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L’expérience démocratique tunisienne dérange ses voisins arabes

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La Tunisie postrévolutionnaire est saluée de toute part pour l’exemple démocratique dont elle témoigne dans la région et dans le monde. Pour saluer le processus démocratique tunisien, le président François Hollande fera le déplacement à Tunis, vendredi 7 février, à l’occasion de la cérémonie officielle d’adoption de la nouvelle constitution.

Le problème de la Tunisie, c’est l’exemple qu’elle transmet

Mais la Tunisie ne fait pas que des heureux. Plus de trois ans après le début de la révolution de Jasmin, force est de constater que le « bon élève » du Printemps arabe a eu le temps de se faire des ennemis.

Les élans démocratiques et la capacité de compromis dont ont réussi à témoigner les Tunisiens, après de nombreux rebondissements, laissent un goût amer dans la bouche de certains gouvernements qui voient aujourd’hui d’un mauvais œil ce pays démocrate qui pourrait bien inspirer les peuples alentours.

Optimistes sur le cas tunisien, les observateurs le sont quasiment tous. L’Assemblée constituante a voté, presqu’à l’unanimité, pour le texte constitutionnel, des élections vont être organisées, une sorte de calme politique règne à Tunis. Le problème, explique Pierre Vermeren, historien et spécialiste du Maghreb, c’est que « nous sommes dans un environnement régional catastrophique » et « que les gouvernements étrangers voisins ne regardent pas l’expérience tunisienne d’un bon œil ».

Selon cet expert, « les Tunisiens sont en train d’essuyer les plâtres de la démocratisation dans le monde arabe et au Maghreb […] et cela semble fonctionner », mais « pour certains pays de la région, cette démocratisation est également perçue comme une menace », explique-t-il encore, car « les régimes autoritaires restent dominants dans la région ».

« Il y a une reprise en main de l’armée en Egypte, les pays du Golfe et du Moyen-Orient restent sur des modèles autoritaires, comme dans quasiment tout le Maghreb. Dans tous les pays arabes de la région, des tensions extrêmement fortes persistent entre les islamistes et les libéraux. Chacun des groupes refuse souvent de faire le moindre compromis. Aujourd’hui, les Tunisiens viennent de prouver qu’il est possible de faire de tels compromis ».

Le danger tunisien pour les régimes autoritaires voisins

Un compromis que tous ne sont pas encore capables de faire et qui semble créer un front autoritaire face à la Tunisie. « De nombreux acteurs internationaux – des régimes comme l’Arabie Saoudite, l’Algérie, la Syrie – qui n’ont rien à voir les uns avec les autres se retrouvent dans leur intérêt à faire échouer l’expérience tunisienne », explique Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman.

« Aujourd’hui, le problème de la Tunisie c’est qu’elle fait exception et donc pose problème à un certain nombre de gouvernements qui continuent à tirer les ficelles de la légitimité héritée de l’autoritarisme développementaliste des années 60/70 », ajoute encore ce spécialiste.

En effet, « malgré les clivages politiques et philosophiques, malgré les échecs sur le plan socio-économique » les dirigeants tunisiens ont témoigné « d’une grande capacité à faire des compromis institutionnels qui permettent d’avancer dans le sens de la transition démocratique ».

C’est cette capacité qui oppose désormais les Tunisiens à leurs voisins. « La Tunisie est un peu seule, elle apparaît comme une sorte d’ilot démocratique dans un environnement régional où un certain nombres d’acteurs aux intérêts divergents se trouvent des intérêts soudains convergents pour retarder, freiner le processus démocratique, en jouant sur les avoirs financiers, sur le soutien à des groupes pouvant déstabiliser la Tunisie etc. ».

La Tunisie aura besoin de partenaires occidentaux

Ce constat, Vincent Geisser le fait notamment au regard des événements internes à la Tunisie.

« Le salafisme, bien que marginal dans la société tunisienne, a un pouvoir de nuisance extrêmement fort » et « on peut tout à fait penser que ces groupes servent des intérêts étrangers qui veulent faire échouer l’expérience tunisienne ».

« Ces derniers mois, et malgré les divergences politiques, le compromis a triomphé en Tunisie », concède Vincent Geisser. « On peut donc être optimiste mais cela supposera que la Tunisie ait à l’avenir des partenaires forts qui ne seront pas des partenaires du monde arabe, mais qui viendront sans doute de l’Union européenne et des Etats-Unis ».

Et en ce sens, la visite de François Hollande en Tunisie à l’occasion de cette cérémonie officielle prend une tournure beaucoup plus que symbolique.

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