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Montebourg veut créer une entreprise publique: un risque d’autarcie?

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Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a annoncé dans un entretien au Parisien la « renaissance » d’une Compagnie nationale des mines de France (CMF). Dotée d’un budget de 200 à 400 millions d’euros, elle sera chargée d’explorer les sous-sols français et étrangers. « Avec l’appui du président de la République, j’ai organisé la renaissance d’une compagnie nationale des mines pour prospecter et exploiter d’abord notre sous-sol -tout en respectant les aspirations environnementales de nos concitoyens », a-t-il déclaré. Comment expliquer une telle décision ? Le colbertisme serait-il de retour ?

JOL Press : Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a annoncé vendredi, dans le Parisien, la création de la Compagnie nationale des Mines. Comment interpréter ce retour d’un « Etat actionnaire » ?

Jean-Marc Daniel : Je pense que c’est un retour en arrière, un retour vers le passé. C’est une incompréhension de l’économie dans laquelle on vit. L’Union européenne n’arrête pas de mettre en place des programmes de privatisation et la logique des traités européens c’est de laisser gérer l’activité économique par le secteur privé. Il existe des monopoles naturels comme la gestion des voies de chemin de fer ou d’autres secteurs qui ne peuvent être mis en concurrence. Même les entreprises uniques sont très souvent remises en concurrence. L’idée d’avoir une entreprise publique qui gère une activité économique est contraire à l’état d’esprit des traités européens.

Par ailleurs, dans le secteur minier, on a connu des entreprises publiques. L’entreprise de référence, Charbonnages de France (CdF), était un gouffre financier qui a géré la diminution progressive de la production de charbon. Cette entreprise a coûté des fortunes aux contribuables. Cette création de la Compagnie nationale des Mines me paraît donc être une erreur qui va nous conduire à une accumulation des déficits.

« Nous recherchons du lithium par exemple, un métal fondamental pour les batteries des véhicules électriques », explique Arnaud Montebourg. « Avec notre nouvelle compagnie minière, nous protégerons nos intérêts nationaux ». Mais si cette exploitation était rentable, cela ferait bien longtemps que des compagnies privées auraient exploité le lithium.

JOL Press : Dans ce contexte, comment expliquer cette décision politique ?

Jean-Marc Daniel : Arnaud Montebourg défend l’idée d’une indépendance nationale. Certes les métaux précieux et les terres rares seront plus chers mais nous serons maître de notre sol et don de notre ressource. Mais cette logique risque de nous conduire à vivre en autarcie, alors que nous sommes dépendants de l’étranger pour presque tout. Même les produits les plus élémentaires sont produits dans de multiples pays.

L’économiste américain, Milton Friedman, expliquait qu’on pouvait croire que le crayon à papier – objet très simple s’il en est – était fabriqué uniquement avec des produits américains. Mais pas du tout : le bois venait du Canada, la mine, en graphite, venait de Tchécoslovaquie – à l’époque – le petit bout en aluminium était originaire de France et la petite gomme du Brésil. Un pays qui cherche à tout produire n’y arrivera pas. Cette logique est vaine.

Arnaud Montebourg veut aussi rééquilibrer le commerce extérieur, car quand on soi-même on évite l’importation, sauf que toutes mesures protectionnistes se traduisent, en général, par une perte de pouvoir d’achat. Si on impose aux entreprises françaises d’acheter du lithium français, elles le paieront plus cher que le lithium bolivien, cela augmentera donc leurs coûts et, par-là, leurs prix. Elles auront donc plus de mal à exporter et l’augmentation de leur prix aura un impact, à l’intérieur, sur le pouvoir d’achat des populations.

JOL Press : Pouvait-on s’attendre à ce type de décision après le tournant social-démocrate de François Hollande ?

Jean-Marc Daniel : Arnaud Montebourg est un défenseur du protectionnisme qui a comme soutiens en France l’extrême droite, qui veut sortir de l’Union européenne et de la zone euro pour pouvoir dévaluer, l’extrême-gauche ou l’aile gauche du Parti socialiste. Il essaie de maintenir son programme des primaires mais cette politique est totalement perpendiculaire à la ligne défendue et voulue par François Hollande. Cette décision est avant tout une affaire de communication.

Si François Hollande autorise ce type de discours c’est qu’il souhaite se réconcilier avec l’aile gauche du PS tout en mettant en place son pacte de responsabilité. Un grand nombre de Français adhère à ce discours protectionniste, le chef de l’Etat n’est donc pas mécontent que l’un de ses ministres aille sur ce terrain-là. Dans un même temps Arnaud Montebourg lisse son discours sur les entreprises, dit du mal de l’euro et fait des déclarations qui ne prêtent pas à conséquences.

JOL Press : Entre un financement public et un financement privé, quelles différences pour une entreprise ?

Jean-Marc Daniel : Pour une entreprise, le financement public est une source de revenu sure. La question est de savoir comment elle va utiliser ce revenu qui ne correspond pas à son activité traditionnelle. Qui va en bénéficier ? Les salariés ? Les acheteurs ? Cette entreprise va employer des gens qui font perdre de l’argent à l’entreprise puisqu’elle ne sera pas rentable, leur travail coutera trop cher par rapport à la réalité économique. Une entreprise privée en situation de concurrence disparait si l’activité n’est pas rentable et si elle est rentable elle en fait bénéficier les acheteurs afin de pouvoir baisser ses prix et les maintenir assez bas.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Marc Daniel a alterné des fonctions dans l’administration active (direction régionale de l’INSEE à Lyon, direction du Budget, régime de Sécurité sociale des mineurs, Ministère des Affaires Etrangères), dans les cabinets ministériels (au Ministère de la Culture et au Ministère des Affaires Etrangères) et dans des fonctions d’économiste et d’enseignant (chargé d’étude à l’OFCE, cours donnés à ESCP Europe, à l’Ecole des Mines, à Paris X et à l’ENSAE).

A l’heure actuelle, outre ses cours à ESCP Europe, il est responsable de l’enseignement d’économie aux élèves – ingénieurs du Corps des mines. Il est également membre du conseil d’administration de la Société d’Economie Politique. Il travaille essentiellement sur la politique économique, dans ses dimensions théoriques et dans ses dimensions historiques.

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