Site icon La Revue Internationale

Intranet européen: l’accord impossible entre les pays membres?

[image:1,l]

JOL Press : Angela Merkel évoque la possibilité de créer un réseau Internet européen, afin de se prémunir d’une surveillance étrangère, comme l’a révélé l’affaire Snowden… En quoi consisterait un tel réseau ?
 

William Gilles : Ce serait un réseau séparé, également dans ses infrastructures, et déconnecté du reste du réseau internet. Une sorte d’Intranet de l’Union européenne, dont les membres pourraient se connecter entre eux, sans pouvoir interagir avec le reste du réseau mondial.

Néanmoins, pourquoi le ferait-on maintenant ? Il y a quelques années (NDLR : en 1978), la France inventait une technologie appelée Minitel. Ce nom peut faire sourire aujourd’hui, tant la technologie a évolué depuis. Pourtant, à l’origine, cela fonctionnait très bien. Il n’a pas forcément été bien accompagné dans son développement, mais le principe était intéressant.

JOL Press : Ce réseau fermé serait destiné exclusivement aux institutions (gouvernements, services de renseignement…), ou concernerait-il aussi les utilisateurs lambda ?
 

William Gilles : Quand Angela Merkel évoque ce projet d’Internet européen, elle le présente comme un moyen de protection des consommateurs et de leur vie privée. Le but est d’éviter que les données – de n’importe qui – soient reprises et potentiellement diffusées par d’autres serveurs, américains par exemple.

JOL Press : Outre l’aspect technique, le projet est-il faisable à l’échelle européenne ?
 

William Gilles : Si on veut mettre en place un projet européen, il faudrait que l’on ait tous la même conception de la protection des données. Or l’Europe est un concert de vues différentes sur ce problème. Certains protègent plus que d’autres les données internet.

On parle d’adopter ce projet d’ici 2014. Mais d’ici là, le Parlement européen aura changé, il y aura peut-être une nouvelle commission. L’Internet européen n’est faisable qu’après avoir harmonisé nos politiques sur ce terrain.

JOL Press : Ce type de réseau Internet – voire Intranet – existe-t-il déjà entre pays alliés, ou tout simplement à l’échelle nationale ou régionale ?
 

William Gilles : Certains pays ont effectivement des réseaux relativement fermés. Ils en coupent d’ailleurs l’accès à l’extérieur. Je crois que les dictatures comme la Corée du Nord, ou certains pays du monde arabe (Égypte, Tunisie durant la révolution…) utilisent ce blocage internet. Les opposants ne peuvent plus, dès lors, communiquer avec le monde extérieur.

L’intérêt d’Internet, dans son essence, est de pouvoir communiquer avec tout  le monde. S’isoler ne peut donc pas plaire aux internautes.

JOL Press : En outre, cela empêcherait-il vraiment les surveillances illégales, comme celles qu’a révélées Edward Snowden ?
 

William Gilles : Cela dépend du type de surveillance. Les satellites permettent de toute façon de tout surveiller. De plus, internet n’est pas le seul visé, puisque les écoutes téléphoniques ont été dénoncées par Edward Snowden.

De toute façon, partez du principe que tout le monde espionne tout le monde aujourd’hui. Donc un Internet européen n’empêcherait pas grand-chose, en ce que l’espionnage ne vient pas forcément des États-Unis : il peut venir d’Europe. Se méfier de tout le monde induit de ne pas se focaliser sur un pays. Néanmoins, si chaque pays développe et ferme son propre réseau internet, le principe même d’Internet n’existe plus !

Le dernier problème est la gouvernance. Alors même que les internautes américains ne sont plus majoritaires – ce sont maintenant les Asiatiques – la gouvernance d’Internet est maîtrisée exclusivement pas les États-Unis. Il faudrait mettre au point une gouvernance mondiale quant au réseau internet. L’Europe a donc évidemment son mot à dire sur cette question.

JOL Press : Sous couvert de vouloir réduire la surveillance et le contrôle, peut-on mettre en place un système lui-même restrictif pour les utilisateurs ?
 

William Gilles : C’est exactement ce qui se passe en Turquie. Au nom de la protection de la vie privée, le président a promulgué une loi permettant le blocage arbitraire de sites internet…

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

————————

William Gilles est Maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il y enseigne notamment le droit du numérique. Il est également Président de l’Institut du monde et du développement

Quitter la version mobile