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«Si le ministre a l’éclat du verre, il en a aussi la fragilité…»

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Vingt et un ministres ont accepté de se confier à Jean-Michel Djian, c’est-à-dire d’évoquer sur le ton de la confidence, et parfois avec vivacité voire acidité, le contexte de leurs nominations, démission ou éviction, les joies comme les souffrances de cette expérience. Cette saga gouvernementale inédite en dit long sur l’exercice quotidien du pouvoir mais aussi sur la profondeur de la crise que traverse le « métier » politique d’aujourd’hui.

Extraits de Ministre ou rien : Confidences et règlements de comptes au sommet de l’Etat, de Jean-Michel Djian (Flammarion – janvier 2014)

« Il y a moins de joie à être nommé dans un gouvernement qu’il n’y a de détresse à en partir », raconte Philippe Bas, plusieurs fois ministre sous Jacques Chirac. La nostalgie caractérisée qui entoure les récits des anciens en dit long sur l’aventure particulière que représente l’appartenance à un ou plusieurs gouvernements, même si chacun sait que la réalité du pouvoir n’est qu’une succession d’adaptations, de changements et de mouvements.

« La carrière gouvernementale est essentiellement aléatoire », écrivait Jacques Rigaud, ancien directeur de cabinet du ministre Jacques Duhamel dans la revue Pouvoirs. Et d’ajouter : « Les départs précipités, les dossiers hâtivement empilés dans les cartons, les cérémonies nostalgiques de passation des pouvoirs devant des hauts fonctionnaires compassés, mais fort attentifs à la figure que font le nouveau ministre et son entourage : tout cela fait partie du rituel de la vie ministérielle et montre assez que, si le ministre a l’éclat du verre, il en a aussi la fragilité… » Selon Pierre Miquel, c’est sans doute cette inquiétude qui a inspiré la mère de Raymond Poincaré lorsqu’elle apprit en 1893 la nomination de son fils au ministère de l’Instruction publique : « Ministre, mais ce n’est pas une situation pour un jeune homme ! »

[image:2,s]Selon Abel François et Emiliano Grossman, « l’écrasante majorité des départs de gouvernements sont collectifs. Soit du fait d’une élection législative pour 20 % des ministres en poste, soit à cause du changement de gouvernement pour 60 % des ministres. Les ‘sorties’ individuelles ne représentent qu’un peu plus d’un cinquième des ministres. » Cette proportion traduit et devrait inciter à une solidarité collective des membres d’un cabinet, puisque la survie ministérielle d’une personne dépend grandement de la fortune politique du gouvernement lui-même, dans son ensemble. Or, depuis la première cohabitation de 1986, les remaniements sont à la hausse. Si nombre de titulaires de portefeuilles changent à l’occasion d’attributions (entre 1959 et 2013, on comptabilise 1 450 mandats ministériels), ils sont de plus en plus nombreux à… ne jamais revenir ensuite dans un gouvernement.

Cette mobilité ministérielle croissante n’est pas sans conséquence sur le fonctionnement d’un appareil d’État privé de commandement dans la durée. Elle déboussole nos partenaires locaux, européens et internationaux, qui cherchent avant tout un interlocuteur politique stable capable de maîtriser l’ensemble d’un périmètre de compétences. Car c’est le ministre, figure de proue de la classe politique, qui, plus encore que le parlementaire, incarne le pouvoir. Comment, dans ces conditions, affirmer son magistère politique sans le discréditer, notamment aux yeux de l’opinion ? L’ancien Premier ministre Édouard Balladur tente de modérer : « Je sais bien qu’à notre époque, il est d’usage de dire que le pouvoir politique, étant pris dans des contraintes multiples régionales, nationales ou européennes, la fonction ministérielle à moins d’importance. Qu’il est aussi d’usage de dire que l’importance du pouvoir présidentiel en minore l’influence. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une fonction très importante non parce que beaucoup la souhaitent – ce qui après tout serait un indice –, mais parce qu’un ministre joue un rôle important à la tête de l’administration qui est la sienne. Il ne faut pas se laisser aller à l’idée que c’est une fonction qui, sous prétexte de coordination, d’autorité du Premier ministre, serait dépréciée ; ce n’est pas le cas. Ceux qui l’avancent sont ceux qui n’ont pas réussi et préfèrent chercher chez d’autres qu’eux-mêmes la responsabilité ou l’explication de leurs déconvenues. »

Peut-être. Il n’en reste pas moins vrai que seul le chef de l’État décide, in fine, du destin de chacun d’entre eux !

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Jean-Michel Djian est docteur en sciences politiques. Journaliste et universitaire, auteur de plusieurs ouvrages et documentaires, il est aujourd’hui producteur à France Culture et rédacteur en chef de France Culture Papiers. Il est aussi l’auteur d’un documentaire passionnant diffusé sur France Télévisions consacré aux ministres.

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