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Réconciliation des deux Corées: si loin et si proche

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Entre 1985 et 2010, les deux gouvernements voisins ont organisé 18 réunions permettant à 22 000 Coréens de rencontrer les membres de leur famille. Près de 73 000 Sud-Coréens – dont la moitié a plus de 80 ans – sont encore sur ​​la liste d’attente de la Croix-Rouge, qui organise une loterie pour sélectionner les participants.

JOL Press : Mercredi, un accord permettant à certaines familles séparées depuis la guerre de se réunir pendant quelques jours a été conclu entre la Corée du Nord et du Sud. Est-ce un phénomène qui touche beaucoup de familles ?

Pierre-Olivier François : On estime qu’après la guerre de Corée, plus de 10 millions de familles ont été séparées. Le temps passe, cela fait quand même deux voire trois générations que les liens sont maintenant distendus : il n’y a pas de liens directs, pas de coups de téléphone, de lettres ou d’échanges. En fait, ces réunions familiales sont assez rares, une première réunion a eu lieu en 1985, quarante ans après la guerre de Corée. Un grand symbole ! Ensuite, il y en a eu plusieurs pendant la période de rapprochement nord-sud entre 2000 et 2008. La détérioration des relations entre le nord et le sud a ensuite bloqué ces réunions familiales.

Émotionnellement, c’est très important pour les Coréens, c’est toujours extrêmement émouvant pour les familles qui retrouvent un frère ou une sœur – beaucoup moins un père ou une mère, souvent morts. Les gens pleurent beaucoup, l’événement est retransmis à la télévision… Et puis c’est un signe fort pour le nord et le sud : ils montrent que d’une certaine manière, ils sont en train de se « parler », sans que cela n’engage rien géopolitiquement.

JOL Press : Les Coréens que vous avez pu rencontrer, au nord comme au sud, vous ont-ils fait part de leur volonté d’accroître ces échanges entre les deux pays ?
 

Pierre-Olivier François : Cela dépend bien entendu. Les Coréens du Nord et du Sud sont nombreux et ont des opinions différentes. Au nord, on dit toujours que l’on est pour la réunification mais que c’est le sud qui ne veut pas. Au sud, on dit le contraire. Tout le monde est conscient du fait que le rapprochement sera lent et compliqué. Les réunions familiales restent un moyen de montrer leur bonne volonté, et une bonne base de négociations.

C’est là-dessus que l’on peut éventuellement reconstruire quelque chose. Ce qui est intéressant, c’est que la manière dont les Coréens du Sud et du Nord filment ces événements n’est pas la même : en Corée du Sud, on insiste beaucoup sur le côté « tragédie familiale », on pousse sur les larmes. En Corée du Nord, on insiste plutôt sur l’idée qu’il faut « réunifier la patrie ».

JOL Press : Comment la séparation entre les deux Corées est-elle marquée physiquement dans le territoire ?
 

Pierre-Olivier François : Par la zone démilitarisée (DMZ) d’une largeur de 4 kilomètres sur une longueur de 248 kilomètres. C’est la zone la plus fortifiée au monde, infranchissable avec 2 kilomètres des deux côtés, des mines, de l’artillerie cachée, des missiles, des chars… La zone est étroitement surveillée. Elle coupe véritablement la péninsule en deux, et fait de la Corée du Sud une île puisqu’elle ne peut aller ailleurs que par avion ou bateau.

JOL Press : Un rapprochement entre les deux Corées semble encore loin d’être établi. Quelles sont les principales lignes de fracture entre les deux pays ?

Pierre-Olivier François : Le fait qu’il n’y ait pas de traité de paix entre la Corée du Nord et du Sud fait que les pays sont virtuellement « en guerre ». Leurs citoyens n’ont donc pas le droit d’avoir de contacts directs : les contacts ne peuvent avoir lieu que via les gouvernements. En Corée du Sud, il y a une loi de sécurité nationale qui fait que si vous avez des contacts avec la Corée du Nord sans l’accord du Sud, vous êtes passible de trahison. En Corée du Nord, cest encore plus strict.

Il y a également une fracture économique : d’un côté vous avez un pays ultra compétitif – la Corée du Sud est la 15ème puissance économique mondiale – et de l’autre, la Corée du Nord, qui avait une économie proche de celle du bloc de l’est qui s’est effondrée après la chute de l’empire soviétique. Elle est en reconstruction, mais elle reste une économie fermée, qui dépend essentiellement de la Chine et de la Russie.

Les alliances sont également différentes : la Corée du Sud a un traité d’alliance militaire avec les États-Unis ce qui fait qu’il y a aujourd’hui 30 000 soldats américains basés en Corée du Sud, alors que la Corée du Nord n’a plus d’alliances militaires, ni avec la Chine ni avec la Russie.

Les Coréens du Sud et du Nord ont la même langue, et en même temps la différence de revenu est probablement la plus importante entre deux pays voisins. Selon les plus optimistes, les différences de revenus sont de 1 à 15 entre les deux pays – de 1 à 40 selon les plus pessimistes.

JOL Press : Quelles ressemblances entre la Corée du Nord et la Corée du Sud vous ont le plus frappé ?

Pierre-Olivier François : La première fois que vous entrez en Corée du Nord, vous êtes frappé de voir que c’est un pays qui ne ressemble à rien d’autre au monde. Mais vous pouvez aussi être frappé par les ressemblances avec sa voisine du sud. Les Coréens du Nord et du Sud ont les mêmes attitudes, à peu près la même langue, les mêmes réflexes, les mêmes modes de fonctionnement, en partie la même histoire…

Mais depuis soixante ans, ils ont des vécus différents, donc ils ont forcément des structures sociales et étatiques très différentes. Cela marque les gens.

JOL Press : Avez-vous réussi à pénétrer facilement en Corée du Nord ?

Pierre-Olivier François : La Corée du Nord, pour quelqu’un qui souhaite faire du journalisme ou du documentaire, est un endroit difficile d’accès, même si c’est un peu moins compliqué qu’avant. Notre projet – que les Coréens du Nord et du Sud racontent leur histoire dans le même film – était compliqué. Cela n’avait jamais été fait depuis soixante ans. Cela a demandé de longs mois, voire des années de négociations pour pouvoir entrer.

JOL Press : Était-ce facile de rentrer en contact avec les personnalités que vous souhaitiez interviewer en Corée du Nord ?
 

Pierre-Olivier François : Une fois que l’on obtient un visa de tournage et l’accord pour le projet, cela veut dire que vous avez été autorisé par l’État à venir. Je n’ai donc pas eu de problème d’accueil, même si les conditions de tournage étaient parfois compliquées – certaines choses que je voulais tourner demandaient encore des jours et des jours de négociations.

JOL Press : On a souvent une vision assez caricaturale de la Corée du Nord. Quels clichés pourriez-vous faire « tomber » ?

Pierre-Olivier François : Parmi les clichés que l’on trouve sur la Corée du Nord, il y a celui d’être le dernier pays stalinien au monde. Mais ce n’est peut-être pas le meilleur terme pour définir ce pays. Je ne pense pas non plus que ce soit un pays en faillite, même si son économie est en retard et que la libéralisation économique est balbutiante.

L’idée que le pays est totalement « déconnecté » est également à nuancer : certaines personnes commencent à avoir accès à Internet, et il y a tout de même deux millions de téléphones portables. Après, il y a toute une série de choses qui sont indéniables, notamment concernant le bilan en matière de droits de l’homme.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press 

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Pierre-Olivier François est journaliste et réalisateur. Il a notamment réalisé le documentaire « Corée : l’impossible réunification ? » (ARTE Editions).

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