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Naoto Matsumura, le dernier homme à Fukushima: «le choix de la dignité»

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JOL Press : Pouvez-vous décrire la zone qui entoure la centrale de Fukushima ?
 

Antonio Pagnotta: C’est un territoire fantôme où le silence règne. La végétation envahit les rues alors que les maisons à l’abandon sont lentement détruites par les secousses sismiques qui se succèdent. De très rares bruits, peu de chants d’oiseaux, pas de moustiques ni de mouches, même sur les cadavres d’animaux. 

JOL Press : Dans votre livre, vous racontez l’histoire de Naoto Matsumura, un fermier qui continue à vivre dans la zone interdite près de la centrale. Comment êtes-vous rentré en contact avec lui ? 
 

Antonio PagnottaJ’ai obtenu son numéro de téléphone portable par le bureau de l’AP à Tokyo. Deux journalistes de cette agence de presse américaine l’avaient rencontré par hasard dans la ville évacuée de Tomioka. Il était le seul habitant qui refusait l’évacuation obligatoire et, de plus, il exprimait sa colère contre Tepco l’opérateur de la centrale nucléaire explosée. Il était le premier homme en colère.

JOL Press : Pourquoi a-t-il voulu rester dans cette zone ? 
 

Antonio PagnottaIl a été contraint d’évacuer une première fois en compagnie de ses parents, mais le centre d’évacuation était plein et les parents qui auraient dû l’accueillir à bras ouverts, l’ont rejeté. Il s’est senti devenu un exclu. Il était devenu un paria. Le choix de rester était le seul choix, celui de la dignité.

JOL Press : Comment est-il perçu par son entourage ?
 

Antonio PagnottaAu début il était perçu comme un désespéré, puis comme un fou et enfin comme un original. Lorsque la presse étrangère a commencé à parler de sa résistance, les opinions se sont diversifiées. Aujourd’hui beaucoup de Japonais le soutiennent en lui envoyant de l’argent et des vivres.

JOL Press : A-t-il un lien vers l’extérieur ?
 

Antonio Pagnotta: La seule compagnie qu’il avait, était ses animaux. Il avait ses trois chiens plus les animaux abandonnés dans la ville qu’il allait nourrir.

Au tout début, le premier lien avec l’extérieur était son téléphone portable dont il rechargeait la batterie sur l’allume-cigare de son camion. Ce téléphone lui a permis d’établir un premier blog avec l’aide d’un ami. Puis Koji Harada, un grand photographe de l’agence Kyodo suite à un reportage effectué, lui a fait don d’un Ipad et à partir de cet instant Naoto Matsumura a pu établir sa page Facebook et son blog.

JOL Press : Comment sont traitées les personnes « contaminées » au Japon? Vous parlez de « parias » ?
 

Antonio PagnottaAu moment du second anniversaire, en mars 2013, des commentaires circulaient sur Internet ou les femmes de Fukushima étaient appelées des marchandises avariées. La souillure radioactive a entrainé une discrimination de la population évacuée par peur de la contamination. Ipso facto, les évacués et réfugiés de Fukushima sont considérés comme des « intouchables », des personnes dont les gènes peuvent être porteurs de malformations futures. Cette mise à l’écart sociale amplifie les multiples traumatismes vécus. Le dernier en date est lié aux produits de la préfecture qui ne se vendent pas pour des raisons évidentes. Des produits agricoles aux personnes, un vide se crée autour d’eux, qui les enferme davantage dans leurs conditions de victimes, tout autant que parias.

JOL Press : Pourquoi avez-vous décidé de retirer le masque censé vous protéger des radiations ?
 

Antonio PagnottaLorsque je me suis trouvé face à Naoto Matsumura en pleine nuit, je me suis rendu compte qu’il m’était impossible de communiquer avec le masque à gaz. C’était le premier problème que je devais résoudre pour pouvoir réaliser mon reportage. Le second problème était sa dignité ; il m’était impossible de ne pas être en empathie avec lui, en égal dans sa souffrance. Son courage et son humanité étaient tels que deux choix s’offraient à moi : je devais m’en aller où me montrer à la hauteur de son courage.

JOL Press : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de cette rencontre ?
 

Antonio PagnottaSa force exceptionnelle et son charisme ; pour un homme du terroir, il était totalement atypique mais aussi en tant que Japonais. Il semblait directement sorti d’une légende du Japon archaïque. J’ai compris que dans les années de lutte et de souffrances qui viendraient, il pouvait faire la différence.

Propos recueillis par Louis Michel D. pour JOL Press

 

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