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Irlande du Nord: «La paix est établie, la réconciliation pas encore»

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John Anthony Downey, ex-militant de l’IRA, est le principal suspect dans l’attentat de Londres en 1982 (4 morts), l’un des plus médiatisés perpétrés par la faction irlandaise. Un juge britannique a décidé ce vendredi 28 février d’abandonner les poursuites contre lui, s’appuyant sur les lettres d’amnistie envoyées par le gouvernement britannique en 1998, comme conclu dans les accords de paix.

JOL Press : Cette décision déclenche aujourd’hui un tollé général, David Cameron dénonçant une « erreur terrible », quand le Premier ministre irlandais Peter Robinson menace même de démissionner. Pourquoi les réactions prennent-elles tant d’ampleur ? Quelle est la portée symbolique et politique de cette décision judiciaire ?
 

Pierre Joannon : Un certain nombre d’ex-terroristes de l’IRA ont reçu des lettres leur garantissant l’impunité dans le cadre des « Accords du Vendredi Saint » de 1998. Le Sinn Fein, qui négociait ces accords pour le gouvernement républicain, avait insisté pour que ces militants emprisonnés bénéficient d’une amnistie. Il avait également obtenu que ceux qui étaient en cavale – les « On the runs » – doivent également bénéficier d’une forme d’amnistie. Le gouvernement de Tony Blair avait accepté, au cas par cas, d’envoyer à environ 180 militants républicains pourchassés pour faits de terrorisme, des lettres leur garantissant l’immunité et la cessation des poursuites et la liberté.

Aujourd’hui, la réaction politique à cette mesure d’amnistie est virulente. Celle de Peter Robinson est assez logique. On observe en effet, depuis quelques mois, un raidissement de la part du Parti démocratique unioniste – qui partage le pouvoir, en Irlande du Nord, avec le Sinn Fein – et qui, se sentant débordé sur sa droite par de plus extrémistes que lui, essaie de se refaire une virginité radicale unioniste. Le but est d’aborder dans la meilleure situation possible les élections à venir, notamment les Européennes.

Il faut rapprocher la crise de cette pseudo-amnistie du refus du Parti démocratique unioniste de souscrire aux accords élaborés par Richard Haas (envoyé spécial d’Obama) en 2013. Ce projet d’accord devait régler trois points litigieux entre les deux communautés : le droit de faire flotter le drapeau irlandais ou britannique, le droit de défiler, et la façon d’envisager la commémoration de cette période.

Le parti de Peter Robinson avait refusé de signer cet accord. Le nouveau signe de raidissement envoyé aujourd’hui n’est donc pas une surprise. Mais il doit être conciliable avec le maintien des accords de paix de 1998. Personne, au sein des deux camps, ne souhaite en effet repartir dans une période d’affrontements armés.

JOL Press : Des députés britanniques emboîtent le pas de cette décision, et demandent la même « amnistie » pour l’autre camp, pour des soldats impliqués dans le massacre du fameux « Bloody Sunday ». La solution est-elle d’amnistier tout le monde ?
 

Pierre Joannon : Cette approche est relativement logique. Je pense en effet que les négociations vont aboutir sur un « blanchiment » général. Les attentats de l’IRA sont dramatiques, mais de l’autre côté les collusions entre les commandos de la mort loyalistes et les autorités britanniques ; des exactions ont également été commises par des soldats de Sa Gracieuse Majesté… La logique voudrait donc que l’amnistie des uns soit accompagnée du blanchiment des autres. L’impunité générale serait ainsi une sortie – par le haut – de cette crise qu’il ne faut pas trop dramatiser non plus…

Le Sinn Fein risque de hurler, mais cela fait partie du jeu de rôles auquel on assiste en Irlande du Nord, qui consiste à donner satisfaction à ses militants en défendant leur cause, tout en collaborant au niveau gouvernemental. Les deux partis sont alliés au gouvernement !

JOL Press : La paix étant actée depuis 1998, quel est l’obstacle majeur à l’apaisement général ?
 

Pierre Joannon : Le problème de l’Irlande du Nord est que le processus de paix a abouti, mais celui de la coexistence et de la réconciliation des deux communautés, pas encore. On en est même loin.

Comment faire avancer ce processus sans mettre en péril les acquis de paix ? On peut surmonter les crises politiques, mais il faut absolument éviter de revenir à un conflit armé.

JOL Press : Pensez-vous que ce conflit civil et religieux, cristallisé par l’IRA et les massacres de soldats britanniques, soit encore très présent dans les esprits?
 

Pierre Joannon : Le fait religieux n’est pas vraiment le problème aujourd’hui. Il n’est qu’un argumentaire parmi beaucoup d’autres (souveraineté, colonialisme, exploitation économique…). Parler de guerre de religion aujourd’hui en Irlande du Nord serait caricatural.

En revanche, il est évident que cette période de troubles a laissé des traces de crispation profondes, de chaque côté de la barrière confessionnelle et politique. Les nerfs sont à vif, et on achoppe sur les moyens de surmonter cette mémoire douloureuse du passé. Il faudra bien la liquider un jour pour que les deux communautés retrouvent un modus vivendi.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Pierre Joannon est Consul Général d’Irlande à Antibes, Président de l’Ireland Fund de France, membre du Directoire de l’Institut du Droit de la Paix et du Développement de l’université de Nice – Sophia-Antipolis, et rédacteur en chef de la revue Études Irlandaises. Il est notamment l’auteur de Il était une fois Dublin (Perrin, 2013)

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