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La Kalachnikov, cette arme de destruction massive

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Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov est décédé le 23 décembre 2013, à l’âge de 94 ans. Le père de la « kalach » est mort dans la ville d’Ijevsk située dans l’Oural, à 1.300 kilomètres à l’est de Moscou. Il existe encore une usine dans cette ville qui continue de produire en série les fameuses AK-47, pour « Avtomat Kalachnikova modèle 1947 ». L’arme, bien qu’âgée de plus de 60 ans, reste produite et opérationnelle. Jusqu’en 2012, l’ingénieur Kalachnikov travaillait encore au perfectionnement de son arme, fidèle à l’image d’un de ces héros du peuple que le régime soviétique érigeait en modèle.

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Décoré de l’ordre de Lénine, lauréat du prix Staline en 1949, il devient dans les années 50 député du Soviet suprême et le restera jusque dans les années 80. Il terminera sa carrière avec le rang de général. Un musée porte son nom à Ijevsk. Au départ, Mikhaïl Timofeïevitch Kalachnikov est un simple conducteur mécanicien de char lorsqu’il effectue son service militaire en 1938. Il se fait toutefois remarquer pour sa passion pour les armes, en mettant au point un système pour améliorer le tir des chars.

Durant la seconde guerre mondiale, alors qu’il commande un groupe de blindés, il est blessé lors de combats et est évacué dans un hôpital militaire. Durant sa convalescence, il dessine des modèles de pistolet et de fusil. Frappé par la qualité de l’équipement de l’armée allemande, bien meilleur que celui du fantassin soviétique, il veut apporter sa contribution. Soutenu par le maréchal Joukov, le sergent autodidacte, alors âgé de 28 ans, participe à un concours lancé par Staline pour la création d’un fusil automatique d’un type nouveau. Son modèle finira par être retenu par l’Etat en 1947.

Pourquoi la « kalach » a-t-elle connu un tel succès ? 

En 1948, la production commence dans une usine d’Ijevsk en vue d’équiper l’Armée rouge. Plus tournés vers les armements sophistiqués, les Occidentaux font alors peu attention à ce fusil rustique. Il faudra des années aux Américains pour réaliser leur erreur : leur fusil d’assaut M-16 ne connaitra pas le même succès. Mikhaïl Kalachnikov n’a jamais touché un centime de son invention – la Russie n’ayant pas fait valoir le droit à la propriété intellectuelle de son inventeur -, alors qu’à l’Ouest, il aurait pu devenir millionnaire comme l’inventeur américain du M-16, Eugene Stoner. Il était fier de cela, attachant bien plus d’importance à défendre sa patrie par ses inventions qu’à accumuler de l’argent. A sa mort, il vivait encore dans un modeste appartement.

Pourquoi la « kalach » a-t-elle connu un tel succès ? L’arme, un fusil d’assaut à la crosse de bois, était, selon les mots mêmes de son inventeur, « simple, fait pour un soldat non diplômé ». Pouvant être utilisé en automatique et au coup par coup, elle possède peu de recul et est facile à entretenir. Elle résiste au sable, à l’eau, à la boue, au froid et au chaud. Elle peut fonctionner cinq jours d’affilée sans être nettoyée. Sa légèreté et sa rusticité vont l’imposer sur les théâtres de guerre dans le monde entier.

Elle est employée par les armées d’une cinquantaine de pays. Il s’agit de l’arme la plus fabriquée, la plus vendue et la plus utilisée au monde. Combien de « kalach » ont-elles été vendues dans le monde ? Rosoboronexport, le géant russe de l’armement, parle de 70 à 100 millions d’unités. En réalité, nul ne sait avec précision combien d’exemplaires de Kalachnikov ont été produits. En effet, l’AK-47 a eu ses déclinaisons russes (près des 150) mais aussi de nombreuses imitations. Dans les années 50, à mesure que l’affrontement Est-Ouest se durcit, l’URSS autorise alors la production sous licence du fusil.

De nouvelles versions sont élaborées dans les pays du bloc socialiste comme la Chine et la Corée du nord ou en Europe de l’Est, ouvrant la voie à sa production de masse dans le reste du monde. Le fusil est exporté dans de nombreux pays arabes ou africains proches du bloc socialiste. Et il devient aussi l’arme préférée des groupes armés non étatiques et donc le symbole de la lutte armée et notamment de la décolonisation. Connu dans le monde entier, il figure même sur le drapeau national de l’Etat du Mozambique et sur celui du Hezbollah.

L’éclatement du bloc soviétique, après 1991, favorisera non seulement sa prolifération mais aussi la fabrication de copies

L’éclatement du bloc soviétique, après 1991, favorisera non seulement sa prolifération mais aussi la fabrication de copies. Des stocks entiers d’AK-47 et d’AK-74 (un modèle dérivé) ont ainsi été dispersés à travers le monde. Une très grande quantité de fusils a été produite à l’étranger sans licence, dont beaucoup en contrebande. En raison de cette prolifération, de sa facilité d’utilisation, et de son faible coût, parfois quelques centaines d’euros seulement, la « kalach » s’est retrouvée aux mains de grands bandits et trafiquants et même dans celle de petits voyous. Elle est aussi utilisée par les groupes terroristes, les enfants-soldats et les groupes criminels pour des actions violentes liées à tous les trafics. Cette « banalisation » de la Kalachnikov va aussi ternir son image.

Car il s’agit aussi de l’arme la plus meurtrière du XXème siècle. Pendant les années 1990, les armes de petit calibre étaient les plus utilisées dans 46 des 49 conflits majeurs recensés par les Nations Unies. On l’oublie souvent, mais dans les conflits armés, les armes de petit calibre tuent ou rendent invalides plus que tout autre arme. Elles font infiniment plus de victimes que les autres types d’armes. « Chaque année, le nombre de morts attribuable à ces armes dépasse largement celui des victimes des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki.

De fait, au regard des carnages qu’elles provoquent, elles pourraient être assimilées à des armes de destruction massive » avait déclaré Kofi Annan, alors Secrétaire général de l’ONU. Parmi ces armes, la Kalachnikov tient une place de choix. On estime que cette arme a tué plusieurs centaines de milliers de personnes dans le monde. La communauté internationale s’est toutefois engagée dans une tentative de régulation des armes légères et de petit calibre. L’année de la disparition de Mikhaïl Kalachnikov a été aussi celle de l’adoption du traité sur le commerce des armes le 2 avril 2013 par l’Assemblée générale des Nations Unies. La résolution a été adoptée par 154 voix pour. 3 Etats ont voté contre (à savoir l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord) et 22 se sont abstenus.

Un traité pour limiter de manière substantielle la vente et la prolifération de cette arme

Le traité est applicable aux armes classiques que sont les chars de combat, véhicules blindés de combat, systèmes d’artillerie de gros calibre, avions de combat, hélicoptères de combat, navires de guerre, missiles et lanceurs de missiles. Il est également applicable aux armes légères et armes de petit calibre et donc à la Kalachnikov. Les activités couvertes par le traité, quant à elles, regroupent l’exportation, l’importation, le transit, le transbordement, et le courtage de ces armes. Il ne s’agit pas d’un traité de désarmement ou un traité d’interdiction (comme cela a pu être le cas sur d’autres types d’armes) mais surtout d’un traité de régulation du commerce des armes. Ce traité du 2 avril 2013 invite les Etats à adopter une législation nationale créant un processus de contrôle des exportations.

Pour lutter contre les trafics et les détournements, il prévoit des incriminations pénales en cas de non-respect de cette législation. La mise en place par les États d’un système de contrôle des transferts (armes classiques, munitions, pièces et composants) doit se faire sur la base de critères précis et tenant compte des droits de l’Homme et du droit international humanitaire. Il prohibe enfin les transferts s’ils peuvent donner lieu à des crimes de guerre et de génocide ainsi qu’à des violations d’engagements internationaux ou de décisions d’embargo prises par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ouvert à la signature par les États depuis le 3 juin 2013, et signé par plus de 60 Etats (dont la France le jour même), le traité doit être ratifié par cinquante pays pour pouvoir entrer en vigueur.

La ratification du traité est actuellement en cours en France. Ce texte régulateur est un premier pas, et même si certains ont pu souligner quelques faiblesses dans la rédaction du texte adopté. Il s’agit néanmoins d’un traité qui va de l’avant, posant un cadre international commun à la majorité des Etats. Il n’empêchera pas l’usage meurtrier de la Kalachnikov mais limitera de manière substantielle la vente et la prolifération de cette arme. Il rendra notamment plus difficile sa vente massive à des Etats engagés dans des conflits armés, surtout si ceux-ci commettent des violations du droit international. Un progrès non négligeable.

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