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Réunion des familles en Corée: Pyongyang souffle le chaud et le froid

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JOL Press : Après la fin de la guerre de Corée et la division de la péninsule, beaucoup de familles ont-elles été concernées par la séparation ?
 

Ivan Cadeau : Les mouvements de population dans la péninsule coréenne ont commencé dès 1945. À partir du moment où les grandes puissances décident arbitrairement de couper la Corée en deux pour désarmer les troupes japonaises, des dizaines de milliers de familles qui quittent la zone d’administration soviétique, se réfugient en zone américaine. Entre 1945 et 1950, malgré cette ligne de démarcation, celle-ci reste relativement poreuse et des familles transitent d’un côté comme de l’autre, même si les déplacements ne sont pas libres et sont de plus en plus contrôlés.

En 1953, on assiste encore aux derniers mouvements de population principalement du nord vers le sud. Au total plus de deux millions de nord-coréens rejoignent le sud entre 1950 et 1953. Le phénomène migratoire touche également d’autres catégories de population, comme des soldats nord-coréens ayant déserté et qui se réfugient au sud, ou encore des soldats sud-coréens recrutés de force et retenus au nord.

La séparation s’est faite comme cela, soit de manière plus ou moins consentie, soit de manière totalement forcée. À partir de la fin 1953, tout est figé et des centaines de milliers de familles se retrouvent séparées (actuellement l’on estime entre 500 000 et 600 000 le nombre de sud-coréens ayant de la famille au nord). Les premières prises de contact se font au début des années 70, à l’initiative de la Croix Rouge sud-coréenne, mais les premières rencontres ont véritablement lieu au début des années 80. Un moment clé du rapprochement sera la rencontre, au mois de juin 2000, entre Kim Jong-il et son homologue sud-coréen, Kim Dae-jung.

JOL Press : Après une période de « dégel » entre les deux Corées, pourquoi les relations se sont-elles ensuite détériorées, notamment depuis 2008 ?
 

Ivan Cadeau : Le « dégel » est relatif. On a effectivement en 2000 un président sud-coréen favorable à la transition démocratique et qui pratique une politique de « main tendue », ce qui n’est pas le cas de la Corée du nord. Entre 2000 et 2008, les relations, sans être bonnes, tendent à s’améliorer et des discussions ont lieu entre les deux pays. En 2008, la Corée du Sud est marquée par le retour des conservateurs au pouvoir. La Corée du Nord marque son mécontentement en stoppant brutalement le programme de retrouvailles, même si Kim Jong-Il l’autorisera de nouveau l’année suivante… 

JOL Press : Cette nouvelle annonce peut-elle être le signe d’un certain « réchauffement » des relations ?
 

Ivan Cadeau : Souffler le chaud et le froid est un mode de fonctionnement de la Corée du Nord. Il ne faut donc pas se réjouir trop vite : d’une part cette annonce concerne un nombre de restreint de familles. De l’autre, il y a un aspect économique qui entre en jeu. Les mauvaises langues diraient que le fait que ces réunions aient lieu sur la côte orientale dans une sorte de « parc d’attraction » et de zone franche nord-coréenne, n’est pas un hasard non plus : cela permet à la Corée du Nord de bénéficier des devises sudistes.

On peut enfin craindre un report de ces retrouvailles, comme cela a déjà été fait à maintes reprises, la Corée du Nord ayant, en effet, souvent annulé au dernier moment ces rencontres. Les manœuvres militaires conjointes entre la Corée du Sud et les États-Unis pourraient par exemple être mises à profit par la Corée du Nord pour justifier l’annulation de ces rencontres.

JOL Press : La division de la Corée en 1953 est-elle comparable à la situation entre Allemagne de l’ouest et de l’est avant la chute du Mur ?
 

Ivan Cadeau : Non, parce que d’un point de vue historique, la séparation de la Corée se fait par un accord écrit lors d’une grande conférence internationale (la conférence de Potsdam). Le but de cette division de la Corée, à la base, n’est absolument pas politique, mais militaire. Il s’agit simplement de procéder au désarmement des troupes japonaises qui occupent la Corée depuis la fin du XIXe siècle.

La situation en Allemagne est loin d’être identique. Si l’on veut comparer ce qui est comparable, la division de l’Indochine en 1945 à hauteur du 16ème parallèle, pour la même raison – le désarmement japonais – est une situation similaire.

JOL Press : Pourquoi le traité de paix entre les deux Corées n’a-t-il jamais été signé ?
 

Ivan Cadeau : Un armistice a bien été signé en 1953, mais on peut effectivement dire que d’un point de vue juridique, l’état de guerre existe toujours entre les deux Corées, puisqu’aucun traité de paix n’a jamais été signé. Si le traité de paix n’a pas été conclu, c’est aussi parce que Pyongyang a construit son régime là-dessus. C’est une dynastie communiste construite en opposition avec le régime sud-coréen.

JOL Press : Quel héritage la guerre de Corée a-t-elle laissé aux relations diplomatiques entre les pays d’Asie ?
 

Ivan Cadeau : La guerre de Corée est avant tout une guerre civile, donc elle a laissé un héritage très lourd sur la péninsule coréenne elle-même. Concernant la « zone Asie », ce n’est pas la guerre de Corée qui a concentré le plus de cristallisations même si elle a été génératrice de tensions. Il y a par exemple davantage de cristallisations entre les Coréens du Sud et les Japonais, au regard de leur histoire commune, ou encore entre les Chinois et les Japonais, du fait de la Seconde Guerre mondiale. La guerre de Corée, hormis pour les Coréens eux-mêmes, a plutôt été une parenthèse en Asie, mais elle n’a pas été aussi déterminante que les événements qui ont secoué la région, notamment entre 1937 et 1945. La peur que représentait la Corée du Nord a cependant été une donnée supplémentaire à prendre en compte.

Et avec les États-Unis ?
 

Ivan Cadeau :  La guerre de Corée va bien sûr permettre aux États-Unis de renforcer encore davantage leur présence et de s’impliquer plus activement dans les affaires asiatiques. Ils étaient déjà dans la zone du fait de leur victoire en 1945 – leurs troupes occupaient le Japon – mais en raison de la menace communiste, les États-Unis envoient la 7ème flotte dans le détroit de Formose, sécurisent la zone, et permettent ainsi la sanctuarisation de Taïwan.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Ivan Cadeau est docteur en histoire et officier enseignant auprès de différents organismes de l’Armée de Terre. Spécialiste de la guerre d’Indochine et de la guerre de Corée, il est l’auteur de Dien Bien Phu, mars – mai 1954 (Éditions Tallandier, janvier 2013), et La Guerre de Corée 1950-1953 (Éditions Perrin, septembre 2013).

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