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La BCE a-t-elle intérêt à faire baisser l’euro ?

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« Comme ministre de l’Industrie, je considère que l’euro est sorti de ses clous par une surévaluation qui est devenue problématique aux yeux de tous pour nos entreprises. Entre 2012 et 2013, il s’est apprécié de plus de 10% face au dollar et de plus de 40% face au yen », a déclaré Arnaud Montebourg aux Echos. « Nous avons la zone la plus dépressive au monde et la monnaie qui s’apprécie le plus au monde. Cette situation est ubuesque », a-t-il ajouté.

« Nous devons ouvrir une bataille politique pour faire baisser l’euro. L’euro doit être au service de notre économie et de notre industrie. Il ne s’agit pas de le dévaluer mais de le ramener à un niveau raisonnable et supportable », a-t-il expliqué. Quels sont les enjeux d’une telle proposition ? Décryptage avec Christophe Blot, directeur adjoint au Département analyse et prévision à l’OFCE. Entretien.

JOL Press : Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg a réaffirmé, dans une interview publiée dimanche 9 février au soir sur le site internet des Echos, sa volonté de « faire baisser l’euro » ? Comment analyser cette déclaration ?

Christophe Blot : La première question qui se pose est de savoir si on peut faire baisser l’euro et de quelle façon il faut s’y prendre. Ensuite on peut s’interroger sur le rôle de l’évolution de l’euro et du taux de change, en règle générale, dans la compétitivité française et dans l’évolution des parts de marché des importations en France depuis la création de l’euro.

Il n’est pas du ressort du gouvernement français de pouvoir faire baisser l’euro. Pour faire baisser l’euro, on pourrait envisager un accord international dans lequel on fixerait la valeur du taux de change de l’euro vis-à-vis des autres monnaies, en essayant de le faire à un niveau déprécié par rapport à ce qu’il est aujourd’hui. Cette configuration-là paraît cependant exclue, parce qu’il n’a pas de volonté politique au niveau international pour créer un accord sur le taux de change et pour faire en sorte que l’euro se déprécie.

Alors qui a la main sur l’euro ? La Banque centrale européenne peut intervenir sur le marché des changes pour essayer de faire baisser ou monter sa monnaie si elle le juge nécessaire. La BCE est indépendante, on ne peut pas la forcer à faire ce type d’opération mais elle a les moyens de le faire. Mais en l’état actuel des choses, la BCE n’a pas d’objectif de changes, elle ne va pas chercher à jouer sur l’euro, ce n’est pas son but premier. Son but c’est la stabilité des prix. Aujourd’hui elle ne s’occupe de l’euro que de façon très éloignée. On peut donc s’attendre à ce qu’elle ne change pas d’attitude.

JOL Press : A quoi cela servirait-il de faire baisser l’euro ?

Christophe Blot : Faire baisser l’euro, c’est essayer de jouer sur la compétitivité des entreprises européennes dans leur ensemble. Quand l’euro se déprécie, les pays peuvent essayer de vendre leurs produits sur les marchés hors zone euro à un prix plus bas ou tirer parti des baisses de l’euro pour gagner des marges et des parts de marchés dans le futur.  L’impact des taux de change a un effet direct sur la compétitivité.

En contrepartie, les pays payent un certain nombre de biens importés à un prix plus élevé mais en baissant l’euro, on espère qu’à force d’importer des biens à un prix plus élevé on va finir par se tourner vers des producteurs français ou de pays de la zone euro qui pourront vendre leurs biens à des prix plus compétitifs.

JOL Press : S’il n’est pas du ressort du gouvernement français de pouvoir faire baisser l’euro, pour quelle raison Arnaud Montebourg a cru bon en parler ?

Christophe Blot : Ce que cherche à faire Arnaud Montebourg, c’est susciter le débat. Certes le gouvernement français ne peut pas contraindre la BCE mais on peut alimenter le débat sur cette question-là. Est-ce qu’on juge, au niveau européen que l’euro est trop élevé ? L’euro fort est-il une menace pour la croissance et la compétitivité de la zone euro ? Peut-on avoir, au niveau européen, un certain nombre de discussions avec la BCE ? Il est clair qu’entre le moment où on lance le débat et celui où il se passe quelque chose, ce genre de déclaration peut être considéré comme un coup d’épée dans l’eau car certains pays de la zone euro, à l’instar de l’Allemagne, peuvent considérer que la question n’est pas à l’ordre du jour.

Aujourd’hui, force est de constater que ce débat a un sens, notamment du point de vue de la BCE. Car si l’objectif premier de la BCE est la stabilité des prix qu’elle a définie comme une inflation autour de 2%, l’inflation en 2013 est bien au-dessous de cet objectif. L’inflation est inférieure à 1% quand le chômage stagne autour de 12%. La BCE a donc clairement des marges de manœuvre pour avoir une politique monétaire plus expansionniste qui passerait par le taux de change. La BCE peut intervenir sur le marché des changes de façon directe pour augmenter l’inflation mais aussi de façon indirecte en ayant une politique monétaire encore plus expansionniste en espérant que cette politique joue sur le taux de change. Ce débat a un sens et la BCE n’est pas étrangère à ces questions-là.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christophe Blot est directeur adjoint au Département analyse et prévision à l’OFCE. Ses thèmes de recherche actuels touchent au commerce extérieur, à la crise financière et à la politique monétaire.

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