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Nouveau gouvernement italien: le changement dans la continuité?

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JOL Press : Matteo Renzi a choisi ses ministres : 8 hommes, 8 femmes, beaucoup de jeunes. Quelle image souhaite-t-il donner avec ce nouveau gouvernement ?
 

Hervé Rayner : La difficulté, pour Matteo Renzi, c’est de croire et de faire croire à un changement, sachant que la majorité sur laquelle il compte s’appuyer est la même que celle qui soutenait son prédécesseur Enrico Letta. Ce gouvernement est nouveau, non pas par la majorité qui va le soutenir, mais par la composition de ses ministres, qui sont effectivement plus jeunes et plus féminisés. Le rajeunissement et la féminisation avaient néanmoins déjà eu lieu aux élections de février 2013.

Matteo Renzi a aussi choisi de réduire le nombre de ministres avec portefeuilles – même s’il y aura sans doute beaucoup de secrétaires d’État nommés dans les prochains jours. On a vu des gouvernements avec 25 ministres, là on en a 16 avec, pour la première fois, une parité. Il a choisi une équipe plus restreinte de manière à la rendre peut-être plus homogène, ou plus facile à gouverner.

JOL Press : Les Italiens semblent pourtant sceptiques quant à la capacité de ce nouveau gouvernement à changer les choses. Plusieurs ministres faisaient déjà partie du gouvernement Letta. Matteo Renzi a-t-il seulement joué aux « chaises musicales » ?
 

Hervé Rayner : Matteo Renzi a intérêt à présenter son activité à la présidence du Conseil comme un tournant, même s’il s’appuie sur la même majorité et même s’il y a effectivement une continuité avec le gouvernement Letta : certains ministres ont été confirmés à leur poste, et d’autres nouveaux ministres étaient déjà secrétaires d’État dans le gouvernement précédent.

Il y a en effet beaucoup d’ambiguïtés dans ce nouveau gouvernement parce que Matteo Renzi a nommé à la fois un ministre qui provient du monde des Coopératives – immenses entreprises en Italie qui représentent plus d’un million de salariés et qui font des milliards d’euros de chiffre d’affaires –, monde surtout lié à l’ancien parti communiste dans les zones centrales de l’Italie, et en même temps; il a nommé Federica Guidi au ministère du Développement. Elle est une dirigeante et fille de dirigeant du syndicat patronal italien – la Cofindustria –, très proche de Berlusconi et de son parti Forza Italia.

Matteo Renzi essaie donc de faire le grand écart, de ménager la chèvre et le chou. Cela lui est d’ailleurs reproché. Federica Guidi est en effet présentée comme une « technicienne », mais il y a dix jours, elle participait à une réunion du parti berlusconien…

JOL Press : Le « technicien » Pier Carlo Padoan a été nommé au poste de ministre de l’Economie et des finances. Alors que l’économie italienne est sérieusement touchée par la crise, sera-t-il capable de relever le pays ?
 

Hervé Rayner : C’est un gros défi. La production industrielle a reculé de 25% depuis 2008. Sachant que l’Italie est la deuxième puissance industrielle en Europe, le recul d’un quart de ce secteur est vraiment catastrophique. La nomination de Pier Carlo Padoan, ancien dirigeant de l’OCDE et du FMI, à la tête du ministère de l’Economie, est cependant dans la continuité de l’ancien gouvernement puisque l’ancien ministre, Fabrizio Saccomani, était lui aussi un « technicien ». Le ministère de l’Economie, qui résulte de la fusion de plusieurs ministères – jusque dans les années 90 en Italie il y avait trois ministères différents pour l’Economie – est vraiment un ministère-clé.

La conjoncture économique étant ce qu’elle est, cela va être très difficile. Même si le PIB devrait stationner en 2014, voire connaître une légère croissance, il avait quand même connu un recul de 2% en 2013 – sur la même période, la France connaissait une croissance de 0,3% de son PIB. La situation économique italienne est vraiment difficile, beaucoup de licenciements sont prévus dans les mois qui viennent, et de nombreuses industries sont déjà à l’arrêt. Le chômage actuel est de 13%, sans compter les nombreux chômeurs « cachés », qui ne sont pas comptabilisés parce qu’ils sont au chômage technique (la « cassa integrazione »).

JOL Press : Que risque Matteo Renzi s’il ne parvient pas à mener à bien les réformes promises ?
 

Hervé Rayner : Il risque un éclatement de son parti, le Partito Democratico. Il y a en effet en Italie une crise des organisations partisanes : tous les partis, quels qu’ils soient, sont menacés par la rupture et par l’éclatement. On l’a vu il y a peu avec le parti berlusconien, ou avec le parti de Mario Monti qui, à peine né, était déjà scindé en deux. Il y a eu ce week-end des pressions de la part de certains membres de l’aile gauche du Partito Democratico, qui menaçaient de ne pas voter la confiance à Renzi. Le principal porte-parole de cette aile gauche, Giuseppe Civati, a notamment déclaré qu’il voterait la confiance non pas par conviction, mais pour ne pas être exclu du parti.

Le gouvernement peut également échouer rapidement, même si Matteo Renzi a déclaré ne pas craindre des élections anticipées. Des élections anticipées seraient redoutables pour le nouveau centre-droit d’Angelina Alfano, qui risquerait d’obtenir un score très faible et d’être complètement phagocyté par le parti de Berlusconi, Forza Italia. Matteo Renzi peut cependant jouer sur plusieurs tableaux : il la possibilité de s’appuyer au coup par coup sur le parti de Berlusconi, en terme de vote ponctuel sur tel ou tel projet de loi, et de s’appuyer sur le nouveau centre-droit, en les incitant à la loyauté et en les menaçant d’élections anticipées. Cela peut être un atout.

Renzi prétend cependant rester en place jusqu’en 2018, mais on voit bien que Letta avait demandé 18 mois pour mener à bien ses politiques, et il est parti au bout de 9 mois… Pour Matteo Renzi, « la strada è in salita », comme on dit en Italie. Autrement dit, la pente est rude.  

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Hervé Rayner est spécialiste de l’Italie contemporaine. Titulaire d’un doctorat sur la sociologie des scandales politiques en Italie (1992-1994), il est chargé de recherche et d’enseignement à l’Université de Lausanne (Suisse).

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