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Procès historique: 20 ans après le génocide, le Rwanda panse ses plaies

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 « La justice, pas la vengeance ». C’est avec ces mots que le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) entend aujourd’hui rendre justice aux victimes et aux rescapés du génocide perpétré en 1994 au Rwanda contre la communauté tutsie.

Le combat du collectif a notamment permis l’ouverture, mardi 4 février, du procès de Pascal Simbikangwa, ancien capitaine de l’armée rwandaise et ancien officier des renseignements, proche du président hutu Juvénal Habyarimana, dont l’assassinat le 6 avril 1994 avait été l’élément déclencheur du massacre, par les Hutus, de centaines de milliers de Tutsis et de Hutus modérés.

JOL Press : Pourquoi le procès de Pascal Simbikangwa a-t-il lieu en France, devant la Cour d’assises de Paris, et non au Rwanda ?
 

Alain Gauthier : Tout simplement parce que les magistrats français ont refusé d’extrader Pascal Simbikangwa [transféré à Paris en 2009 et maintenu en détention à la prison de Fresnes depuis 2011] vers le Rwanda. Donc au nom de la compétence universelle, la justice française est habilitée à le juger.

JOL Press : C’est le premier procès, en France, d’un ressortissant rwandais accusé de complicité de génocide, vingt ans après les faits. Pourquoi la procédure a-t-elle pris autant de temps ?
 

Alain Gauthier : Cette lenteur de la justice est une chose que nous dénonçons en effet depuis de très nombreuses années. Il faut savoir qu’il y a quand même eu un différend important entre l’État français et l’État rwandais depuis le génocide, puisque le gouvernement français de 1994 a quand même apporté son appui au président Juvénal Habyarimana [assassiné le 6 avril 1994] et au gouvernement intérimaire ensuite. Il y a donc eu beaucoup de freins politiques. Et puis si l’on veut que la procédure n’aille pas vite, il suffit de ne pas lui donner les moyens…

Mais depuis la création du pôle « Génocides et crimes contre l’humanité » en janvier 2012 par le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, les choses vont un peu mieux. Il y a maintenant trois juges d’instruction et des gendarmes qui se rendent régulièrement au Rwanda pour enquêter en commission rogatoire.

JOL Press : Que représente aujourd’hui pour vous ce procès ?

Alain Gauthier : C’est à la fois une grande satisfaction de voir que notre travail porte enfin ses fruits. Mais c’est un procès qui arrive vingt ans après le génocide, ce qui est quand même assez désespérant. Maintenant, ce que l’on espère surtout, c’est que ce premier procès soit l’annonce de beaucoup d’autres procès, puisque nous avons déposé près de 25 plaintes sur le bureau des juges à Paris.

JOL Press : Quel est le principal enjeu du procès de Pascal Simbikangwa ?
 

Alain Gauthier : D’abord, c’est le premier procès, en France, d’un ressortissant rwandais accusé de complicité dans le génocide : c’est donc un procès historique.

L’enjeu, c’est de faire comprendre à des jurés populaires que ce capitaine de l’armée rwandaise est responsable et coupable des faits qui lui sont reprochés [il est notamment accusé d’avoir participé au massacre des Tutsis en fournissant armes, instructions et encouragements aux génocidaires]. On espère aussi que ce sera un procès pédagogique pour enseigner à nos concitoyens ce qu’a été le génocide. Dans la mesure où c’est un crime contre l’humanité, tout le monde doit se sentir concerné.

JOL Press : Ce procès va donc permettre l’ouverture d’autres procès de complices du génocide. Qui sont les prochains sur la « liste » ?
 

Alain Gauthier : Actuellement, dans la mesure où deux présumés génocidaires sont aussi en détention provisoire en France, l’un à la prison de la Santé et l’autre au centre pénitentiaire de Fresnes, on peut penser qu’ils seront les prochains déférés devant une Cour d’assises. Il s’agit d’Octavien Ngenzi et de Tito Barahira qui sont deux anciens maires de la même petite ville de Kabarondo au Rwanda. Ce sera sûrement un procès groupé, dans la mesure où les témoins que nous avons trouvés au Rwanda sont les mêmes pour les deux affaires.

JOL Press : Vous inscrivez-vous dans la même dynamique que la « chasse aux nazis » lancée après la Seconde guerre mondiale ?
 

Alain Gauthier : Oui, dans un certain sens c’est un combat qui ressemble à celui mené pour retrouver et arrêter les criminels nazis après la guerre. Mais les circonstances sont bien évidemment différentes. Les témoins et les tueurs sont loin de la France. Il y a quand même des spécificités propres à notre combat pour juger les génocidaires du Rwanda.

JOL Press : Comment menez-vous votre enquête pour retrouver les personnes suspectées d’avoir pris part aux massacres, souvent exilées à l’étranger ?
 

Alain Gauthier : Nous recherchons des témoins. Nous sommes très à l’écoute de savoir si ce sont des amis ou d’autres personnes qui les connaissent, qui vivent auprès d’eux et qui nous les signalent. Nous cherchons à savoir si ce sont des personnes concernées par le génocide, et quand on a la certitude qu’effectivement les suspects ont pu tremper dans le génocide des Tutsis, nous sommes à ce moment-là dans l’obligation de partir au Rwanda pour recueillir les témoignages des rescapés, des tueurs eux-mêmes ou de ceux qui ont travaillé avec les personnes que nous poursuivons. Après, nous avons un gros travail de traduction des témoignages, puis nous remettons les dossiers à nos avocats qui déposent plainte.

JOL Press : Êtes-vous soutenus au Rwanda pour le combat que vous menez ?
 

Alain Gauthier : Les autorités judiciaires au Rwanda savent ce que nous faisons et nous aident dans la mesure du possible, parce que c’est quand même les Rwandais qui sont les premiers concernés. Ils nous aident également lorsqu’on part enquêter pour rencontrer des témoins.

JOL Press : Quelles relations entretiennent aujourd’hui les Hutus et les Tutsis au Rwanda ?
 

Alain Gauthier : Au Rwanda, on ne parle plus tellement de Hutus et de Tutsis, on parle de citoyens rwandais – même si l’on sait qu’Hutus et Tutsis existent encore. Les uns et les autres sont condamnés à vivre ensemble. Il s’agit d’un génocide de proximité : c’est le voisin qui a tué son voisin. Les Rwandais doivent donc aujourd’hui réapprendre à vivre ensemble et contribuer à créer un nouveau Rwanda sur des bases plus saines pour que plus jamais un génocide ne se reproduise.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Alain Gauthier est le président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) fondé en 2001 avec sa femme Dafroza (issue de la minorité tutsie) après avoir assisté au premier procès de génocidaires rwandais établis en Belgique. En 2009, le CPCR a déposé plainte contre Pascal Simbikangwa.

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