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Le Maroc, l’acteur miracle pour régler la crise malienne?

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JOL Press : Le roi Mohammed VI du Maroc s’est rendu au Mali pour une visite de plusieurs jours durant laquelle plusieurs partenariats commerciaux ont été signés. L’intérêt du Maroc pour le Mali est-il nouveau ?
 

Pierre VermerenD’une manière générale, l’intérêt marocain pour l’Afrique de l’ouest et le Sahel n’est pas nouveau. Cependant, cet intérêt est inédit dans la mesure où le Mali était un pays qui reconnaissait le Polisario – le mouvement indépendantiste sahraoui – ce qui a toujours été un grand obstacle pour Mohammed VI et pour la diplomatie marocaine.

Le Mali était donc plutôt proche de l’Algérie. La fin de la guerre semble amener un retournement d’alliance. Le Mali ne va pas rompre ses liens avec Alger. Cependant, tout en étant alliée de l’Algérie, le Mali a failli éclater, et aujourd’hui, il espère certainement que son alliance avec le Maroc, et derrière lui avec la France, permette de tourner la page et de reconstruire le pays sur de nouvelle bases.

JOL Press : L’Algérie pourrait-elle s’éloigner du Mali en raison de cette nouvelle amitié entre le Maroc et le Mali ?
 

Pierre Vermeren : Nous assisterons sûrement à une concurrence entre les deux pays sur la question malienne. Pour l’Algérie, le Mali reste un pays voisin, ce qui n’est pas le cas du Maroc. Le Maroc est même assez éloigné, alors que l’Algérie a une très longue frontière avec son voisin du sud. Les deux pays ont également un peuple en commun : le peuple touareg, qui vit entre l’Algérie et le Mali, et dans une moindre mesure au Niger et au Burkina Faso.

On sait cependant que les relations entre les Touaregs maliens et le pouvoir de Bamako sont très mauvaises, ce qui rend la situation complexe. Ces derniers sont pris en étau entre Bamako et l’Algérie, et c’est pour cela que certains d’entre eux sont allés chercher l’aide marocaine. Nous assistons même aujourd’hui à une surenchère entre les Touaregs et Bamako pour se rapprocher du Maroc.

JOL Press : D’une manière plus générale, quelle est la stratégie régionale du Maroc ?
 

Pierre Vermeren : Il y a une très ancienne compétition entre le Maroc et l’Algérie pour assurer le leadership dans la région Afrique de l’ouest-Sahel, et ce pour des raisons assez différentes.

L’Algérie n’a pas besoin de la croissance qu’elle pourrait trouver en Afrique puisque son économie repose sur le pétrole. Sa politique repose alors sur la puissance qu’elle impose avec ses deux millions de km² au Sahara, ses frontières communes avec plusieurs pays, et sa puissance militaire au Sahel.

Le Maroc a pour sa part une stratégie qui consiste, dans un premier temps, à contrer l’influence algérienne, dans le cadre de la rivalité entre les deux pays au Sahara et en Afrique en général -l’Algérie est dans l’Union africaine alors que le Maroc n’y est pas.

Le Maroc cherche par ailleurs des relais de croissance, des alliés militaires et le développement de son influence religieuse, notamment l’influence confrérique. C’est une des raisons pour lesquelles le Maroc et le Mali se rapprochent. Au Mali, les musulmans d’obédience wahhabite se sont emparés des structures de l’islam politique, notamment du Haut conseil de l’islam malien, et les dirigeants veulent aujourd’hui reprendre en main ce Haut conseil. Ils s’appuient sur le Maroc et sur le confrérisme protégé par le roi pour combattre l’influence wahhabite dans leur pays.

Le Maroc a pour cela une légitimité que n’a pas l’Algérie puisqu’il s’agit d’un régime militaire civil.

JOL Press : Le Maroc pourrait-il devenir un médiateur privilégié pour résoudre la crise malienne qui oppose les Touaregs du nord à Bamako ?
 

Pierre Vermeren : CC’est bien ce qui est prévu. Bamako veut absolument reconstruire l’unité de son pays, or tout le grand nord malien est peuplé de Touaregs et d’Arabes, des populations très éloignées de Bamako. C’est là que le Mali espère une alliance modératrice avec le Maroc.

Il faut un médiateur entre le nord et le sud du Mali, et c’est le rôle que le Maroc pourrait jouer, au grand dam de l’Algérie, à la fois à la demande de Bamako mais aussi des Touaregs.

C’est une belle opportunité pour le Maroc, et peut-être aussi pour la France, que l’on sait très proche du royaume.

JOL Press : Le Maroc pourrait réussir là où la France a échoué à préserver l’unité du Mali ?
 

Pierre Vermeren : Aujourd’hui, la France a laissé le problème de l’unité malienne en suspens. Le nord et le sud restent de fait séparés, et ne sont pas forcément sur la voie d’une unité nationale… Or le Maroc est très attaché à l’unité nationale de ce pays, car il pense aussi à son Sahara. Puisqu’il cherche à unifier son pays, il estime que si les Maliens réussissent à vivre ensemble, cela sera un atout de plus pour sa propre unité territoriale.

Le Maroc ne sera pas forcément plus utile que la France, mais il est intéressant de constater que les acteurs maliens eux-mêmes sont allés chercher le Maroc pour assurer cette médiation.

Ces acteurs ont bien entendu des objectifs différents. Bamako cherche l’unité territoriale et le Mali du nord qui se sait fragile et menacé à la suite de l’insurrection, veut échapper à une répression du sud, et cherche un modèle d’autonomie. Manifestement, des acteurs maliens pensent que le Maroc, plus que la France ou l’Algérie, pourrait davantage leur offrir cette unité. Peut-être y-a-t-il d’ailleurs une coopération entre la France et le Maroc, une sorte de répartition des rôles pour régler la crise malienne…

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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