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Notre-Dame-des-Landes: la rupture consommée entre les Verts et le PS?

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Les déclarations de Cécile Duflot contre le projet d’aéroport nantais ont déclenché une polémique au sein de la majorité. « Les écologistes ont-ils tort de s’opposer à la construction ? Non, parce que c’est leur position », a expliqué Najat Vallaud-Belkacem sur i-Télé. « Fallait-il condamner les actes de violence ? Oui, et c’est ce que leur a demandé le Premier ministre ». « Qu’il y ait eu des malentendus ? Indubitablement», a ajouté la porte-parole du gouvernement. La position d’EELV est-elle ambiguë ? Eléments de réponse avec Daniel Boy, politologue et co-auteur du livre « L’écologie au pouvoir » (Les Presses de Sciences Po – 1995). 

JOL Press : Le soutien de Cécile Duflot aux opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes va-t-il définitivement sceller une rupture entre les Verts et le gouvernement ?

Daniel Boy : On pourrait croire que cette actualité soit, en effet, l’élément déclencheur mais pour le moment il ne s’est rien passé. C’est une goutte d’eau de plus mais il y en a eu d’autres : on pense à l’éventuel remplacement des vieilles centrales nucléaires par des réacteurs de type EPR – réacteurs troisième génération ayant pour objectif d’améliorer la sûreté et la rentabilité économique des centrales – ou à la question du gaz de schiste. Mais il faut faire la distinction entre ce qui pourrait pousser les Verts à quitter le gouvernement et ce qui pourrait inciter François Hollande à dire aux Verts qu’ils ne peuvent plus rester.

En assurant les manifestants de sa sympathie, Cécile Duflot a pris publiquement parti contre Jean-Marc Ayrault, sans préciser qu’il s’agissait uniquement de sa position personnelle. S’il était convenu qu’il n’y avait pas d’accord entre les Verts et le Parti socialiste sur la question de Notre-Dame-des-Landes, il n’en demeure pas moins que l’interview de la ministre du Logement est assez radicale, d’autant que la manifestation a mal tourné. Certes les dégradations et les violences ont été condamnées par l’ensemble des cadres écologistes mais on peut imaginer que l’exécutif considère cette affaire comme un « casus belli ». La difficulté c’est que François Hollande ne peut pas se passer des Verts pour le moment. Il a besoin de leur soutien à l’Assemblée.

JOL Press : Le Premier ministre déclarait dimanche, à Presse-Océan, que les Verts devaient « sortir de l’ambiguïté ». La position d’EELV est-elle ambiguë ?

Daniel Boy : En ce qui concerne Notre-Dame-des-Landes, il n’y a pas d’ambiguïté. Je ne vois pas ce que veut dire Jean-Marc Ayrault. Quant à savoir si les Verts appartiennent encore à la majorité, personne ne peut répondre à cette question. Les Verts ont toujours dit qu’ils étaient dans la majorité sur l’ensemble des sujets sauf le nucléaire, le gaz de schiste ou Notre-Dame-des-Landes. Tout ce qui n’est pas dans l’accord entre les Verts et le PS n’est pas sujet à ambiguïtés.

Le problème qui se pose aujourd’hui c’est que la déclaration de Cécile Duflot est un peu violente. Les Verts peuvent dire ce qu’ils veulent, un ministre ce n’est pas pareil. Un ministre peut rappeler la position de son parti et donner son avis personnel mais approuver une manifestation qui met en cause l’action du Premier ministre, c’est un peu limite. Maintenant c’est à François hollande et Jean-Marc Ayrault de décider s’ils peuvent se passer du soutien des Verts à l’Assemblée.

JOL Press : « Nous avons avalé tellement de couleuvres que nous sommes complètement déconsidérés », a déclaré l’ancien membre d’EELV, Noël Mamère. Qu’en pensez-vous ?

Daniel Boy : Ce n’est pas le problème du gouvernement de savoir si oui ou non il doit considérer les Verts. La seule question que doit se poser aujourd’hui le gouvernement c’est de savoir s’il doit  ou pas se passer des Verts surtout à quelques semaines du  vote de confiance à l’Assemblée sur le pacte de responsabilité. Faut-il affaiblir davantage la majorité présidentielle ? Quand vous risquez d’avoir un vote court à l’Assemblée, pouvez-vous vous passer de 17 voix ?

JOL Press : Les Verts n’apparaissent-ils pas faibles en cette veille d’élections ?

Daniel Boy : On verra bien. Aux municipales, ils font généralement des scores autour de 6% à 8% là où ils se présentent. S’ils font moins de 8% le 23 mars, il y aura un problème, d’autant qu’ils sont allés assez souvent au combat seuls, sans alliance au premier tour avec le PS. Et force est constater qu’ils n’ont jamais été aussi bas dans les sondages même si, aux municipales, on vote davantage sur la gestion de la ville que sur la ligne politique. Aux élections européennes, tout dépendra des têtes de listes. Le parti avait connu un succès inattendu aux européennes de 2009, faisant jeu égal avec le PS avec plus de 16% des voix, en grande partie grâce à Daniel Cohn-Bendit. Si cette année, ils ne dépassent pas non plus les 8% aux européennes, le signal envoyé ne sera pas bon.

JOL Press : Quel est aujourd’hui leur principal handicap ?

Daniel Boy : Les Verts souffrent d’un manque de visibilité et de clarté politique mais  ils peinent surtout à tenir un discours écologique en période de crise économique sévère. Nombreux sont les opposants de principe au gaz de schiste qui n’hésiteraient pas à accepter leur exploitation si cela devait être rentable pour la France.

JOL Press : La secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, a parlé de « participation combative à ce gouvernement ». Croyez-vous que l’électorat écologiste comprend bien ce discours ?

Daniel Boy : Je ne crois pas que cette ligne soit très lisible. Où est la frontière ? Quand Cécile Duflot proteste contre Manuel Valls au sujet des Roms et assume sa participation gouvernementale, elle n’est pas comprise non plus. Ce manque de positionnement ne risque pas de jouer en leur faveur lors des élections et ne peut pas durer éternellement quoiqu’il arrive.

Je crois que ce qui intéresse les électeurs écologistes c’est que la loi sur la transition énergétique – qui doit être présenté en juin au Conseil des ministres – aille jusqu’au bout. Le texte devrait prévoir de réduire la part du nucléaire dans la production électrique de 75 % à 50 % d’ici à 2025. « Si le texte de loi est mauvais et ne permet pas qu’on le vote, alors cela marquera notre rupture avec le gouvernement », a menacé Emmanuelle Cosse. On peut donc penser que les Verts attendront cette échéance pour se positionner.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Daniel Boy est titulaire d’une licence en droit et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. Il est directeur de recherche (FNSP) au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po, et enseignant au master de Sciences Po notamment en analyse quantitative des données. Ses recherches se sont développées dans trois domaines : la sociologie électorale, l’écologie politique en France et en Europe, les relations entre science, technique et société.

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