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L’Afrique de l’Est sous la menace des terroristes islamistes?

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JOL Press : Le gouvernement kenyan a annoncé ce mercredi 26 février vouloir renforcer son dispositif de sécurité à cause de « risques accrus de radicalisation d’islamistes et de factions locales ». Est-ce un problème d’insécurité locale et de violences urbaines, ou existe-t-il un vrai danger régional grandissant ?
 

Marc Lavergne : Avant tout, le problème de cette région est le chômage des jeunes. Ils n’ont pas d’autres débouchés que l’agriculture. A l’heure du village mondial, ce n’est pas très attirant pour eux. Ils préfèrent être connectés… Ce désœuvrement et ce désenchantement se traduisent par un durcissement religieux. Mais même chez les Shebab, ce n’est qu’un affichage. Il n’y a pas aujourd’hui de regain de la religiosité en Afrique, que ce soit chez les chrétiens ou les musulmans.

Néanmoins, cela dépend évidemment de chaque région, de chaque pays. Le Kenya est assez fragilisé : il est en proie à la désertification, à la surpopulation. Le pouvoir y est détenu par une oligarchie corrompue, parfois incompétente, et surprotégée par l’Occident. En outre le pays est miné par des guerres ethnico-tribales, spécialement à chaque élection. Elles ont d’ailleurs conduit l’actuel Président Uhuru Kenyatta à être sous mandat d’arrêt de la CPI. Il y a un affrontement entre les ethnies Kikuyu et Luo, principalement.

Cette dimension ethnique cache une réalité sociale, qui est la désertification du territoire, due à l’urbanisation des populations. Ces migrants se retrouvent dans les bidonvilles, qui sont les pires d’Afrique. L’ancrage religieux y est certes plus facile. Mais il est surtout l’épouvantail qu’agite le gouvernement pour augmenter la surveillance, en vue d’endiguer l’insécurité urbaine…

JOL Press : Le risque terroriste lié à l’islamisme radical n’est donc pas pour vous, plus important qu’il y a 10 ans ?
 

Marc Lavergne : Il l’est dans la mesure où l’islam progresse : c’est une religion expansive. Cependant, la radicalisation est un phénomène qui est moins certain. D’ailleurs, je ne crois pas vraiment à un lien direct, de cause à effet, entre radicalisme et déstabilisation.

A mon sens, le lien tient aux conversions à l’islam. Ces hommes y viennent parce qu’ils estiment que l’islam n’est pas une religion coloniale, d’exploiteurs, de blancs. Les prêcheurs islamiques appuient donc là-dessus. En outre, cette religion est simple, et fournit facilement un guidage à ceux qui sont un peu perdus.

Le terrorisme, qui vient par-dessus ce phénomène, n’est finalement qu’un moyen parmi d’autres. Il est question de rapport de force et d’efficacité. Mais hormis les croyances autour du paradis des djihadistes, la religion n’influe pas forcément sur le terrorisme. En atteste les attentats du Westgate en septembre 2013 à Nairobi : ses auteurs ont tenté de s’enfuir, ce n’étaient pas des kamikazes, ils n’avaient aucune vocation au martyr.

JOL Press : La menace terroriste serait donc plus liée à des facteurs ethnico-sociaux que religieux, selon vous ?
 

Marc Lavergne : Oui, je le pense. Mais ça ne change rien : le regain de menaces islamistes dans certaines régions, réel ou supposé, est utilisé pour attirer la compassion et le soutien des Occidentaux. Ceux-ci sont tétanisés par le danger islamique. Les islamistes sont le symbole des empêcheurs de tourner en rond de la mondialisation.

JOL Press : On ne peut pas non plus nier le danger islamiste en Afrique de l’Est. Avec l’intervention kenyane en Somalie, la piraterie maritime, les actions du Shebab (dont l’attentat du Westgate en septembre dernier), la menace est bien réelle…
 

Marc Lavergne : La menace islamiste est évidemment réelle. Mais cette réalité n’enlève rien à celle de la déstabilisation de l’Afrique entière.

JOL Press : Peut-on voir une collusion entre les différents troubles religieux en Afrique (le Shebab, Boko Haram, les conflits religieux en Centrafrique, les groupes islamiques dans le Sahel…) ? Le fait religieux est-il en train de déstabiliser l’ensemble du territoire africain ?
 

Marc Lavergne : Je ne dirais pas cela. Cette déstabilisation est naturelle, inéluctable. Elle est beaucoup plus due au fait que l’Afrique n’est pas sortie de la période coloniale.

Le Kenya, par exemple, est une vitrine occidentalisée, qui paraît fonctionner. Nairobi semble être une ville fonctionnelle. Pourtant, vous ne sortez pas dans les rues après 8 heures le soir. Vous ne vous arrêtez pas au feu rouge avec vos vitres baissées. Nairobi a beau être un centre névralgique de l’ONU, le hub africain pour l’Occident, la criminalité y est extrêmement élevée. Le Kenya tient, aujourd’hui, par la présence occidentale. Et par le bâton plus que la carotte.

JOL Press : L’Afrique de l’Est, en dépit du terrorisme et de l’éclatement de la Somalie, est le nouveau terrain de jeux des pétroliers. La bulle de prospection y est forte, les découvertes prometteuses, les chantiers et aménagements titanesques. La menace terroriste, liée entre autres au Shebab et à d’autres groupuscules, risque-t-elle d’impacter ce développement autour du pétrole ?
 

Marc Lavergne : La Somalie a éclaté il y a 25 ans. En outre, la situation n’y est pas inéluctable : le Somaliland, bien que non reconnu, est assez stable.

Les perspectives pétrolières ne sont pas en elles-mêmes un facteur de déstabilisation. La déstabilisation précède l’arrivée du pétrole. Les ressources ne créent pas la guerre. Elles peuvent simplement l’accélérer.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Marc Lavergne est directeur de recherche au CNRS. Il est spécialiste de la Corne de l’Afrique et du Moyen-Orient.

 

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