «Impliquer les médecins dans le combat pour l’hygiène»

[image:1,l]

JOL Press : Existe-t-il encore un tabou autour des infections nosocomiales ?

Alain-Michel Ceretti : Oui bien sûr. Le tabou, c’est l’annonce de la survenance de l’infection au malade. Soit on lui cache, soit on lui explique que l’infection n’est pas nosocomiale parce que c’est lui qui portait déjà le germe, alors que le caractère nosocomial d’une infection n’a rien à voir avec le portage.

JOL Press : Où se situe la France en termes de prévention et de lutte contre les infections nosocomiales par rapport à ses voisins européens ?
 

Alain-Michel Ceretti : Beaucoup mieux qu’elle ne se situait il y a une dizaine d’années. Elle a fait des progrès incontestables et incontestés, marqués par l’effondrement de la résistance infectieuse sous antibiotique même si l’on reste à un niveau élevé. On le doit notamment au lavage des mains systématisé par les solutions hydro-alcooliques, et à la surveillance qui s’est mise en place au milieu des années 2000 avec la mise en œuvre, par le ministère, du « tableau de bord » qui a commencé à mesurer et à classer les hôpitaux en termes de performances contre les infections nosocomiales. Cela a été un coup de projecteur formidable pour que les établissements s’améliorent.

JOL Press : Qu’attendez-vous de la ministre de la Santé Marisol Touraine pour cette année en matière de lutte contre les infections nosocomiales ?

Alain-Michel Ceretti : Ce que l’on souhaite, c’est une déclinaison des indicateurs de performance par service et plus seulement par établissement de soins. Parce que l’on s’est aperçus que le pire peut côtoyer le meilleur dans un même hôpital dans deux services différents : il peut y avoir un service excellent en termes de maîtrise de la lutte contre les infections, d’organisation et de gestion etc. Et il peut y avoir, à côté, un service où les gens ne se lavent pas les mains systématiquement, où les mesures d’hygiène ne sont pas mises en œuvre, ou une aide-soignante porte des bijoux… C’est tout un ensemble de signes qui ne trompent pas sur le peu d’intérêt porté sur le sujet. Comme aujourd’hui les indicateurs sont globaux par établissement, vous comprenez que pour un CHU de 1500 lits, on aura une note globale qui ne va pas refléter la réalité.

Par ailleurs, le grand souci de la France sur la lutte contre les maladies nosocomiales, c’est de mobiliser les médecins : tout ce qui relève de l’hygiène a souvent eu la même connotation que ce qui relève du ménage. Autrement dit, ce n’est pas « noble », donc les médecins s’en désintéressent, et mettent cela entre les mains du personnel soignant non-médecin. Les choses évoluent réellement lorsque les médecins et les chefs de service eux-mêmes s’impliquent, et ils s’impliqueront d’autant mieux si leur service est noté et si demain ce sont eux en tant que chefs de service qui sont valorisés ou, à l’inverse, doivent expliquer leurs mauvais résultats.

JOL Press : La lenteur des procédures administratives et judiciaires ne risque-t-elle pas de décourager certains patients atteints de maladies nosocomiales de porter plainte ?
 

Alain-Michel Ceretti : Premièrement, Les plaintes pénales représentent quelques affaires par an, c’est loin d’être une majorité (on parle là d’une dizaine d’affaires). Deuxièmement, on a mis en place en 2002 un dispositif d’indemnisation rapide qui fonctionne bien puisque chaque année il y a 5 000 dossiers qui rentrent dans ce dispositif.

L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) propose une procédure accélérée d’indemnisation parallèle au judiciaire, sans pour autant que les gens abandonnent leurs droits judiciaires. Il y a 22 commissions réparties sur tout le territoire français. Une personne atteinte d’une maladie nosocomiale peut donc saisir la Commission nationale des accidents médicaux (CNAM) dont elle dépend, et aura accès à des procédures rapides et gratuites. C’est réservé aux accidents les plus lourds avec des seuils de gravité prévus par la loi et par le décret. Il y a donc actuellement une réflexion pour savoir s’il ne faut pas abaisser ces seuils.

JOL Press : Dans le cas des trois bébés décédés début décembre à l’hôpital de Chambéry, il semblerait qu’un laboratoire extérieur, celui qui a fourni les poches de nutrition contaminées, soit mis en cause.
Quelle est alors la responsabilité de l’hôpital ? Parle-t-on toujours de maladie nosocomiale dans ce cas-là ?
 

Alain-Michel Ceretti : L’infection reste nosocomiale parce qu’elle est acquise à l’intérieur de l’établissement de santé pendant un soin. Ensuite, les responsabilités seront déterminées par le juge qui nommera des experts qui devront identifier les responsabilités. L’établissement est toujours responsable des produits qu’il donne aux patients. Cependant, si l’enquête démontre que le laboratoire est responsable de la contamination des poches, on aurait donc dans un premier temps une responsabilité de l’hôpital, et dans un deuxième temps une responsabilité, civile ou pénale, du laboratoire.

Exemple : si vous avez déjeuné dans un restaurant et que vous tombez malade, le premier mis en cause sera le restaurant. Si l’on s’aperçoit que la viande qui vous a rendu malade est liée à une faute du fournisseur de viande, ce sera au restaurant de se retourner contre le fournisseur mais pas à vous. En matière de santé, c’est la même chose : le « contrat » est entre le patient et l’hôpital.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

———————————————

Alain-Michel Cerreti est le fondateur de l’association Le LIEN, association de défense des patients et des usagers de la santé, victimes d’accidents médicaux. Il est conseiller santé auprès du Défenseur des droits.

Quitter la version mobile