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Tunisie: malgré le vote de la Constitution, la révolution n’est pas terminée

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François Hollande se rendra en Tunisie vendredi 7 février pour participer à la cérémonie officielle d’adoption de la nouvelle Constitution. 
JOL Press : La validation d’une constitution est souvent considérée comme la fin d’un processus de transition politique. Peut-on donc croire à la fin de la révolution de Jasmin en Tunisie ?
 

Vincent Geisser : Une révolution est un long processus et ce n’est pas le cas uniquement en Tunisie. Les processus révolutionnaires tels qu’on les a vécus, dans l’histoire de France par exemple, ont montré que cette question était très complexe.

En Tunisie, nous vivons encore dans les secousses de la révolution. Le processus révolutionnaire tunisien prendra sans aucun doute plusieurs années, ne serait-ce que parce qu’il est impossible de sortir d’une dictature de cinquante ans du jour au lendemain. Les enclaves autoritaires, les zones grises qui restent à la frontière entre la démocratie et l’autoritarisme sont encore nombreuses. Les comportements des politiques et les fonctionnements de la haute administration tout comme ceux des institutions, notamment sécuritaires, sont imprégnés de culture autoritariste.

La page autoritaire n’est donc pas encore tournée ?
 

Vincent Geisser : Nous ne sommes sans doute qu’au début de ce processus de transition démocratique, dans cette zone grise de construction d’un nouveau système, pour le moment alourdi par les différents héritages de l’ancien régime qui sont encore très forts.

La quasi-totalité des acteurs politiques appartient à la génération d’ancien régime, qu’ils en aient été partisans ou opposants. Qu’ils soient anciens responsables reconvertis dans la démocratie, anciens rivaux de Ben Ali, la génération politique au pouvoir est très fortement marquée par les années de dictature. Les nouvelles générations sont quasiment absentes du spectre politique tunisien. Malgré un Premier ministre jeune, un gouvernement de technocrates également plus jeunes, l’essentiel des décideurs, restent très fortement marqués par les générations de la dictature.

En Tunisie, mais également en Egypte ou en Libye, la révolution du peuple a rapidement été volée par les extrémistes. Est-ce une logique révolutionnaire classique ?
 

Vincent Geisser : Ces trois cas ne sont pas tellement comparables. En Egypte, l’armée n’a jamais totalement disparu de la scène politique. L’erreur que nous avons faite est d’imaginer qu’après Moubarak, le peuple avait pris le pouvoir. Mais l’armée est restée un acteur plus que central du processus de transition. Elle n’a fait que reprendre ce qu’elle considère comme sa propriété avec une thèse selon laquelle les Frères musulmans n’auraient été qu’un accident de l’histoire.

Même si on peut voir, dans le cas égyptien, une forme de retour en arrière et de régression autoritaire, des acquis de la révolution ont tout de même émergés et on s’aperçoit que malgré la répression et les réflexes d’Etat caserne, le souci de légitimité démocratique est présent. Les autorités cherchent à composer avec certains milieux nouveaux et plus libéraux de la société égyptienne.

En Libye, le processus de démocratisation sur le plan institutionnel est en cours. Malheureusement, il a peu d’assises sociales. Le problème libyen n’est donc pas tant un problème de démocratie formelle que de naissance d’une base sociale. La démocratie est donc contestée et doit pour le moment faire face à un certain nombre d’acteurs qui nuisent à la création d’une identité nationale unique.

Est-il possible, à partir de ces trois cas révolutionnaires, d’établir une théorie de la révolution ou montrent-ils que chaque révolution a sa propre histoire ?
 

Vincent Geisser : Il n’y a pas de schéma révolutionnaire si ce n’est que d’une certaine manière, la nouveauté vient de la mobilisation populaire. Ce qui restera incontournable dans l’histoire de ces révolutions, c’est que désormais, les régimes quels qu’ils soient, démocratiques, semi-démocratiques, les régimes à pluralisme limité, les régimes à la fois autoritaires et démocratiques etc. devront faire avec cette énorme capacité de mobilisation populaire.

Nous avons connu des régimes qui s’étaient habitués à étouffer les contestations populaires. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’aucun Etat n’est à l’abri d’une reprise de la contestation populaire.

La donnée nouvelle des sociétés arabes c’est qu’aujourd’hui les populations ont prouvé qu’elles pouvaient se mobiliser, massivement et efficacement, lorsque elles se sentent menacées dans leurs droits et leurs libertés fondamentales de citoyens.

La peur semble donc avoir changé de camp ?
 

Vincent Geisser : Cela ne veut pas dire que les régimes sont désormais irréprochables. Et on s’aperçoit d’ailleurs que les arrestations arbitraires et l’usage de la torture se poursuivent, notamment en Egypte, mais désormais, les régimes devront tenir compte de cette potentialité du risque de mobilisation populaire à tout moment.

Ce n’est plus le peuple qui a peur des dictateurs mais les leaders qui ont peur des peuples car ils ont prouvé qu’ils pouvaient se mobiliser, qu’ils pouvaient contester, descendre dans la rue, se réunir entre citoyens appartenant à différentes régions, différents milieux sociaux, différentes sensibilités philosophiques.

Même si les réveils des peuples aboutissent à des résultats qui peuvent paraître paradoxaux, la prise de pouvoir par les islamistes, le retour à un Etat militaire en Egypte, c’est une bonne nouvelle pour le monde arabe.

Si les évolutions, depuis quatre ou cinq ans sont paradoxales, ambivalentes, les peuples ont montré qu’ils pouvaient également être des acteurs qui ne sont plus freinés par les politiques répressives. 

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