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Quelle était l’influence de Patrick Buisson auprès de Nicolas Sarkozy?

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Patrick Buisson, l’ancienne éminence grise de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, aurait enregistré l’ex-président, à son insu et pendant des heures, avec un dictaphone dissimulé dans sa poche, selon Le Point. « J’ai demandé aujourd’hui à mon avocat, Me Gilles-William Goldnadel, de porter plainte contre Le Point à l’encontre d’un article ignominieux publié ce jour », s’est défendu Patrick Buisson. Mais quelle était la véritable influence de l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy ? Eléments de réponse avec Marika Mathieu, auteure de La Droite forte année zéro : Enquête sur les courants d’une droite sans chef (Editions de la Martinière). Entretien.

JOL Press : Quel a été le parcours de Patrick Buisson avant sa rencontre avec Nicolas Sarkozy ?

Marika Mathieu : Patrick Buisson est un homme austère à la culture historique très forte. Touche-à-tout, il va se rapprocher peu à peu de la politique en rencontrant, dans un premier temps, Jean-Marie Le Pen, dans les années 70, qui va devenir autant un objet d’étude que de fascination parce que s’inscrit au travers du Leader du FN sa réflexion sur une « vraie droite ». Cette orientation va le conduire à rencontrer Philippe de Villiers qui va incarner l’homme politique le plus proche de sa pensée politique.

En parallèle, il prend la direction du magazine Minute, dans les années 80, s’intéresse à l’univers des médias, développe une science autour des sondages et se mue en conseiller politique de Philippe de Villiers. Tous deux partagent des convictions similaires : catholiques, amoureux de la « France éternelle », méfiants à l’égard de l’étranger et de l’islam et défenseurs d’un Etat fort et protecteur. Le premier aboutissement de cette collaboration sera les élections européennes de 1994 au cours desquelles le parti de Philippe de Villiers atteindra le score inespéré de 12%. Pour Patrick Buisson, il s’agit là d’une victoire politique forte et une réaffirmation des fonctions régaliennes de l’Etat.

Cette relation perdure dans le temps et à l’approche du référendum européen de 2005, Patrick Buisson travaille activement aux côtés de Philippe de Villiers qui pensait alors avoir l’exclusivité des conseils de ce spécialiste des sondages. Mais, dès 2004 il rencontre Nicolas Sarkozy et déjà il avance qu’il y aura un référendum sur la question européenne qui révèlera une hostilité des Français à l’égard de l’Europe, alors même que ce référendum n’est pas annoncé. Quand ses prédictions se sont révélées exactes, il est apparu comme utile à Nicolas Sarkozy.

JOL Press : Quelle a été, par la suite, la nature de la relation entre Patrick Buisson et Nicolas Sarkozy ?

Marika Mathieu : Leur relation est inédite, Patrick Buisson est un historien très cultivé et Nicolas Sarkozy est exactement l’inverse, il est plein d’énergie, bouillonnant mais très peu porté sur l’histoire des racines de la France. Une sorte de complémentarité les lie. Pour Patrick Buisson, Nicolas Sarkozy incarne l’acteur brillant capable de mettre en scène ses idées. Il est fasciné par l’animal politique qu’est Nicolas Sarkozy dont il sent la capacité à défendre sa conception de la France.

Patrick Buisson est arrivé avec une pensée politique mûre. Pour lui, l’extrême droite n’existe pas, l’électorat du Front national est entièrement récupérable autour de l’idée d’identité nationale. Pour l’anecdote, Philippe de Villiers dira que c’est une trahison de la part de Patrick Buisson d’avoir soufflé cette idée à Nicolas Sarkozy plutôt qu’à lui, car de 2005 à 2007, la relation entre le futur président et son conseiller n’est ni connue, ni assumée en haut lieu. Il est cependant tout à fait certain que Patrick Buisson a eu une grande influence auprès de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007.

A cette époque, le nouveau conseiller du candidat est aussi utile grâce à son entreprise de sondage et brille par ses interprétations de ces sondages. Quand il fait une démonstration sur carte de ses analyses, sondages à l’appui, il parvient à convaincre son auditoire qui n’aspire qu’à le suivre.

JOL Press : Peut-on dire qu’il a été à l’origine de la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 ?

Marika Mathieu : Patrick Buisson a été influent en 2007 mais de 2007 à 2010, Nicolas Sarkozy n’écoute plus personne. Il faudra attendre la défaite majeure des régionales de 2010, pour que l’ancien conseiller du président revienne dans le jeu, autour des questions de sécurité. Toute la période bling-bling est totalement extérieure à Patrick Buisson. Si son influence ne sera pas majeure, à partir de 2010, elle va monter en puissance jusqu’à la campagne de 2012 dans laquelle il sera prédominant.

Toute la question est maintenant de savoir si la présidentielle de 2012 a été un échec pour Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs ce qui, aujourd’hui, handicape la droite qui ne parvient pas à se reconstruire. Si les thèmes de l’identité nationale, des frontières, de la France forte, de la lutte contre l’assistanat, qui ont été au cœur de la campagne, n’ont pas apporté la victoire à Nicolas Sarkozy, ils ont peut-être fait éviter au président sortant un échec cinglant. Ces idées ont-elles évité une débâcle ? L’UMP ne parvient pas à répondre à cette question. Certains sondages annonçaient une défaite à 43%, elle a été à 48%. Est-ce l’effet Buisson ? Le créneau national-conservateur est-il plus populaire à droite que le courant humaniste et libéral ? Les élections internes à l’UMP ont montré que la ligne Buisson, incarnée par Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, remportait le plus de suffrages.

Pour ce courant, il ne s’agit pas là d’une droitisation des esprits mais d’une affirmation de ce que devrait être la droite. C’est la ligne que défent aujourd’hui Jean-François Copé avec son Manifeste pour une droite décomplexée.

JOL Press : Nicolas Sarkozy pourrait-il avoir été été enregistré à son insu par Patrick Buisson, comme le révèle le Point ?

Marika Mathieu : Je n’ai aucune information sur le sujet. Ce que je peux dire c’est que Patrick Buisson a une mémoire exceptionnelle et qu’il consigne tout, il a consigné beaucoup d’entretiens dans des cahiers. Peut-être est-il passé à une nouvelle technologie… mais j’en étais restée à la culture des cahiers. Autant je le vois bien rédiger des notes en sortant de réunions, autant j’ai plus de mal à l’imaginer faire des enregistrements…

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Marika Mathieu est journaliste indépendante, diplômée d’un Master de philosophie et en journalisme international à la City University de Londres. Elle a notamment participé à l’écriture et à la réalisation du documentaire « François Hollande : Comment devenir président ? » avec Denis Jeambar et Stéphanie Kaïm lors de l’élection présidentielle de 2012.

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