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Réforme territoriale : vers des Länder à la française?

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François Hollande expliquait, le 14 janvier dernier, que les régions auront « de nouvelles responsabilités », comme l’avait déclaré Jean-Marc Ayrault à Rennes. « Notre organisation territoriale devra être revue » pour « en finir avec les enchevêtrements, les doublons et les confusions » de compétences, il devra y avoir « une clarification stricte des compétences entre collectivités territoriales » et cela concerne aussi « les régions dont le nombre peut aussi évoluer », a déclaré le chef de l’Etat pendant sa conférence de presse.

JOL Press : « Nous allons clarifier qui fait quoi, avec le renforcement des compétences régionales », a expliqué Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation. Se dirige-ton vers un fédéralisme à la française ?

Guillaume Bernard : Les transferts de compétence de l’Etat aux collectivités territoriales ont été faits d’une manière assez désordonnée. Il est certes possible de distinguer des blocs de compétence pour chaque niveau (la commune s’occupe des services de proximité, le département du social, la région du développement économique), mais il existe d’incontestables chevauchements (dans les domaines des transports ou de la culture par exemple). Il n’apparaît donc pas, a priori, illégitime de vouloir y mettre de l’ordre.

Cependant, la manière dont va être redistribuée les pouvoirs mérite attention : la question de l’imbrication des collectivités les unes dans les autres apparaît comme centrale. En effet, jusqu’à présent, chaque niveau local est directement rattaché à l’Etat. Or, l’harmonisation des compétences des collectivités territoriales pourrait passer (faute de fusionner des collectivités à un même niveau pour en réduire le nombre) par une volonté de coordination des politiques menées à un niveau par le supérieur : les mesures prises par les communes pourraient être coordonnées par les départements, celles des départements par les régions. Cela pourrait apparaître comme rationnel. Mais cela conduirait à une médiatisation du pouvoir de l’Etat ressemblant étrangement à certains mécanismes du système féodal : le vassal de mon vassal n’est pas mon vassal…

JOL Press : Les régions « seront dotées d’un pouvoir local d’adaptation des lois », selon la formule du chef de l’Etat. Une grande nouveauté pour les Français ? 

Guillaume Bernard : Cela s’inscrit dans la continuité de la révision de la constitution faite en 2003 (gouvernement Raffarin) reprenant des dispositions législatives prévues pour la Corse censurées par le Conseil constitutionnel en 2002 (gouvernement Jospin). Actuellement, le législateur national peut, de manière limitée, temporaire et expérimentale, confier la fonction législative à une collectivité territoriale. Outre-mer, il faut distinguer les collectivités où s’applique le principe d’assimilation législative et celles où règne le principe de spécialité législative.

Dans le premier cas, les DROM (Départements et Régions d’Outre-Mer) peuvent être autorisés par le Parlement à adapter la loi nationale. Dans le second cas, celui des autres COM (Collectivités d’Outre-Mer), les assemblées locales peuvent, d’elles-mêmes, modifier la loi nationale. Cette disposition s’inscrit dans la continuité de ce qui a été mis en place en Nouvelle-Calédonie (révision constitutionnelle de 1998 pour le statut et les institutions locales ainsi que de 2007 pour le corps électoral) pour laquelle, inutile de se voiler la face, l’abandon est quasiment programmé pour 2018.

Il ressort de tout cela que le principe de l’indivisibilité de la souveraineté (un peuple, une loi) est battu en brèche. La France est, à l’évidence, en train de glisser d’un Etat unitaire décentralisé vers un Etat fédéral (même si les unités composant l’Etat n’ont pas encore de constitution propre). Si le principe de spécialité législative est étendu à l’ensemble des collectivités territoriales, il n’y aura, là, plus aucun doute possible.

JOL Press : A quelle époque les régions ont-elles eu le plus de pouvoir dans l’Histoire ?

Guillaume Bernard : Les régions contemporaines sont très récentes. Elles sont apparues dans les années 1950 puis, après l’échec du référendum de 1969, elles ont obtenu, dans les années 1970, le statut, à objet particulier, d’établissement public. Elles sont ensuite devenues des collectivités locales dans les années 1980. Leur existence n’a été constitutionnalisée qu’en 2003. Aujourd’hui, elles sont en passe de devenir les collectivités territoriales ayant le plus de pouvoirs.

Cela dit, des entités géographiques leur ressemblant peu ou prou ont existé dans l’ancienne France. Toutefois, comparer les actuelles régions avec les anciennes provinces est extrêmement délicat : d’abord parce que le découpage géographique n’est pas le même, ensuite et surtout parce que les secondes n’avaient jamais exactement les mêmes pouvoirs. L’ancienne France vivait sous l’empire des privilèges, c’est-à-dire des droits attribués à chacune des personnes (individuelles et collectives) en fonction du rôle joué dans la société. Chaque corps social était donc susceptible d’avoir des droits différents des autres.

En outre, au fur et à mesure que le roi étendait son pouvoir, qu’il cherchait à faire coïncider les limites du domaine de la couronne avec celles du royaume, il préservait les spécificités culturelles et juridiques des territoires qu’il annexait. Tout cela contribuait à ce qu’aucun territoire n’ait jamais vraiment le même statut ni les mêmes droits qu’un autre. De manière générale, les pays d’états (Bretagne) avaient plus de franchises que les pays d’élection (Île de France).

JOL Press : « Il faut que l’on soit prêt à s’adapter aux réalités locales, nous ne cherchons pas à créer l’uniformité », explique une source ministérielle. Faut-il y voir la fin du jacobinisme ?

Guillaume Bernard : Il est peu probable qu’il s’agisse d’un pur pragmatisme, construire une décentralisation à la mode britannique (la dévolution) qui permet de concéder des droits différents en fonction des entités locales. Il est plus vraisemblable que cela s’inscrive dans une démarche (idéologique), dans le domaine politico-administratif, parallèle à celle, dans le domaine identitaire, qui préside à la communautarisation de la nation et à la mise en place, sans le dire, d’une discrimination dite positive pour certains (et donc nécessairement négative pour d’autres).

Le jacobinisme a été le moyen de mettre à bas l’organisation sociale de l’ancienne France et de niveler ses spécificités culturelles locales (même compatibles avec l’identité du tout). La décentralisation confinant à la fédéralisation de la France est peut-être pensée par certains comme un moyen de dépasser le stade national. Il est vrai que d’aucuns considèrent que les divers attachements des personnes (en particulier familiaux) doivent être éradiqués et que l’appartenance à l’espèce humaine est le seul lien social vraiment légitime.

JOL Press : Si cette politique se concrétisait, quelles seraient les prérogatives de l’Etat, dans une France soumise aux directives de Bruxelles ?

Guillaume Bernard : Le pouvoir de l’Etat se réduit comme peau de chagrin sous la double pression, d’un côté, de l’intégration européenne et, de l’autre, d’une décentralisation de plus en poussée. Il est certain que si, dans son organisation interne, la France devenait un Etat fédéral, le pouvoir national serait désormais réduit à la portion congrue.

Or, l’actuelle volonté de réorganisation des régions n’est peut-être pas uniquement motivée par un souci d’efficacité (les redécouper pour leur donner une taille comparable à celle d’autres Etats européens, attribuer l’essentiel du pouvoir local au niveau ayant la taille critique). Il ne faut pas ignorer qu’il existe de projets (à moyen terme, pas pour demain) où les Etats ne seraient plus les entités constituant l’Union européenne mais seraient remplacés par de grandes régions (à l’image des Länder allemands) dont certaines pourraient être transnationales (Pays basque à cheval sur la France et l’Espagne, par exemple).

En effet, les nations ont, à plusieurs reprise, bloqué (un temps) le processus d’intégration européenne (le Danemark en 1992, La France en 2005, l’Irlande en 2008). Il peut apparaître à certains plus efficace que, pour assurer la transformation de l’Union d’organisation internationale en un Etat fédéral, ce ne soient pas les Etats-nations mais des entités inférieures qui en soient les unités fédérées.

L’Union européenne ne se fait-elle pas, depuis quelques années, le parangon des langues régionales ? Les défenseurs des identités locales feraient bien de s’interroger sur l’objectif visé par l’UE dans cette démarche : défendre l’enracinement culturel ou démanteler les Etats-nations ?

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut catholique d’études supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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