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Rapprochement des deux Corées: quelles conséquences?

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La zone coréenne démilitarisée (DMZ) sépare la frontière entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, et sert de zone tampon. (Crédit Shutterstock)

JOL Press : La Corée du Nord et la Corée du Sud ont entamé des discussions bilatérales, pour la première fois depuis 2007. Rien n’a filtré sur le contenu de ces discussions mais a-t-on une idée des axes principaux de ces échanges ?
 

Barthélémy Courmont : Il semble que ces discussions ont été initiées par Pyongyang, qui a placé à l’ordre du jour la reprise des retrouvailles des familles séparées par la guerre de Corée. Ces retrouvailles étaient l’un des aspects les plus symboliques de la sunshine policy, la politique d’ouverture entre les deux pays du début des années 2000, mais furent abandonnées il y a quelques années, en raison des tensions.

C’est en fait surtout l’arrivée au pouvoir du conservateur Lee Myung-bak en Corée du Sud, en 2007, qui avait considérablement refroidi les relations avec le nord, en réponse au premier essai nucléaire nord-coréen de 2006.

De nucléaire, il n’en fut sans doute pas question, mais le fait que cette rencontre fut organisée juste avant la visite à Séoul du Secrétaire d’Etat américain John Kerry montre à quel point elle est liée au contexte sécuritaire. La question de la reprise des échanges économiques, autour du site de Kaesong – momentanément fermé l’an dernier – et d’un apaisement des tensions, très fortes en 2013, est également l’un des moteurs d’une réunion à haut niveau comme celle-ci. 

JOL Press : Une normalisation des relations entre ces deux pays est-elle aujourd’hui probable ?
 

Barthélémy Courmont : Sûrement pas dans l’immédiat. Les conservateurs sont toujours au pouvoir en Corée du Sud, et l’exécution de Jiang Song-taek au Nord en novembre dernier a lancé un clair message à ceux qui souhaiteraient accélérer les réformes en Corée du Nord.

Pyongyang continue d’alterner des signes d’ouverture et une fermeté qui a pour objet de renforcer l’autorité de Kim Jong-un à la tête du parti des travailleurs. Dans la durée, et si plusieurs expériences de ce type s’avèrent fructueuses, il ne faut cependant pas exclure une nouvelle donne, qui tournerait la page des relations difficiles observées depuis 2007.

Derrière une rhétorique guerrière héritée de son père, Kim Jong-un sait qu’il y va de la survie de son pays, exsangue et qui ne peut exclusivement s’appuyer sur le soutien de Pékin. Park Chung-hee, la présidente sud-coréenne depuis un an, s’est quant à elle démarquée de son prédécesseur en plaidant en faveur d’un rapprochement avec le Nord. Sa première année au pouvoir fut marquée par une nouvelle crise profonde entre les deux pays, 2014 pourrait ouvrir de nouvelles perspectives. 

JOL Press : Quelles seraient les conséquences de cette normalisation pour les deux pays ?
 

Barthélémy Courmont : Pour le Nord, un retour à une relation apaisée, et axée sur des échanges économiques et commerciaux en hausse avec le Sud, se traduirait par une meilleure économie, ce dont Pyongyang a particulièrement besoin. Pour le Sud, le gain serait surtout diplomatique. Depuis 2007, Séoul a totalement perdu pied sur le dossier nord-coréen. La politique intransigeante de Lee Myung-bak a été un échec total, Pyongyang ne cédant pas d’un pouce sur les questions sécuritaires. En parallèle, la Chine s’est de plus en plus imposée comme le seul pays pouvant exercer une influence – parfois mise à mal – sur le régime nord-coréen.

En réintroduisant un dialogue nord-sud, Séoul redevient un interlocuteur pour Pyongyang, et c’est sans doute le principal objectif de Madame Park. Depuis plusieurs mois, derrière les provocations, les deux pays réfléchissent à des moyens de renouer le dialogue. Au sud, le ministère de la Réunification, devenu une véritable coquille vide depuis la présidence de Lee Myung-bak, cherche un second souffle, en introduisant des questions telles que la détente verte (inspirée du dialogue est-ouest en Europe dans les années 1970 axé sur les questions environnementales) pour justifier son existence, son budget, mais aussi pour faire avancer le dialogue. D’une certaine manière, il n’est pas surprenant de voir des responsables nord et sud-coréens se rencontrer, leurs équipes respectives ayant préparé le terrain depuis des mois. 

JOL Press : Aux niveaux régional et mondial, le rapprochement entre ces deux pays aura-t-il un impact ?
 

Barthélémy Courmont : Au niveau régional, une « normalisation » de la relation Nord-Sud, dont les contours restent cependant à déterminer, est bienvenue en ce qu’elle abaisse d’un cran les risques d’escalade militaire. Au-delà, elle ne signifie pas de modification considérable dans les postures des Etats de la région. On imagine difficilement le Japon de Shinzo Abe – récemment comparé à Hitler par les médias nord-coréens – engager des retrouvailles franches avec Pyongyang. De même, la Chine n’a pas de raison particulière de se réjouir, elle qui profite finalement du statu quo dans la péninsule en émergeant comme l’interlocuteur indispensable, que ce soit sur le dossier nucléaire nord-coréen ou sur la question de son développement économique.

Au niveau international, un apaisement des tensions est évidemment une bonne nouvelle, même s’il convient de l’accueillir avec précaution. La question de la place de Washington dans ces initiatives reste cependant floue. On ignore ainsi si Séoul a informé son allié américain de la reprise des discussions avec le Nord, ou si John Kerry va signifier à Madame Park lors de sa visite son malaise de ne pas y avoir été, sinon associé, du moins consulté au préalable.

S’appuyant fortement sur son allié militaire, avec lequel elle a réactivé le partenariat stratégique afin d’assurer sa défense, la Corée du Sud pourrait dans le même temps être tentée de se détacher de Washington afin de traiter en bilatéral avec Pyongyang. En ce sens, Séoul reprendrait les habitudes observées du temps de la sunshine policy.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

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