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Italie: face aux guerres d’ego, Matteo Renzi marche sur des œufs

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JOL Press : Matteo Renzi a été chargé lundi de former le nouveau gouvernement italien. De qui va-t-il pouvoir s’entourer : de techniciens, de politiques ?
 

Hervé Rayner : Il va d’abord sans doute s’entourer de gens assez jeunes. Il y a en effet eu un rajeunissement des parlementaires aux dernières élections : le groupe du « Mouvement 5 étoiles » et le groupe du Partito Democratico sont par exemple beaucoup plus jeunes et féminisés que les autres groupes parlementaires.

Matteo Renzi a d’emblée placé la barre assez haut en disant qu’il tiendrait son gouvernement jusqu’en 2018, c’est-à-dire jusqu’à la fin de la législature, ce qui paraît ambitieux. Pour ce faire, il ne peut pas s’entourer uniquement de « techniciens », il aurait un poids très faible, non seulement au Parlement, mais aussi auprès des instances dirigeantes des partis politiques. D’autant plus qu’aujourd’hui, le terme de « techniciens » s’est beaucoup dévalorisé, notamment depuis la crise de 2008. Pendant l’opération « mains propres » (« mani pulite ») entre 1992 et 1994, cette catégorie de techniciens venait au contraire pallier la délégitimation qui avait atteint les politiciens de profession.

Il y a maintenant des « luttes de palais » pour savoir qui sera ministre, qui est légitime pour l’être, qui serait acceptable, etc. C’est toujours un dosage complexe, notamment parce que l’on a affaire à un gouvernement de coalition. Le Partito Democratico ne disposant pas de majorité au Sénat, il doit donc s’allier à la fois avec ce qui reste du parti de Mario Monti et avec le nouveau centre-droit, mené par Angelino Alfano, l’ancien « dauphin » de Silvio Berlusconi. Or, Alfano occupait dans le gouvernement dEnrico Letta le double poste de vice-président du Conseil et de ministre de l’Intérieur. Il va donc falloir contenter le centre-droit, qui estime être indispensable à la majorité, sous-entendant qu’il peut la faire tomber.

JOL Press : Matteo Renzi bénéficie-t-il justement d’appuis suffisants pour espérer obtenir une majorité au Parlement ?
 

Hervé Rayner : Le coup de force qu’il a opéré la semaine dernière en « limogeant » Enrico Letta a été perçu comme violent et inhabituel, puisqu’il l’a fait non pas parce qu’il y avait eu un vote de défiance au Parlement, mais parce qu’il y a eu un renversement du rapport de force au sein de la direction nationale du Partito Democratico après les primaires, qui ont vu Matteo Renzi propulsé au poste de secrétaire du parti. Lui-même a donc nommé des proches à la direction nationale, puis il a soumis cette direction nationale à un vote qui lui a permis de « limoger » Letta. Cela rappelle un peu les règlements de compte internes à l’ancien parti démocrate-chrétien dans les années 70-80, lorsque les coalitions entre les différents courants faisaient et défaisaient les gouvernements.

Une partie des membres du Partito Democratico sont très opposés à Matteo Renzi et à ses manières de faire, mais ils peuvent en même temps sentir que ce n’est pas le moment d’exprimer leur désaccord. Ce qui est ambigu, c’est qu’il y a une semaine, ce sont plutôt les adversaires de Matteo Renzi qui l’incitaient à prendre la tête du gouvernement, espérant qu’il s’y « grillerait », étant donné la conjoncture économique et politique en Italie. Matteo Renzi a cependant beaucoup de soutiens dans le monde politique, mais aussi dans les médias ou dans l’industrie.

Même Berlusconi n’a cessé de dire du bien de Matteo Renzi. Et s’il a dit qu’il serait bien sûr dans l’opposition, le Cavaliere n’hésitera pas à appuyer le nouveau chef du gouvernement au coup par coup. C’est une manière pour Berlusconi d’essayer de minorer le poids d’Angelino Alfano qui, de son côté, veut se rendre indispensable… Dans cette situation, chacun défend finalement ses propres intérêts, notamment en vue d’éventuelles élections anticipées.

JOL Press : Matteo Renzi est-il capable de « séduire » la droite italienne ?

Hervé Rayner : Il peut sans doute « mordre » un peu sur une partie des électeurs du centre-droit. Le Partito Democratico est lui-même un parti très ambivalent de ce poids de vue-là : c’est la fusion d’une frange des héritiers du Parti communiste avec une frange des héritiers de la Démocratie chrétienne.

La famille politique de Matteo Renzi, c’est cette démocratie chrétienne d’où proviennent ses parents, mais qui s’effondre quand il a 18 ans, en 1993. À 20 ans, Matteo Renzi commence à militer au sein du Parti Populaire Italien (PPI), un parti issu des cendres de la démocratie chrétienne. Il vient d’ailleurs de la même famille qu’Enrico Letta et Angelino Alfano. Mais Renzi est jeune, il a une autre manière de se comporter, et s’est converti à toutes les techniques du marketing politique. En ce sens, on pourrait dire qu’il est très « berlusconisé ».

Une bonne partie de l’aile gauche pourrait donc voir d’un mauvais œil certaines décisions qu’il prendra, et qui seraient par exemple favorables au patronat italien. Cela pourrait inciter une partie du Partito Democratico à faire scission. Matteo Renzi marche sur des œufs, puisque son propre parti est en proie à une possible scission. Certains journaux parlent déjà de « speRenzi » [jeu sur le mot « espoirs » en Italien, ndlr] mais c’est un peu tôt pour en parler. Dès que le gouvernement sera formé, les difficultés commenceront et il sera à la merci des défections.

JOL Press : Quelles sont les grandes réformes qu’il compte entreprendre dans les semaines et les mois qui arrivent ?
 

Hervé Rayner : Il a fait lundi un discours très ambitieux où il annonçait une grande réforme par mois : la réforme électorale au mois de mars, la réforme fiscale au mois d’avril, la réforme sur la relance de l’emploi au mois de mai… Quand on sait les difficultés, en termes de politique publique, des différents gouvernements qui se sont succédé en Italie, cela paraît très ambitieux.

Des réformes institutionnelles devraient en effet être menées, mais c’est un peu « l’arlésienne » depuis vingt ans en Italie, puisqu’il n’y a jamais vraiment eu de changement majeur des institutions, si ce n’est quelques changements de la loi électorale. Matteo Renzi veut notamment mettre fin au bicaméralisme, en réduisant le poids politique du Sénat. Il voudrait en effet transformer cette chambre en assemblée d’élus non rémunérés. Il veut aussi la réduction du financement public des partis politiques, ce qui pourrait arranger Silvio Berlusconi, puisque les inégalités de ressources pencheront encore plus en faveur de son parti [Forza Italia, nldr] : c’est le seul qui soit milliardaire et ait suffisamment d’argent – légal ou non – pour lancer des campagnes.

Une autre des priorités pour Renzi sera de relancer l’emploi, dans un pays qui compte 13% de chômeurs, et des centaines d’ouvriers en chômage technique, parfois depuis des années. Enfin, les réformes fiscales seront un des autres enjeux de ce gouvernement, mais cela risque d’entraîner des luttes importantes entre les particuliers, les entreprises etc.

JOL Press : Les élections européennes auront lieu fin mai, et l’Italie prendra la présidence de l’Union européenne en juillet prochain. Matteo Renzi a-t-il le regard tourné vers l’Europe ?
 

Hervé Rayner La famille politique d’où il provient était vraiment une des formations les plus européistes en Italie, favorable au processus de construction européenne et à ce que deviendra, plus tard, l’Union européenne.

Si la crise que traverse l’Italie depuis 2008 est l’une des plus graves qu’elle ait connues, elle est cependant légèrement moins grave qu’en Espagne, en Grèce, en Irlande ou au Portugal. Mais la différence avec les autres pays européens, c’est que la crise italienne est intervenue dans un pays qui connaissait la croissance la plus faible en Europe depuis 20 ans.

En matière de politique européenne, il n’y aura pas vraiment de changement par rapport à ce que faisait Enrico Letta. Mais il y aura des doutes sur l’attitude qu’adoptera le gouvernement italien au sujet des paramètres imposés par la Commission européenne, comme le critère des 3% de déficit budgétaire. Car pour beaucoup d’économistes, ce critère est une sorte de « corset » intenable, qui asphyxie l’Italie. Il n’est donc pas impossible que Matteo Renzi tente de renégocier ce critère, même si l’Italie a réussi à le respecter ces dernières années – au prix d’une croissance négative et d’une explosion du chômage.

La Bourse et les marchés financiers européens semblent avoir plutôt bien accueilli la venue de Matteo Renzi : le spread, c’est-à-dire l’écart entre le taux d’intérêt du trésor allemand et italien, est au plus bas depuis 2006, ce qui permet à l’Italie d’emprunter à des taux beaucoup moins défavorables qu’auparavant. Il y a donc, du côté européen, une sorte de feu vert qui n’est cependant pas irréversible. Matteo Renzi va enfin sûrement devoir renégocier ses liens avec Angela Merkel pour favoriser une politique d’investissements.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Hervé Rayner est spécialiste de l’Italie contemporaine. Titulaire d’un doctorat sur la sociologie des scandales politiques en Italie (1992-1994), il est chargé de recherche et d’enseignement à l’Université de Lausanne (Suisse).

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