Site icon La Revue Internationale

«Le Darknet est devenu la poubelle du web»

[image:1,l]

JOL Press : Comment définiriez-vous le «Darknet» ? A quoi sert-il ?
 

Jean Harivel : A l’origine, le Darknet regroupait les réseaux isolés d’ARPANET, l’ancêtre de l’internet. Le Darknet est un ensemble de réseaux permettant un échange de fichiers de particulier à particulier de confiance, un réseau peer to peer.

Comme il n’y existe aucun contrôle, il peut s’y échanger tout type d’information. Pour y pénétrer, il faut une certaine initiation car aucun des moteurs de recherche fonctionnant sur le net (Google, Bing ou autres) ne référence les adresses du Darknet. Bien entendu, il faut aussi utiliser un programme d’accès spécifique puisque les explorateurs du marché (Internet Explorer, Chrome, Firfox, Opera, etc.) ne peuvent accéder au darknet.

JOL Press : Comment pénètre-t-on dans cet « internet parallèle » ? 
 

Jean Harivel : Pour entrer dans le Darknet, il faut d’abord un logiciel d’accès, mais également être informé et initié. En prenant l’exemple de TOR (The Onion Router) qui est l’un de ses logiciels d’accès, il ne suffit pas de l’installer sur un PC pour accéder au Darknet. Tor ne donne pas accès à des sites « oignon » dès son utilisation, il fournit seulement une manière cryptée, chiffrée et surtout masquée pour accéder au Web normal. L’accès aux services cachés – déployés depuis 2004 – n’est qu’un des usages possibles de Tor. Il est tout aussi bien possible de consulter son courrier, faire de la messagerie instantanée ou se connecter au web «visible» via le réseau.

Pour accéder aux sites « oignon », il faut être conscient qu’ils existent et connaître leurs adresses dans le réseau Tor. L’installation de Tor n’est pas suffisante pour accéder au Darknet associé, le réseau Tor, il faut utiliser un navigateur spécifique à Tor (installé avec le package Tor, Tor Browser Bundle) et connaître les adresses des sites à visiter, toutes se terminant par « .onion ».

JOL Press : Qui sont ceux qui se retrouvent dans cet espace et quelles sont les raisons qui les poussent à y entrer ?
 

Jean Harivel : Au départ, le Darknet a été conçu comme un espace de liberté, la discrétion y est de mise et tout y est fait pour protéger l’anonymat des intervenants.

Cet anonymat est une des raisons qui ont poussé certaines pratiques à se développer sur le Darknet : pédophilie, vente de matières prohibées et illicites comme les drogues et les armes.

JOL Press : Comment les échanges sont-ils rémunérés ?
 

Jean Harivel :  Grâce aux bitcoins, une monnaie virtuelle qui y a un cours d’échange non légal et non garanti, mais qui permet aussi un blanchiment d’argent discret et sans trace.

JOL Press : Quels sont les principaux crimes commis dans cet espace ?
 

Jean Harivel : Le Darknet est devenu la « poubelle du web » puisque il y est possible, par exemple, d’engager un tueur à gage, d’acheter de la drogue ou des armes, d’acheter une fausse carte d’identité et consulter des sites pédophiles… Bref tout ce que l’humanité a inventé de pire est présent sur le Darknet.

Il ne faut pas oublier le blanchiment d’argent via la manipulation des bitcoins. Les euros ou les dollars s’échangent contre des bitcoins auprès de changeurs officieux et non régulés. Fondé sur la cryptographie, un porte-monnaie bitcoin, souscrit en ligne, possède deux clés. La première clé est publique – c’est en quelque sorte l’équivalent d’un RIB,  – destinée à recevoir de l’argent. La seconde est privée, c’est elle qui permet de régler les achats de manière totalement anonyme. Pour les gouvernements, le bitcoin devient le nouveau véhicule du blanchiment d’argent.

[image:2,l]

JOL Press : Comment opère le crime organisé dans le Darknet ?
 

Jean Harivel :  Darknet est un outil garantissant l’anonymat dons l’impunité presque totale. Cet anonymat total sur le web a donné bien des idées à certains groupes, les premiers ont été les Farc (Force armées révolutionnaires de Colombie) qui ont vu dans le Darknet la possibilité de pouvoir communiquer entre eux, mais surtout un moyen de communiquer plus facilement, de vendre de la drogue et donc de créer un site e-commerce de vente de produit stupéfiant sans aucune contrainte sur le web.

JOL Press : Le Darknet peut-il être comparé à Silkroad ou XStore ? Est-il exact de dire qu’il n’existe pas un seul mais plusieurs « darknets » ?
 

Jean Harivel : Silkroad ou la Route de la Soie utilise ou plutôt utilisait le Darknet pour y écouler de la drogue.

Début octobre 2013, le site Silk Road créé en février 2011 est placé sous le feu des projecteurs. Silk Road – « la route de la soie » – en français – , présenté comme « l’eBay de la drogue », est fermé par le FBI et son fondateur supposé, Ross William Ulbricht, 29 ans, arrêté. Il est accusé d’un « massif blanchiment d’argent », de complot, de violations des lois sur les stupéfiants et de piratage informatique. En deux ans et demi, ce site du Darknet aurait généré des ventes de 1,2 milliard de dollars (l’équivalent  de 880 millions d’euros) en monnaie virtuelle bitcoin, pour un montant total de 80 millions de dollars (soit 60 millions d’euros) de commissions.

Pour accéder au Darknet, il faut posséder une clé, en fait le logiciel d’accès à un espace. Il y a donc autant de Darknet que de clés. C’est pourquoi, il faudrait plutôt parler de Darknets. L’un de ces programmes est TOR (The Onion Router), il permet d’accéder à des sites dont l’adresse se termine par .onion.

JOL Press: Quelle est la différence entre « Darknet » et le « Deep Web » ?
 

Jean Harivel :  Le Deep Web ne doit pas être confondu avec le Darknet. Le Deep Web est la dénomination de l’ensemble des pages non référencées dans les moteurs de recherche. Elles restent accessibles via les explorateurs classiques et possèdent une adresse licite.

[image:3,f]

JOL Press : L’utilisation du Darknet est-elle uniquement criminelle ? Après le scandale de la NSA, révélé par Edward Snowden, son usage révèle-t-il une volonté d’échapper à toute traçabilité ?
 

Jean Harivel :  Darknet a été créé à l’origine pour aider les dissidents chinois à communiquer entre eux sans pouvoir être identifiés. La création du Darknet a donc permis aux dissidents d’exister, de pouvoir communiquer entre eux et le reste du monde, et donc de faire suivre l’information à travers le web sans aucun risque pour leur sécurité.

Les défenseurs de la vie privée considèrent le Darknet comme un bon outil pour les internautes désireux de se protéger. Des journalistes l’utilisent également pour ne pas être repérés dans des régimes répressifs ou échanger avec des sources sensibles sans risquer de les compromettre. « C’est un besoin légitime pour certains acteurs d’avoir des plateformes sécurisées, anonymisées. Quand je bosse avec Wikileaks, je bosse sur le Darknet. », explique à l’AFP Jean-Marc Manach, journaliste spécialiste des questions de surveillance et de vie privée.

« L’anonymat fait partie de la liberté d’expression. Sans anonymat, les journalistes n’auraient pas de source », ajoute Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net, organisation de défense des droits des internautes.

Tor fait partie des outils recommandés par Reporters sans frontières (RSF) qui forme des journalistes dans les pays particulièrement surveillés. « On a fait une formation au Tadjikistan, où beaucoup de sites internet sont bloqués. Tor peut être extrêmement utile dans ce cas, ça permet de s’affranchir du réseau national », déclare Grégoire Pouget, de RSF.

Il est important de rappeler que l’anonymat n’est pas garanti à 100% sur Darknet. Lola City, un site pédophile, a été la cible du collectif Anonymous, qui a identifié 1589 pédophiles qui se connectaient sur ce site.

JOL Press : Quelles sont les mesures européennes mises en place pour lutter contre la cybercriminalité ?
 

Jean Harivel : Des cellules spéciales existent au niveau de l’OTAN et des polices des différents pays. Il faudrait une lutte globale, mais aujourd’hui les actions sont faites pays par pays. La coopération entre pays reste donc à réaliser.

————————-

Jean Harivel est Doctorant, et Chargé d’enseignement au sein du master Droit numérique à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Il a co-écrit avec Irène BOUHADANA et William GILLES, Directeurs du master Droit du numérique, Administration-Entreprises, l’article  « Darknet, le côté obscur du Net ».

Quitter la version mobile