Site icon La Revue Internationale

«Tout le monde savait que l’opération en Centrafrique serait très longue»

centrafrique-bouar.jpgcentrafrique-bouar.jpg

[image:1,l]

JOL Press : L’hypothèse d’une « opération rapide » en République centrafricaine semble s’être définitivement éloignée et l’armée française se prépare à rester longtemps sur le territoire centrafricain. Cette situation était-elle prévisible ?
 

Philippe MigaultBien entendu. Ce qui est comique dans cette histoire, c’est que tous ceux qui, dès le départ, ont affirmé que cette opération serait longue, ont été considérés comme défaitistes ou experts auto-proclamés. On sait très bien que ramener le calme en Afrique, avec seulement 1 600 soldats, aussi excellents soient-ils, dans un pays d’une taille supérieure à celle de la France, est tout simplement mission impossible dans un espace de temps restreint.

Il est bien évident que nous sommes dans une crise grave, comme a pu l’être la crise ivoirienne, dans laquelle deux factions se combattent. Nous le savons, pour ramener le calme en Afrique, il faut parler en années, et non pas en mois.

Cela a été le cas en Côte d’Ivoire, ce sera le cas au Mali et ce sera finalement le cas en République centrafricaine. Nous le savions dès le départ.

JOL Press : Si nous avons l’expérience de ce type d’opérations, pourquoi ce discours si optimiste ?
 

Philippe Migault : Si les hommes politiques français avaient la carrure d’un Churchill, ils ne mentiraient pas à la population. Le problème c’est qu’ils n’ont pas cette carrure et que lorsqu’il s’agit d’annoncer à la « du sang, de la sueur et des larmes », en l’occurrence que nos hommes seront sur place pour plusieurs années, ils n’assument pas facilement.

JOL Press : Sur place, les Français jouent un rôle véritablement policier. Etaient-ils assez préparés à ce type de mission ?
 

Philippe Migault : Malheureusement, ce rôle de policier, de maintien de l’ordre ou de maintien de la paix est le quotidien de l’armée française depuis plus d’une vingtaine d’années. Ces opérations ont commencé dans le cadre des Nations Unies dans les Balkans, elles se sont poursuivies avec l’Opération Licorne en Côte d’Ivoire.

En fait, la plupart des opérations que nous conduisons depuis la Guerre du Golfe sont des opérations de maintien de l’ordre. Est-ce le rôle des armées ? Je n’en suis pas persuadé. D’ailleurs, la gendarmerie vient d’envoyer une centaine d’hommes en République centrafricaine. Cependant, il faut malheureusement se rendre compte qu’en face d’hommes lourdement armés, un travail de police ordinaire ne suffit pas. Il faut également avoir les moyens de s’imposer par la force.

Que les armées apprécient ce genre de travail, je n’en suis pas du tout convaincu. Que nous n’ayons pas tellement d’autres choix que de les envoyer, cela me semble aussi être une évidence.

JOL Press : La France a décidé d’envoyer 500 soldats supplémentaires sur le terrain. L’Union européenne a également annoncé le déploiement d’un millier de militaires. Sur place, les violences semblent se propager depuis la capitale, Bangui, vers la province. Peut-on croire que ce nouveau déploiement sera suffisant ?
 

Philippe Migault : Il faut d’abord savoir ce que vont faire les 500 soldats français et les 1 000 soldats européens. Les Français ont des règles d’engagement claires qui leur sont données par le gouvernement. Les 1 000  soldats de l’Union européenne n’auront pas forcément la même mission car ils n’auront pas les mêmes règles d’engagement..

Il y a de fortes chances pour que ces derniers restent à Bangui et débarrassent les Français de certaines tâches qui ne sont pas directement liées au maintien de l’ordre ou au combat, de manière à permettre à l’armée française de se consacrer à ces missions.

JOL Press : A côté des Français, la force africaine (Misca), composée de 5 000 hommes, est-elle assez solide pour jouer son rôle sur le terrain ?
 

Philippe Migault : Il y a quelques temps, le magazine Jeune Afrique titrait : « Armées africaines : pourquoi sont-elles si nulles ? ». Venant de ce journal, ce constat peut difficilement être taxé de raciste ou de néo-colonialiste.

Le problème des armées africaines, en dehors de l’armée sud-africaine et de l’armée tchadienne, réside dans le fait qu’elles n’ont aucune cohésion, elles n’ont pas de moyens, elles sont mal formées, mal disciplinées. Quand elles doivent intervenir au sein d’une coalition d’armées africaines et qu’elles se coordonnent entre elles, alors même qu’elles ont déjà beaucoup de mal à opérer de manière autonome, on sait par avance qu’elles ne pourront être ni efficaces, ni opérationnelles.

On essaie d’entretenir l’illusion d’une sécurité de l’Afrique menée par les Africains, un programme vanté par tout le monde, l’Union européenne comme l’Organisation de l’unité africaine. Mais tout le monde sait très bien que cela relève du mythe.

On ne cesse de demander aux Africains de bâtir les instruments militaires qui leur permettront de garantir leur sécurité, mais on sait qu’ils n’en n’ont pas les moyens. On peut toujours investir des centaines de millions d’euros en programmes de formation, ça ne marchera pas non plus.

Former quelques dizaines d’officiers ne suffit pas, il faut également former la troupe. Il faut ensuite que cette troupe ait un logement décent, qu’elle reçoive une solde régulière, qu’elle soit étroitement soumise au pouvoir politique de son pays. Or dans les pays africains, le pouvoir politique est, la plupart du temps, totalement corrompu, les soldes ne sont pas versées, les gens sont mal logés.

Quand vous donnez des armes à des gens et que vous ne leur donnez pas de quoi vivre, ces armées deviennent rapidement des bandes incontrôlables.

Propos recueillis par Sybille de Larocque

Quitter la version mobile