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Pacte de responsabilité: Pierre Gattaz a-t-il bien fait d’ouvrir les hostilités?

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Lors de la visite de François Hollande aux Etats-Unis, placée sous le signe de l’offensive économique, le président du Medef avait semé le trouble, expliquant que les allégements de charges promis aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité ne devaient pas s’accompagner d’une « contrainte ».

Lors de sa conférence de presse commune avec Barack Obama à la Maison-Blanche, François Hollande avait alors réagi : « Dans un pacte, chacun doit prendre des engagements. Le mot-clé, c’est la confiance. » « Des engagements, les entreprises doivent également en prendre au niveau approprié pour créer de l’emploi, améliorer la formation professionnelle, localiser des activités, développer les investissements », avait-il insisté. Le pacte est-il rompu avant même d’avoir vu le jour ? Eléments de réponses avec Patrice Laroche, auteur de Gérer les relations avec les partenaires sociaux (Dunod). Entretien.

JOL Press : Comment expliquer la sortie de Pierre Gattaz lors de son déplacement aux Etats-Unis, aux côtés du président de la République ?

Patrice Laroche : Selon certains journalistes, Pierre Gattaz aurait été agacé par certains propos d’Arnaud Montebourg lors de leur déplacement avec le Président de la République aux Etats-Unis. Pour d’autres, il n’aurait fait que dire – sans les précautions d’usage et en raison de la fatigue du voyage – ce qu’il pense vraiment depuis toujours, à savoir que les chefs d’entreprise ne peuvent pas s’engager contractuellement sur des embauches quand bien même ils bénéficieraient d’un allégement de charges sociales.

JOL Press : Comment peut-il désormais communiquer alors que les partenaires sociaux ne retiendront uniquement son expression : « Pas de contreparties » ?

Patrice Laroche : Les organisations syndicales feignent d’être surprises par les propos récents du Président du Medef car en réalité elles connaissent depuis le début la position du Medef sur le « pacte de responsabilité » proposé par le Président de la République. Pierre Gattaz et la grande majorité du patronat français ne s’en sont guère cachés même si leurs positions étaient plus ou moins nuancées. Ces dernières semaines, un grand nombre de représentants patronaux ont rappelé dans les médias qu’il leur serait difficile de s’engager sur un tel pacte. Cette position a d’ailleurs conduit Laurent Berger, le leader de la CFDT, a demandé un engagement « pas forcément chiffrés » mais plutôt sur les investissements qui vont être fait par le Medef.

JOL Press : Est-il allé trop vite en arborant à sa boutonnière : « Un million d’emploi » ?

Patrice Laroche : Très certainement. Pierre Gattaz a voulu rassuré le Président Hollande en laissant penser que le patronat pourrait jouer le jeu de la création d’emploi en échange d’un allégement des charges aux entreprises mais il a été très vite rappelé aux réalités économiques que connaissent les entreprises par ceux qu’il représente. La création d’emploi ne se décrète malheureusement pas même si on peut espérer que l’amélioration de la compétitivité (-coût) des entreprises françaises devrait conduire à la création d’emploi sur le territoire national.

JOL Press : Comment analyser l’état des relations entre François Hollande et Pierre Gattaz ? Se comprennent-ils ?

Patrice Laroche : Je pense qu’ils ont conscience l’un et l’autre des enjeux auxquels chacun d’entre eux est confronté et qu’ils se comprennent très bien. Pour l’un, il s’agit de défendre l’idée qu’il faut réduire les charges pesant sur les entreprises tout en sachant qu’elles ne peuvent s’engager fermement en termes de création d’emplois. Pour l’autre, il lui faut absolument trouver une solution pour réduire le chômage et il propose pour ce faire une politique d’abaissement des charges pesant sur les entreprises.

Contrairement à ce que certains laissent penser, François Hollande est loin de méconnaître le fonctionnement des entreprises et – en tant qu’ancien d’HEC – dispose d’une culture managériale tout à fait compatible avec celle de Pierre Gattaz. Cela étant, ils évoluent dans des environnements différents constitués d’acteurs qui ont des intérêts divergents et ils se doivent de tenir des positions qui reflètent celles de ceux qu’ils représentent.

JOL Press : Quelles peuvent-être, au final, les contreparties demandées aux entreprises ?

Patrice Laroche : Selon moi, les contreparties demandées aux entreprises ne peuvent pas être chiffrées et encore moins annoncées précisément à l’avance, comme a pu le faire Pierre Gattaz il y a quelques mois. Ces contreparties doivent avant tout être des engagements en termes de moyens mis en œuvre au niveau des entreprises ou des branches professionnelles pour faire en sorte que les entreprises créées finalement de l’emploi. Dans ces conditions, les syndicats ont un rôle important à jouer. Ils doivent participer à la mise en place des conditions nécessaires à la création d’emplois (développement de l’apprentissage, de l’emploi senior, …) et veiller à ce que les entreprises qui bénéficient d’allégement de charges investissent dans cette direction.

JOL Press : Comment François Hollande peut-il faire comprendre aux partenaires sociaux que son pacte de responsabilité n’est pas un cadeau pour les entreprises ?

Patrice Laroche : Il va avoir des difficultés à faire passer ce genre de message aux syndicats qui considèrent souvent qu’il s’agit d’un cadeau de plus à l’attention des entreprises. Ce n’est pas tant François Hollande qui doit rassurer les syndicats que le Medef qui va devoir faire montre de bonne volonté en matière de création d’emplois. François Hollande doit surtout faire en sorte que le dialogue social s’installe entre les partenaires sociaux et que chacun y trouve son compte. Jean-Marc Ayrault a fixé à fin mars le délai pour négocier le pacte de responsabilité. Les délais sont relativement courts au regard des débats que suscitent cette proposition gouvernementale.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Docteur en sciences de gestion, Patrice Laroche est professeur à l’ESCP-Europe et a enseigné dans de nombreuses Universités en France et à l’étranger. Spécialiste des relations sociales en entreprise, il a été chargé de mission au sein du Groupe Alpha (Expert du CE).

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