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Maladies nosocomiales: il faut lever le tabou pour sauver des milliers de vies

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JOL Press : Qu’est-ce qu’une infection nosocomiale ?
 

Dr Philippe Garnier : En France, on définit une infection nosocomiale comme une infection qui se déclare après 48h de séjour à l’hôpital, ce qui réduit considérablement le champ de ce problème. Dans les autres pays, notamment anglo-saxons, on ne parle plus d’infection nosocomiale mais d’infection associée aux soins. C’est-à-dire que ce sont des infections qui sont consécutives à un soin, essentiellement en milieu hospitalier (en hôpital ou en clinique) mais pas seulement.

La définition française pose problème : par exemple, sur l’ensemble des bactériémies (ou septicémies), 45% sont nosocomiales selon la définition française et 35 à 40% sont associées aux soins. En France, on néglige donc presque la moitié du problème. Pourtant, ces infections associées aux soins ne se déclarent pas à l’hôpital mais ont bien été provoquées par des soins donnés à l’hôpital.

Et cela s’amplifie du fait des nouvelles modalités de soin. Quand vous faites de la chirurgie ambulatoire [permettant la sortie du patient le jour même de son admission à l’hôpital], si une infection se déclare quelques jours après l’opération, à la maison par exemple ou dans un établissement de convalescence, elle est bien due à cette opération mais elle ne sera pas considérée comme une infection nosocomiale selon la définition française du terme.

JOL Press : Qu’est-ce qui favorise le développement d’infections nosocomiales ?
 

Dr Philippe Garnier : Le mécanisme des infections nosocomiales est essentiellement favorisé par ce qu’on appelle la « transmission croisée » : c’est un germe qui peut venir d’un soignant ou d’un autre malade. Le germe peut se transmettre par la toux par exemple, mais aussi par des instruments (cathéter, perfusion…). Il peut donc être transmis directement (mains sales) ou par l’intermédiaire d’un dispositif médical ou d’un soin (problème de stérilisation ou d’asepsie). Si la France a encore des progrès à faire, elle a cependant bien pris en compte ce type d’infection.

Par contre, on a tendance à négliger d’autres mécanismes d’infections nosocomiales, notamment ceux des infections endogènes. 40% des gens ont de façon permanente ou transitoire des staphylocoques dans les fosses nasales ou sur la peau. À l’occasion d’une incision, d’une piqûre, d’une pose de perfusion ou d’une intervention chirurgicale, les staphylocoques peuvent rentrer dans l’organisme et entraîner des dégâts considérables (infections ostéo-articulaires pouvant mener à des amputations).

Un grand débat a eu lieu en France il y a quelques années pour savoir si ces infections endogènes pouvaient être considérées comme nosocomiales ou non, c’est-à-dire si elles relevaient de la responsabilité des soignants ou pas. Il a été décidé pour diverses raisons que ce type d’infections étaient « irrésistibles », autrement dit, on n’y peut rien. Or, beaucoup d’expériences faites à l’étranger (notamment aux États-Unis, en Australie ou en Espagne) montrent que l’on peut prévenir ces infections-là. Si l’on immunise le germe avant l’intervention, en donnant un traitement spécifique au patient quelques jours avant lopération, il n’y a donc pas de risque d’infection.

JOL Press : Certaines interventions chirurgicales seraient donc inutiles ou pourraient être évitées pour limiter le risque d’infection ?
 

Dr Philippe Garnier : Dans les années 90 par exemple, on faisait 300 000 appendicectomies (opérations de l’appendice). Aujourd’hui, on en fait à peu près 90 000. On a donc réduit des deux tiers le nombre de ces opérations, réduisant en même temps le nombre d’infections nosocomiales du tube digestif (environ 8 à 10% dans ce type d’opération). Aujourd’hui, il y a un mouvement au niveau des pays anglo-saxons pour traiter les appendicites avec des antibiotiques. On évite là encore deux tiers des interventions chirurgicales (donc 60 000), ce qui pourrait éviter finalement 6 000 infections nosocomiales.

C’est la même chose concernant les accouchements : certains établissements pratiquent un très grand nombre de césariennes. Or le risque d’infection nosocomiale provoquée par ce type d’intervention est deux fois plus important qu’un accouchement par voie basse, quand elle est faite de façon programmée. Quand elle est faite en urgence, c’est trois fois plus de risques. Toute césarienne qui n’est pas indispensable est donc un risque en plus pour la mère et pour l’enfant.

JOL Press : Quel lien faites-vous entre ces infections et le déficit de la sécurité sociale ?
 

Dr Philippe Garnier : La littérature scientifique sur ce sujet est à 80-90% anglo-saxonne. Les Américains ont l’habitude de tout transformer en dollars : dans une de leurs études, ils parlent des septicémies et bactériémies qui coûteraient entre 20 000 et 40 000 euros.

Or en France, on a chaque année 130 000 bactériémies dont 80% qui sont nosocomiales ou associées aux soins – donc environ 100 000. Si on en évite ne serait-ce que 50 à 60% d’entre elles comme dans les pays déjà cités, en ne retenant que le chiffre bas de 20 000 euros chacune, cela représente tout de même entre 1 et 1,2 milliard d’euros que l’on pourrait économiser. Les infections liées à des staphylocoques, c’est 100 millions d’euros de dépenses qui pourraient être évitées. Quand on cumule tous les types d’infections nosocomiales et les interventions inutiles, on arrive à 3 ou 4 milliards [le déficit de la sécurité sociale dans son ensemble s’élève en 2013 à environ 8 milliards d’euros].

À l’origine de ce problème infectieux, il y a donc aussi un problème financier, économique et structurel. Le problème du financement de la sécurité sociale, c’est que l’on ne débat que sur la diminution des remboursements ou l’augmentation les cotisations. Mais il faudrait aussi penser à réduire le stock de soins à ce qui est vraiment justifié médicalement : la lutte contre le risque infectieux en milieu de soins peut permettre de réduire ce stock. Il y a également des tendances inflationnistes conjoncturelles, dues à l’organisation et à la gestion des soins et au système de facturation, qui doublent les économies possibles. Enfin, il y a des tendances inflationnistes structurelles (vieillissement de la population, progrès technologiques,…) que la société doit assumer.

JOL Press : Quels moyens pourraient alors être utilisés pour prévenir et lutter efficacement contre les infections en milieu de soins ?
 

Dr Philippe Garnier : Réduire l’agressivité des soins et n’intervenir que quand c’est indispensable fait partie de la lutte contre les infections nosocomiales. Dans le cadre du développement de la chirurgie ambulatoire, il convient de mettre en place tout le dispositif de traitements donnés au patient avant l’intervention et faire en sorte que toutes les solutions et structures soient prêtes pour l’accueillir lorsqu’il sort de l’établissement (soins à domicile, rééducation etc.). Aujourd’hui, il n’y a en France qu’un petit nombre d’interventions légères qui passent à la chirurgie ambulatoire contrairement aux États-Unis où 85% des interventions chirurgicales, y compris les plus lourdes, se font en ambulatoire.

JOL Press : Combien de personnes meurent, aujourd’hui, de maladies nosocomiales en France ?
 

Dr Philippe Garnier : Le problème en France c’est que l’on n’arrive pas à avoir de chiffres relativement précis sur ce phénomène infectieux global. Dans les années 90, on parlait de 4000 morts de maladies nosocomiales : un chiffre bien en-dessous de la réalité. Les bactériémies et septicémies font déjà entre 20 et 25 000 morts par an. Sur le taux d’infections nosocomiales, la seule enquête nationale de prévalence, qui a lieu à peu près tous les 5 ans, donne le nombre de malades à un jour donné dans l’année – ce qui ne donne pas le nombre de malades par an. On ne peut donc pas avoir de chiffre sérieux, officiel, sur l’ampleur du phénomène en France.

JOL Press : Le personnel de santé et les patients sont-ils, selon vous, suffisamment informés sur ce type d’infection ?
 

Dr Philippe Garnier : Ils sont suffisamment informés sur la partie nosocomiale. Par contre, ils ne sont quasiment pas du tout informés sur la partie « infections associées aux soins », et sur les autres mécanismes d’infection (endogène etc.).

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Philippe Garnier est médecin général de santé publique, épidémiologiste et biostatisticien. Il rejoint le ministère de la Santé après une longue carrière à l’étranger. Divers dossiers lui sont confiés dont celui des infectons nosocomiales. Aujourd’hui à la retraite, il est l’auteur de Infections nosocomiales et trou de la Sécu, éditions L’Harmattan, octobre 2013.

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