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«Ultra-gauche», «Black Bloc» : qui a semé la terreur à Nantes?

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Des affrontements entre policiers et manifestants opposés à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, samedi 22 février. « Cette violence venant de cette ultra-gauche, de ces Black Bloc, qui sont originaires de notre pays mais aussi de pays étrangers est inadmissible et elle continuera à trouver une réponse particulièrement déterminée de la part de l’Etat », a estimé le ministre de l’Intérieur Manuel Valls.

JOL Press : Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a mis en cause l’ultra-gauche et les « Black Bloc » après les affrontements entre policiers et manifestants à Nantes contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ces groupes sont-ils identifiés et connus ?

Jacques Leclercq : Ces groupes sont connus au moins de la DCRI puisque cela fait un certain nombre d’années que des enquêtes sont menées et que des infiltrations sont conduites par des informateurs. Mais ils restent difficilement identifiables dans la mesure où ils se font et se défont. La plupart de ces groupes sont des structures éphémères et inorganisées, sauf au moment de frapper. Quand on parle d’ultra-gauche, on parle avant tout de petites structures qui sont souvent plongées dans une semi-clandestinité pour éviter la répression. Les groupes formels et connus n’existent plus mais d’anciens militants aguerris n’hésitent pas à participer à ce type d’action.

Ces structures sont présentes dans un certain nombre de villes de France, en particulier dans les villes universitaires et se contactent essentiellement par Internet et les réseaux sociaux. Certains groupuscules arrivent encore à distribuer quelques tracts, mais c’est plus rare.

JOL Press : Vous parlez d’anciens militants, de qui parlez-vous exactement ?

Jacques Leclercq : Je pense soit à d’anciens militants libertaires ou anarchistes, soit des militants qui appartiennent au courant de l’autonomie, un courant qui a su se renouveler depuis des décennies et en particulier lors des manifestations contre le CPE, au cours des mois de février, mars et avril 2006, et qui continue de faire des émules.

JOL Press : Pouvez-vous nous en dire davantage sur les autonomes ?

Jacques Leclercq : Il s’agit d’une mouvance composée d’un certain nombre de micro-groupuscules qui se revendiquent autonomes car ils refusent d’être organisés ou rattachés dans les partis ou associations traditionnels d’extrême gauche. Ils rejettent le schéma qui les définit comme léninistes et s’affrontent régulièrement aux organisateurs de manifestations pacifiques. Ils sont nés dans les années 70 et réapparaissent de manière cyclique tous les cinq à dix ans. Quantitativement, ils ne représentent pas plus d’une centaine d’activistes mais ils peuvent être soutenus par  un ou deux milliers de sympathisants. Leur mot d’ordre : l’ultra-violence.

[image:2,s]JOL Press : Qui sont les « Black Bloc » ?

Jacques Leclercq : Les « Black Bloc » appartiennent à une structure éphémère qui fédère différents courants avec l’appui de groupes venant d’autres pays, d’Allemagne en particulier. Ces activistes ne se retrouvent que sur place, au moment d’en découdre. Il ne faut pas confondre les « Black Bloc » de tendance autonome qui sont particulièrement violents avec une organisation, parfois en cortège, de militants anarchistes libertaires qui sont organisés et qui marchent en« Black Bloc », c’est-à-dire latéralement, groupés et de manière compacte.

Ce qui distingue les individus qui étaient présents à Nantes, c’est leur tenue noire et leur déplacement rapide : ils vont très vite à l’attaque et se replient aussi rapidement avant que les forces de l’ordre ne puissent intervenir. Leur objectif est de radicaliser les masses : quand les forces de l’ordre réagissent très fermement et violement sur ces masses, les initiateurs du trouble se sont retirés depuis longtemps.

JOL Press : Quelles sont leurs revendications ?

Jacques Leclercq : Leurs revendications sont parfaitement éloignées de l’écologie et de la défense de Notre-Dame-des-Landes. Ce qui revient le plus souvent – et nous l’avons encore constaté à travers les messages qui ont été tagués sur les murs des commerçants à Nantes – c’est la guerre sociale, la lutte contre le capitalisme. Mais ces groupes viennent avant tout pour en découdre, leurs revendications sont secondaires.

 JOL Press : Quels sont leurs principaux faits d’armes en France ou en Europe ?

Jacques Leclercq : Les actes les plus représentatifs de ces groupes ont été des tentatives plus ou moins réussies de déstabiliser les manifestations contre le G8 ou le G20. Lors du sommet du G8 de juillet 2001 à Gênes, de violents affrontements se sont soldés par la mort d’un manifestant et au sommet de l’OTAN à Strasbourg, en avril 2009, de nombreux incendies ont été déclenchés, le montant des dégâts s’élevant à plus de 100 millions d’euros. Leur objectif était encore une fois de se substituer aux manifestants et de provoquer la répression policière autour des cortèges.

On retrouve ce type de violence en Allemagne, où les activistes autonomes se comptent par milliers, mais aussi en Italie et en Grèce, où les militants sont à la jointure entre les mouvements anarchistes et les groupes autonomes.

JOL Press : Leur présence à la manifestation de samedi était-elle prévisible ?

Jacques Leclercq : Oui, la présence de ces groupes était parfaitement prévisible. La préfecture de la Loire Atlantique, a d’ailleurs expliqué qu’elle avait eu un pressentiment de l’arrivée de ce type d’individus. La police aurait pu les empêcher de nuire. Certes, ce n’est pas évident parce qu’ils savent se dissimuler à l’aide de plusieurs tenues mais il est toujours possible de vérifier les sacs à dos : c’est dans ces sacs que se cachaient les cocktails Molotov, les tenues de protection, les projectiles et les masques à gaz. Il faut, par ailleurs, souligner, que des scènes de guérilla avaient déjà eu lieu dans la campagne, autour du site de Notre-Dame-des-Landes, et qu’il y avait eu, quelques mois plus tôt, une manifestation de masse – entre 30 et 50 000 manifestants – sur le site et déjà des militants cagoulés et violents avaient semé le trouble parmi les manifestants.

Ces épisodes sont aussi à mettre en parallèle avec le réveil de différents mouvements radicaux, je pense notamment au mouvement « anti-fa » qu’on appelle radical puisque même avant la mort de Clément Méric, des petits groupes s’en sont pris aux symboles du capitalisme et se sont montré prêts à en découdre avec les franges de l’ « ultra-droite ».

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jacques Leclercq est un spécialiste de l’étude des courants extrémistes en France. Il est est l’auteur de nombreux ouvrages dont Droites conservatrices, nationales et ultras : Dictionnaire 2005-2010 (L’Harmattan – avril 2010) et Ultras-Gauches (L’Harmattan – janvier 2013).

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