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Italie: «Matteo Renzi veut être un grand unificateur national»

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Enrico Letta n’aura passé que dix mois à la tête du gouvernement italien. Après une motion déposée jeudi soir par le chef du Parti démocrate Matteo Renzi, demandant l’ouverture « d’une phase nouvelle avec un exécutif nouveau », le chef du gouvernement a été contraint de démissionner.

« Chaque jour comme si c’était le dernier »

Vendredi, Enrico Letta s’est rendu au palais du Quirinal – la résidence présidentielle – où il a remis au président Giorgio Napolitano sa démission. Quelques minutes avant de franchir les marches du Quirinal, c’est sur Twitter qu’Enrico Letta a officiellement annoncé quil quittait ses fonctions, remerciant tous ceux qui l’ont aidé pendant cette – courte – période à la tête du gouvernement, ajoutant dans son tweet une expression du philosophe Sénèque : « chaque jour comme si c’était le dernier ».

Si l’Italie est une habituée des multiples crises politiques à rebondissements, celle-ci est assez inédite. Les dix mois d’Enrico Letta à la tête du gouvernement ne laissaient pas envisager un tel revirement, malgré les rumeurs qui couraient, ces derniers jours, sur un possible changement de président à la tête du Conseil.

Mardi 11 février, devant la lenteur d’Enrico Letta à adopter des réformes économiques attendues, et revigoré par l’avancée de son projet de réforme électorale, Matteo Renzi confiait déjà aux élus du Parti démocrate que « l’avenir du gouvernement serait décidé jeudi ». C’est désormais chose faite.

Un homme pressé

« Matteo Renzi est un homme impatient, pressé. Devant la lenteur des réformes et un système politique italien où tout s’enlise très vite, il a dû sentir que c’était le moment d’agir », explique à JOL Press Philippe Moreau Defarges, politologue spécialiste des relations internationales et de la construction européenne.

« Matteo Renzi est également très populaire. Or, quand vous êtes porté par la vague des sondages, la tentation est grande de prendre le pouvoir. Mais cela peut aussi être un pari raté », avance le politologue.

S’il a choisi ce moment pour « limoger » le chef du gouvernement, c’est probablement parce qu’il bénéficiait d’appuis suffisants. « On ne peut pas risquer ce genre de coup de force sans avoir eu de contacts préalables avec différentes forces politiques. Il a dû bâtir une coalition capable de le soutenir au parlement italien », indique M. Moreau Defarges. « Pour avoir tenté ce coup de force, c’est qu’il a au moins la majorité dans son parti », ajoute Jean-Yves Frétigné, historien spécialiste de l’Italie contemporaine.

Les élections européennes en ligne de mire ?

Si l’on évoque l’empressement du chef du Parti démocrate à mener ses réformes, c’est peut-être aussi dans l’espoir de redonner au Parti démocrate affaibli ses « lettres de noblesse » à l’aube des élections européennes, qui auront lieu en mai prochain. Car pour Jean-Yves Frétigné, la nomination de Matteo Renzi à la tête du gouvernement lui permettrait avant tout de mieux préparer ces élections et de contrôler davantage son parti afin d’éviter la débâcle aux européennes, qui pourraient aussi coïncider avec la tenue d’élections législatives anticipées.

« On est donc dans le schéma suivant : Matteo Renzi veut à la fois diriger le gouvernement et la campagne électorale », estime l’historien. « Parce que le grand danger, c’est que le Parti démocrate, qui est celui de Letta et de Renzi, soit discrédité aux élections européennes. Matteo Renzi préfère donc gérer cette crise avec la double casquette de président du Conseil et de chef de son parti », explique M. Frétigné.

« Face à la montée des populismes et des eurosceptiques, qui considèrent que l’Europe est responsable de la crise, Renzi craignait sûrement que les élections européennes ne portent un gros coup au Parti démocrate – et donc au propre avenir politique de Renzi », ajoute-t-il. 

« Les élections européennes ont certainement pu jouer, mais c’est peut-être un peu tard », estime de son côté M. Moreau Defarges. « Car si Matteo Renzi veut en effet changer quelque chose, il n’a que trois mois pour le faire : il faut qu’il ait une immense confiance en lui pour espérer, en trois mois, avoir un programme et un discours suffisamment convaincants pour faire bouger les Italiens ».

Saura-t-il séduire la droite ?

Si Matteo Renzi bénéficie d’une popularité certaine dans son propre camp, la question de savoir s’il obtiendra le soutien du centre-droit reste posée. Pour Jean-Yves Frétigné, il pourrait obtenir la confiance des anciens partisans de Berlusconi, les « colombes », qui ont fait scission avec les « faucons » berlusconiens en novembre dernier, après avoir suivi Angelino Alfano, l’ex-dauphin du Cavaliere. Le discours assez ouvert de Matteo Renzi envers le patronat pourrait également séduire une partie de l’électorat de droite.

Pour Philippe Moreau Defarges, il n’est cependant pas très difficile de séduire la population italienne, « désespérée par la situation politique actuelle ». « D’ailleurs, c’est son pari : Matteo Renzi veut être un homme au-delà de la droite et de la gauche, une sorte de grand unificateur national », même si dans un système parlementaire où les corporatismes sont importants, le nouveau chef du gouvernement aura de grandes chances de se heurter à des résistances fortes.

« Un homme nouveau »

Désormais, Enrico Letta, chrétien démocrate qui avait pris la tête d’une coalition gauche-droite en avril 2013, devrait donc retrouver les bancs de la Chambre des députés. « Enrico Letta appartient désormais au passé, et va retomber dans l’anonymat dans lequel il était arrivé l’an dernier », estime M. Moreau Defarges.

Quant à Matteo Renzi, qui n’a pour le moment pas présenté officiellement sa candidature pour reprendre la tête de la présidence du Conseil, il devrait sans grande surprise être choisi pour former le prochain gouvernement, après les consultations lancées vendredi après-midi par le président Giorgio Napolitano avec différents partis.

Selon les observateurs, le maire de Florence, âgé de 39 ans, incarne en effet le nouveau visage de la politique italienne. Matteo Renzi, que l’on surnomme « l’homme pressé » – il a décidé en quelques jours seulement de briguer la présidence du Conseil, contrairement à ce qu’il affirmait ces derniers temps – est un « ambitieux qui a grillé les étapes », explique Jean-Yves Frétigné.

« Il s’est imposé avec un nouveau style, en rupture avec les vieilles figures du parti démocrate socialiste », indique-t-il. Loin des caciques du parti, ou d’un Letta trop attaché à sa famille politique, « Matteo Renzi fait en fait figure « d’homme nouveau » à tous points de vue ».

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