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Municipales: la stratégie que doit adopter l’UMP face à la montée du FN

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Devant environ 600 personnes, Jean-François Copé a exhorté les électeurs de Vaucluse, où le Front national fait traditionnellement des scores importants, à se mobiliser derrière les candidats UMP. « Il ne faudra pas que les voix nous manquent », a-t-il lancé. « Voter FN, c’est enlever une voix à l’UMP, c’est en donner une à la gauche car nous ne ferons jamais alliance avec le FN », a-t-il ajouté. Mais quelle est clairement la stratégie de l’UMP face à la montée du FN ? Eléments de réponse avec Jacques Le Bohec, professeur en Sciences politiques à l’Université Lyon 2 et spécialiste du Front national.

JOL Press : L’UMP appelle les Français à « sanctionner le PS » lors des municipales. Mais les Français vont-ils se servir de l’UMP comme d’un vote sanction, après des années de droite au pouvoir ?

Jacques Le Bohec : C’est bien tout le problème, en effet, de la dimension locale ou nationale des votes aux élections municipales. On ne peut pas le savoir avec précision avant que le scrutin se soit déroulé, bien entendu. On sait aussi qu’on ne peut pas faire confiance aux sondages, bien que ceux-ci soient pris en compte par la plupart des candidats pour ajuster leurs campagnes respectives.

Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’offre ne sera pas la même partout car les alliances entre partis sont à géométrie variable ; cela concerne surtout les partis à gauche du parti socialiste. Les écologistes et les partis du Front de gauche se présentent tantôt seuls tantôt alliés au PS. Cela brouille leur image et ne les pose pas en alternative claire et simple, audible et crédible, aux deux partis dominants.

Notamment parce que certaines franges du PCF ont préféré sauver des positions locales au risque de grever l’avenir du Front de gauche pour un plat de lentilles (faire survivre les prébendes des apparatchiks). On a vu aussi certains dirigeants de Gauche unitaire (Christian Piquet et quelques uns) se rallier aux listes Hidalgo à Paris au mépris de la démocratie interne pour occuper quelques strapontins. 

On sait aussi que les futurs résultats ne doivent pas être analysés seulement en fonction du parti de la tête de liste mais aussi de la dichotomie sortant/prétendant. Or dans les villes, il y aura sans doute une prime au sortant, qui bénéficie des relais associatifs subventionnés ainsi que des projets et des services publics de proximité financés par les contribuables. En outre, certains candidats UMP se refusent à faire campagne sur un clivage national assimilable à un vote sanction envers le parti qui contrôle les sommets de l’Etat actuellement.

Mais vous avez raison, moins de deux ans après l’alternance, il n’est pas certain que les électeurs (qui ne sont pas tous de nationalité française, attention)  aient oublié les multiples échecs du binôme Sarkozy/Fillon. On peut supposer par inférence qu’à l’UMP ils disposent de sondages allant dans ce sens. D’où la discrétion de l’ancien président de la République.

JOL Press : Quelle stratégie peut mettre en place l’UMP pour bien se démarquer du FN ? 

Jacques Le Bohec : Il n’est pas certain qu’il y ait une quelconque élaboration stratégique commune aux caciques de l’UMP à ce sujet. Veulent-ils même se démarquer du FN ? Sur ce point, on a l’impression qu’ils sont restés dans une posture assez mécanique calquée sur les deux décennies précédentes, d’avant la succession père/cadette à la tête de ce parti.

Cela consiste non seulement à reprendre ses « thèses » traditionnelles sans l’admettre mais aussi à signifier le maintien d’un « cordon sanitaire » (pas d’alliance ni locale ni nationale). Ils cherchent rituellement à s’en démarquer tout en se situant par rapport au FN, ce qui lui donne le beau rôle. 

Mais c’est sans compter avec les rivalités entre les successeurs autoproclamés de Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa, Jean-François Copé et François Fillon. Ces derniers ont, l’année dernière, envoyé des signes allant dans le sens d’une « compréhension » des électeurs du FN, autrement dit en faisant de la surenchère et en montrant qu’ils les avaient « compris » (sans l’accent gaullien…). La sentence « On ne fait pas d’alliance avec le FN, mais on ne fait pas d’eau tiède » de Jean-François Copé l’illustre bien. Mais ils se fourvoient doublement et lourdement.

D’une part, ils se fient aux sondages qui leur disent que les électeurs votent par adhésion à des idées, c’est la limite énorme de cette technique qui demande aux électeurs d’ « opiner ». Ils risquent donc ne pas « récupérer » la moindre brebis égarée et de légitimer le parti honni.

D’autre part, les idées du FN sont variées et si l’on considère celles exprimées par Marine Le Pen on est obligé de constater plusieurs écarts notables avec les idées jadis exprimées par son paternel et ses affidés. Si on l’écoute vraiment, on se rend compte que certaines de ses positions sont plutôt de gauche. Dans ces conditions, on comprend qu’il n’est pas facile pour l’UMP de se démarquer d’un parti aussi hétéroclite et mouvant.

Il ne faut pas oublier non plus que certains notables de l’UMP professent des idées ultra-conservatrices sur les questions de mœurs ou sur l’immigration qui les placent plus à droite que le Rassemblement Bleu Marine…

JOL Press : On observe dans certaines villes du Nord que la montée du FN n’affecte pas le PS mais l’UMP. Le FN aurait-il réussi à séduire une partie de l’électorat de droite, après avoir attiré à lui les ouvrier ?

Jacques Le Bohec : Vous vous basez sans doute sur des sondages. Or j’ai d’excellentes raisons de les prendre avec des pincettes. Le FN va-t-il obtenir des taux plus élevés qu’à l’accoutumée lors de ces municipales ? Sans doute un peu, effectivement. On verra bien. La chose sera sans doute plus spectaculaire pour le scrutin européen de juin prochain car il risque d’arriver en tête des partis en France et cela devrait faire jaser dans le tout-Paris.

Ces sondages ont le défaut de supposer que les électeurs ne sont que des électeurs et qu’ils sont très politisés, autrement dit qu’ils votent en fonction de considérations politiques. On sait, même si cela peut surprendre et même choquer, que c’est le cas d’une minorité de citoyens seulement.

En outre, les électeurs ne votent pas parce qu’ils sont « séduits » par un discours, des symboles ou une personnalité. La motivation exprimée verbalement ou cochée dans un sondage (en ligne le plus souvent !) ne dit rien des raisons et des causes réelles, profondes, des votes. C’est souvent une rationalisation valorisante et non une explication pertinente.

De surcroît, il est risqué de classer les électeurs par rapport à une sensibilité politique stable à cause de la faible politisation de la majeure partie de la population. On ne peut pas parler d’ « électorat » homogène et politisé qui serait fidèle à un parti. C’est d’ailleurs faux dès que l’on s’intéresse aux premiers et seconds tours des scrutins.

Enfin, concernant les ouvriers, il faut éviter de supposer qu’il existe un groupe ouvrier comme jadis (et même), organisé et conscient de son statut de classe en soi et pour soi. Le démantèlement des solidarités ouvrières et le chômage de masse sont passés par là pour douter que les votes des ouvriers doivent être étudiés en tant que tel.

Il y a rapport mythologique aux « ouvriers » dont il faut se défaire et qui conduit à oublier les intérimaires, les employés et les chômeurs, hommes et femmes, jeunes et vieux, urbains et ruraux. Mais on s’y intéresse car la crainte des classes laborieuses classes dangereuses demeure dans la bourgeoisie. De même que l’idée fallacieuse que les « ouvriers » voteraient en majorité pour le FN. 

JOL Press : « Voter FN, c’est enlever une voix à l’UMP, c’est en donner une à la gauche car nous ne ferons jamais alliance avec le FN », explique Jean-François Copé. Les alliances ne sont-elles pas pourtant le dernier atout de l’UMP ?

Jacques Le Bohec : C’est un propos qui répond surtout à ses intérêts conjoncturels. Il veut logiquement que les électeurs optent pour son parti plutôt qu’un autre. Il serait extrêmement joyeux ou scandaleux d’entendre le dirigeant d’un parti appeler à voter pour son rival en public… On sait que Jacques Chirac a appelé en sous-main le parti gaulliste à voter François Mitterrand en 1981 pour éliminer Valéry Giscard d’Estaing. Mais il me semble que c’est une exception.

Concernant une éventuelle alliance avec le FN, pour l’UMP c’est la quadrature du cercle. Avec ou sans les centristes de l’UDI à ses flancs, les dirigeants savent très bien qu’ils risquent de perdre d’un côté (radicaux, démocrates-chrétiens, humanistes) ce qu’ils gagneront de l’autre. Du coup, ils sont attentistes. Or il n’est pas certain que les lignes bougent énormément lors les municipales. Et ils prendraient un risque en renversant les alliances suite à un score spectaculaire du FN aux européennes.

Pour les municipales, on peut tabler sur une abstention plus importante que d’habitude, notamment de la part d’électeurs écœurés par la droitisation accomplie du PS. Mais si ces derniers optaient massivement pour le FN par dépit et par défaut, l’UMP se sentirait contraint de passer des alliances (alors que l’ « électorat » ne serait pas pour autant stabilisé à cet étiage). 

Certains électeurs sont mécontents mais restent fatalistes et adhèrent au discours selon lequel il y aurait une crise et il faudrait se serrer la ceinture. L’autre problème, c’est l’incompatibilité entre les positions de Marine Le Pen, souverainistes, et celles de l’UMP, euro-libérales. On voit mal sur quelles bases ces deux partis pourraient s’accorder. Comme je l’ai indiqué plus haut, la question de l’immigration n’est pas aussi centrale qu’on pourrait le penser alors que les élites politiques sont très convergentes sur ce point.

La « lepénisation des esprits », comme l’ont montré Sylvie Tissot et Pierre Tévanian, est surtout prégnante parmi les élites (Michel Rocard, Jacques Chirac, Brice Hortefeux, Christian Estrosi, etc.). Toutes ces forces contraires vont sans doute se neutraliser pour une évolution minime de la situation de domination de l’UMP et du PS.

Mais ce qui est fascinant avec les élections politiques, c’est l’aspect magique des scores qui sortent des urnes, d’où la tentation de minimiser l’incertitude du résultat final. Les sondages font partie de ces rituels magiques, propitiatoires. Comme l’a montré Chrystèle Marchand dans une enquête menée dans le Vaucluse, il est probable que le FN obtienne des scores plus élevés que ce qu’indiquent les sondages fabriquées par les firmes privées.

Les intentions de voter FN sont toujours taboues et cachées à 50%, dans des proportions variables selon les villes, qui plus est. D’où le suspense.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jacques Le Bohec est professeur à l’Université Lyon 2, diplômé de Sciences-Po Bordeaux et spécialisé en sciences de l’information et de la communication.

Ouvrages parus:
– Gauche-droite. Genèse d’un clivage politique, coll. en codirection avec C. Le Digol, PUF
– Dictionnaire du journalisme et des médias, PUR, 2010.
– Elections et télévision, PUG, 2007.
– Sociologie du phénomène Le Pen, La Découverte, Repères, 2005.
– Les interactions entre les journalistes et J.-M. Le Pen, L’Harmattan, 2004.
– L’implication des journalistes dans le phénomène Le Pen, L’Harmattan, 2004.
– Les mythes professionnels des journalistes, L’Harmattan, 2000.
– Les rapports presse-politique, L’Harmattan, 1997.

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