Site icon La Revue Internationale

«Le gouvernement vénézuélien doit rapidement apporter des solutions»

[image:1,l]

JOL Press : Le Venezuela  est secoué depuis plus de deux semaines par des manifestations massives ayant fait au moins huit morts et une centaine de blessés. Quelles sont les origines de la contestation étudiante ?
 

Adeline Joffres : Les facteurs de mécontentement sont multiples. Ils relèvent d’une part de la situation des étudiants à proprement parlé, et notamment de la menace de démocratisation des universités. Les étudiants craignaient pour l’autonomisation de ces établissements, qui est sacrée au Venezuela : c’est un principe fondateur des universités vénézuéliennes. A partir de là, Hugo Chavez avait développé, au Venezuela, des structures parallèles : les « universités bolivariennes ». Déjà dans les années 2008-2010, cela avait créé des tensions très fortes qui avaient été relayées par les nombreuses manifestations des étudiants. Mais le mouvement a surtout pris de l’essor en 2007, dès la proposition de  modification de la Constitution vénézuélienne. Pour dénoncer les abus de pouvoir du régime et leur crainte pour la démocratie, les étudiants avaient défilé avec les mains blanches, symbole de la paix, qu’ils reprennent aujourd’hui dans les manifestations qui secouent le pays.  C’est donc un mouvement structuré sur plusieurs années.

Aujourd’hui, il y a des restes des revendications de 2008 sur l’autonomie des universités mais on constate aussi que les étudiants se mobilisent pour préserver le secteur privé ou encore dénoncer l’existence de « prisonniers politiques » comme en 2012. Ce mouvement a été rejoint par l’opposition dès 2010 (comme en 2007) sur des questions comme l’insécurité, un point déjà sensible sous Hugo Chavez mais qui l’est devenu encore plus sous Nicolas Maduro, depuis l’assassinat de Miss Venezuela 2004.

Nicolas Maduro a lancé des pistes pour enrayer ce fléau de l’insécurité, notamment un  projet de lutte contre la criminalité en proposant une réévaluation du rôle de la police et non plus uniquement des militaires sur ces questions de sécurité, comme c’était le cas sous Hugo Chavez. Il propose aussi une loi sur le contrôle des armes, crucial pour réguler la violence.

JOL Press : Pourquoi cette crise sociale explose-t-elle aujourd’hui ?
 

Adeline Joffres : Cela s’explique par la conjonction de la question de l’insécurité – qui est revenue sur le devant de la scène au mois de janvier dernier, avec l’assassinat de la Miss Venezuela 2004 –  avec la situation économique catastrophique  dans laquelle est plongé le Venezuela, et la réapparition de figures radicales de l’opposition. En effet, à cause de la politique de change du gouvernement, les entreprises privées – qui fournissent ce que le Venezuela importe – ne peuvent plus commander leurs marchandises, ni garantir à leurs fournisseurs qu’elles paieront leur factures car elles n’ont plus de devises. Aujourd’hui le Venezuela est frappé par des pénuries récurrentes et d’une ampleur inédite : il n’y a presque plus de produits de base, plus de téléphones portables, ni de voitures disponibles. Cela crée une exaspération quotidienne des Vénézuéliens, et cela explose à un moment crucial, après la trêve des fêtes de Noël. Les gens en ont assez et veulent voir des solutions proposées par le gouvernement. Les étudiants et l’opposition qui n’avait pas atteint ses objectifs aux municipales de décembre 2013, relaient ainsi cette grogne et voient l’opportunité de revenir sur le devant de la scène politique.

JOL Press : Le président vénézuélien Nicolas Maduro a annoncé qu’il lançait un dialogue national pour faire face à la crise sociale. Une rencontre entre les différentes forces politiques est-elle envisageable ?
 

Adeline Joffres : Qu’est-ce que Nicolas Maduro pouvait faire d’autre que d’appeler au dialogue ? Il faut apaiser la situation, mai cela ne dépend pas que de lui. La concertation me paraît ainsi difficile… Dans les manifestations, on retrouve les deux camps de l’opposition : celle qui s’était réunie autour de la Mesa de la Unidad Democrática et d’Henrique Capriles, et une opposition plus radicale avec des figures comme Leopoldo Lopez ou María Corina Machado, qui surfent sur cette vague-là pour proposer la solution radicale de « La Salida » [ndlr : « La Sortie » en français, slogan de l’opposition]. Il est clair que cette opposition-là ne souhaite pas de concertation. Je pense qu’ils voient le moment pour eux d’en finir : ils restent campés sur leurs positions, c’est pour cela que la tension est extrême.

Il est difficile de prévoir une évolution des évènements sans un changement de stratégie de l’opposition. Suite à l’élection de Nicolas Maduro, de vives manifestations avaient déjà fait une dizaine de morts. Finalement, les choses s’étaient calmées lorsque les résultats avaient été acceptés par plusieurs gouvernements internationaux, notamment les Etats-Unis, mais cela avait été difficile.

JOL Press: Les manifestants dénoncent également une censure exercée par le gouvernement vénézuélien. Où en est la liberté des médias au Venezuela ?
 

Adeline Joffres : Là encore, la liberté d’expression et la désinformation sont des questions très sensibles. Il faut d’ailleurs préciser que la dernière est légion dans les deux camps, ce qu’ont montré plusieurs montages diffusés par l’opposition ce mois-ci. Ceci n’aide pas à un retour à l’accalmie sociale et alimente la crise de confiance entre les parties.

Depuis les années 2000, le gouvernement a pris plusieurs mesures d’intimidation auprès de médias privés (notamment les chaines de télévision), qui ne sont plus aujourd’hui le danger imminent pour le régime. Le gouvernement envisage désormais de surveiller, voire de modifier, le contenu d’autres supports comme les jeux vidéos, les films, les telenovelas. En outre, la pénurie de papier qui sévit actuellement au Venezuela,  touche une partie importante des journaux qui sont contraints de réduire leur tirage.

JOL Press : Le gouvernement socialiste va-t-il survivre à cette vague de protestations ?

 

Adeline Joffres : Le gouvernement peut survivre à cette vague de protestation. Mais ce qu’il faut maintenant, c’est qu’il apporte rapidement des solutions. Si le gouvernement rend effective les mesures qu’il a annoncé sur la sécurité et qu’il prend à bras-le-corps la question des changes et de l’économie vénézuélienne, les caisses seront renflouées et le pays sera approvisionné, et dans ce cas, le régime pourra perdurer.

Quitter la version mobile