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Loi famille: le gouvernement a-t-il commis une faute politique?

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« L’hystérisation autour de ce projet de loi, notamment du fait de la Manif pour tous qui s’est appuyée sur des fantasmes, des peurs imaginaires pour hystériser le débat, est préoccupante et problématique et nous ne voulons pas que ce projet de loi prospère dans ce type de conditions. Nous voulons au contraire qu’il soit discuté dans la sérénité, dans la concertation », a expliqué la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem. « Ce projet de loi famille sera bien examiné, il sera examiné sur les sujets dont nous avons toujours dit qu’ils en seraient la composante essentielle », a-t-elle ajouté, en citant « l’adoption », les « tiers et en particulier les beaux-parents », « la protection de l’enfance ».

Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a quant à lui estimé que la priorité était l’union et le redressement du pays. « Je crois que la société aujourd’hui a besoin de s’unir et non pas se diviser. Elle doit s’unir autour d’un projet qui est de redresser le pays », a déclaré le ministre sur France Bleu Drôme Ardèche. Est-ce là la ligne du gouvernement ? C’est la question que nous avons posée à Alain Bergounioux, historien du mouvement socialiste et cadre du PS. Entretien.

JOL Press : Comment expliquer la décision du gouvernement de reporter la loi famille ?

Alain Bergounioux : Ce report peut être expliqué de plusieurs manières. Selon le gouvernement, le texte de loi n’était pas prêt puisque le Comité national d’éthique ne s’était pas encore prononcé sur la PMA. Compte tenu des débats de société que cette loi va entraîner, le gouvernement a pensé qu’il valait mieux présenter un texte dont les grandes dimensions seraient mieux explicitées. C’est pour cette raison que le projet de loi de Dominique Bertinotti a été repoussé.

JOL Press : Nous savions que le Comité national d’éthique ne rendrait pas de décision avant 2015, pourquoi avoir attendu le lendemain de la Manif pour tous pour annoncer le report du projet de loi ?

Alain Bergounioux : C’est une bonne question. Il est clair qu’on ne peut pas dire qu’il y ait eu une gestion optimale du calendrier. Je ne suis pas au gouvernement, je ne sais pas ce qui les a motivés à agir à ce moment précis.

JOL Press : La situation économique est-elle trop préoccupante pour s’attarder sur des sujets de société ?

Alain Bergounioux : C’est une explication même s’il est certain que le gouvernement peut travailler sur plusieurs chantiers en même temps. Je crois vraiment que le report de la loi est dû à la question de la PMA qui n’était pas réglée. Mais il vrai que dans la mesure où, avec le pacte de responsabilité, le président de la République et le gouvernement ont choisi d’inciter les différentes forces économiques à travailler ensemble, tout ce qui peut attiser les divisions peut poser problème. L’objectif de l’exécutif est avant tout d’unir tous les Français autour de la question de l’emploi.

JOL Press : François Hollande ne prend-il pas ainsi le risque de se couper avec une partie de sa majorité ?

Alain Bergounioux : Il est vrai qu’une partie des parlementaires est irritée par cette décision du gouvernement, mais de là à prendre des distances vis-à-vis de François Hollande, c’est une autre affaire. Pour qu’il y ait divorce, il faut qu’il y ait des chemins différents or là, la réussite ou l’échec de la politique du gouvernement sera collectif.

L’exercice du pouvoir consiste à mettre sa famille politique dans l’embarras. C’est très rare d’exercer le pouvoir sans difficulté. Nous sommes dans une période difficile, le gouvernement fait des choix et les parlementaires de la majorité sont plus au moins obligés de se soumettre aux directives de l’exécutif, tout en débattant et discutant.

JOL Press : Le projet de loi famille est-il seulement repoussé, selon vous, ou définitivement enterré ?

Alain Bergounioux : C’est difficile à dire. Tout dépendra de la conjoncture après les municipales et les européennes. Le gouvernement aura peut-être changé, la conjoncture aussi, on ne peut donc vraiment pas savoir.

JOL Press : Le gouvernement va-t-il sortir affaibli de toute cette affaire ?

Alain Bergounioux : Là encore, tout dépend de ce qui va se passer dans les six mois, d’un point de vue électoral mais aussi économique. Si au cours de cette année, on constate des avancées réelles sur le front de l’emploi et de la croissance, ces hésitations du gouvernement apparaîtront comme des péripéties. En revanche, si les résultats électoraux sont préoccupants, on dira que c’est à cause de ses hésitations sur les sujets de société. La situation est trop incertaine pour tirer d’ores et déjà des conclusions.

JOL Press : Le gouvernement a-t-il cédé à la rue ?

Alain Bergounioux : Par le passé, des gouvernements de droite comme de gauche ont déjà, dans un contexte de tensions et d’exaspérations dans la société française, préféré l’apaisement au passage en force. Ce ne sont pas les pages les plus glorieuses d’un parcours gouvernemental mais cela peut arriver : le gouvernement pèse les risques d’un affrontement durable qui pourrait diviser profondément la société et choisi ou non d’aller jusqu’au bout de ses réformes. C’est une question d’appréciation qui est appartient à l’exécutif. Généralement en politique on n’a le choix qu’entre deux inconvénients…

JOL Press : François Hollande est-il prêt à renoncer aux valeurs du PS pour se préparer à 2017 ?

Alain Bergounioux : Je pense que la priorité de François Hollande est avant tout l’emploi et la croissance. 2017 est encore bien loin. Tout dépendra de ce qui va se passer dans les mois à venir. En revanche, je ne crois pas que sa politique soit en contradiction avec les valeurs socialistes.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Inspecteur général de l’Éducation nationale, historien, il est directeur de la Revue socialiste et professeur associé à Sciences Po Paris. Il a publié Les Socialistes (Le Cavalier bleu, coll. « Les Idées reçues », 2010) et Les Socialistes français et le Pouvoir. L’ambition et le remords, avec Gérard Grunberg (Hachette Littératures, 2005). Il est membre du conseil d’administration de la Fondation Jean-Jaurès et préside l’Office universitaire de recherche socialiste.

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