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Pourquoi le FN séduit autant le monde agricole?

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A la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen a recueilli 19,5% de voix dans le monde paysan, soit 1,5 point de plus que sa moyenne nationale. Et mardi 25 février, lors de sa visite du Salon de l’Agriculture, la présidente du Front national a suscité un intérêt certain de la part des agriculteurs sur place. Si François Hollande n’a pas été sifflé, il a nettement moins enthousiasmé les éleveurs et céréaliers sur place.

Le monde agricole est-il dorénavant acquis à Marine Le Pen ? Eléments de réponse avec Bruno Jeanbar, directeur général adjoint de l’institut de sondage Opinionway.

JOL Press : Marine Le Pen a reçu un excellent accueil au Salon de l’agriculture. Cela vous surprend-il ?

Bruno Jeanbar : Ce n’est pas surprenant dans la mesure où depuis le début des années 2000, on a observé une poussée du vote Front national auprès des agriculteurs. Déjà en 2002, Jean-Marie Le Pen avait réalisé un score élevé dans le monde agricole et en 2012, Marine Le Pen avait elle aussi obtenu de bons résultats. C’est d’autant moins surprenant que les agriculteurs votent traditionnellement à droite. En revanche, dans le monde agricole, le vote Front national n’est pas forcément un vote d’adhésion mais plutôt un vote de mécontentement et d’insatisfaction.

Marine Le Pen arrive à fédérer les mécontents, en particulier sur la question de l’Europe, mais aussi les jeunes en colère sur les difficultés des conditions de travail des agriculteurs. Le vote FN est avant tout contestataire dans le monde agricole, comme il l’est dans la France en général.

JOL Press : Peut-on aussi expliquer cette popularité par la migration des classes populaires vers les campagnes ?

Bruno Jeanbar : Il ne faut pas forcement assimiler le vote des agriculteurs qui est très spécifique avec la progression du Front national dans les zones rurales. Si les territoires sont les mêmes, les comportements au moment du vote ne sont pas automatiquement identiques. Dans les zones rurales, le FN avance, de façon assez paradoxale, sur des thèmes comme la sécurité, alors que l’insécurité est plus faible dans les campagnes, ou l’immigration qui n’est pourtant pas très importante dans ces zones. Ces populations, qui arrivent à la campagne par nécessité de s’éloigner des centres-villes, ont un sentiment de coupure avec le reste du pays, un sentiment d’abandon, et souffrent d’un manque de qualité des services publique, c’est ce qui peut les pousser à voter FN.

JOL Press : Quelles sont les principales revendications du monde agricole ? Qu’attendent-ils du personnel politique ?

Bruno Jeanbar : Un des grands enjeux, c’est le revenu agricole dans un certain nombre de secteurs. Mais dans le monde agricole, les secteurs sont très variés en termes d’essor économique. Dans l’élevage, par exemple, la question du revenu mais aussi la question de la compétitivité face à la concurrence européenne sont au cœur des préoccupations des agriculteurs. Le monde agricole est aussi extrêmement préoccupé par la transmission de son activité, par l’installation des jeunes et la capacité à pouvoir vivre de cette activité. Les agriculteurs sont inquiets de voir si peu de jeunes attirés par leur profession, ou se trouver en difficulté au moment de leur installation.

JOL Press : Que reproche concrètement le monde agricole à François Hollande ou à la gauche en général ? En 2012, alors candidat, François Hollande apparaissait en 4e position dans les intentions de vote des agriculteurs…

Bruno Jeanbar : Le vote des agriculteurs est traditionnellement et depuis de longues années acquis à la droite, car le monde agricole c’est le monde de la petite entreprise, de l’entreprise individuelle parfois ; on retrouve d’ailleurs ce phénomène chez les artisans et les commerçants. Les agriculteurs se retrouvent assez mal dans les valeurs de la gauche et de la collectivisation qui lui est associée dans l’esprit de ces populations.

Le problème vient moins de François Hollande que de la gauche en général. Quand on regarde l’image de François Hollande, ce n’est pas auprès des agriculteurs qu’elle sera la plus critiquée. C’est un monde qui cultive plus de conservatisme social et qui s’éloigne automatiquement de ce qu’est la gauche intrinsèquement.

JOL Press : Le grand débat et les manifestations qui ont suivi autour de la question de l’écotaxe ont-ils pu nuire à l’image de François Hollande dans le monde agricole ?

Bruno Jeanbar : Oui, probablement, mais finalement pas beaucoup plus que dans le reste de la population. C’est vrai que la question environnementale est une question sensible mais encore une fois cette disposition a suscité des réactions différentes selon les secteurs et la taille de la surface agricole. Les petites surfaces vont être très sensibles aux questions environnementales, par exemple, et le monde de l’élevage a beaucoup plus de difficultés sur le plan économique que les céréaliers.

JOL Press : Quels sont les rapports qu’entretiennent les agriculteurs avec le monde politique ?

Bruno Jeanbar : Le monde agricole est un électorat plutôt légitimiste et critique vis-à-vis du monde politique mais certainement moins que d’autres. La vraie défiance du monde agricole s’observe davantage à l’égard de la mondialisation et de l’Union européenne, de l’ouverture internationale en général. La PAC est une préoccupation majeure pour les agriculteurs et les réformes régulières sur ces sujets les inquiètent immanquablement. C’est certainement une dimension sur laquelle le Front national progresse, mais moins parce qu’il semble donner des solutions aux problèmes que parce qu’il permet d’incarner un vote contestataire.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

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