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Venezuela: la pénurie, signe du déséquilibre permanent de l’économie

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JOL Press : Le Venezuela fait actuellement face à une pénurie des biens de première nécessité et des services. À quoi est-ce dû ?
 

Jean-Jacques Kourliandsky : Le Venezuela, pays émergent, est en crise. Il subit les aléas de la politique monétaire de la banque fédérale des États-Unis et la baisse de la croissance chinoise – beaucoup de pays sud-américains fonctionnent en effet sur la base de l’exportation de produits primaires vers la Chine. Il y a donc là des éléments qui sont communs au Venezuela et à d’autres pays. Mais le Venezuela subit effectivement le choc de façon beaucoup plus prononcée que ses voisins.

Le Venezuela n’est jamais arrivé à gérer son économie fondée sur le pétrole : il est tributaire des cours du pétrole et de la gestion de la masse monétaire qui arrive dans les caisses du pays. Cela créé des situations absurdes : par exemple, les prix de l’essence à l’intérieur du pays ne correspondent pas aux prix réels – ils sont plus bas – et favorisent donc la contrebande vers les pays voisins.

Il y a un système de contrôle des changes qui est également contourné par la plupart des Vénézuéliens soit par le marché noir de la monnaie soit par l’exportation de produits vénézuéliens vers la Colombie par exemple, en vue de blanchir l’argent que l’on retire des produits qui sont exportés.

JOL Press : Que fait le gouvernement pour enrayer cela ?
 

Jean-Jacques Kourliandsky : Le gouvernement essaie de répondre à ces défis en prenant des mesures autoritaires. Tout récemment, il a instauré un double système de change mais il ne sera pas plus efficace que les précédents : il y a un taux de change pour certaines catégories de personnes comme les étudiants qui sont à l’étranger, et un autre taux de change pour les Vénézuéliens qui voyagent pour des raisons touristiques, par exemple qui veulent se rendre en Europe ou aux États-Unis.

Ce système ne fonctionne pas et le gouvernement est dans une situation extrêmement difficile, d’autant plus qu’il doit également faire face aux incidents liés aux trafics en tous genres, notamment aux trafics de stupéfiants. Les réseaux qui partent du Venezuela et de la Colombie pour aller en Afrique de l’Ouest ou en Europe ont des conséquences sur la sécurité publique qui font que le Venezuela est actuellement, avec un certain nombre de pays d’Amérique centrale, un des pays les plus dangereux au monde.

JOL Press : Les phénomènes de pénurie sont-ils récurrents dans le pays ?
 

Jean-Jacques Kourliandsky : C’est un phénomène qui arrive assez régulièrement. Cela avait d’ailleurs conduit l’ancien président Hugo Chavez à prendre le contrôle d’un certain nombre de supermarchés qui, à l’époque, étaient des filiales du groupe français Casino. Il avait était suspecté lui aussi de gérer la pénurie pour essayer de maximiser ses profits.

L’économie vénézuélienne est une économie qui est en état de dysfonctionnement et de déséquilibre permanent, qui nécessiterait une autre politique économique, mais le choix qui a été fait par tous les gouvernements, c’est de ne pas toucher au prix de l’énergie et du pétrole, et de vivre sur la rente du pétrole. La seule différence qui a été introduite par le gouvernement actuel, c’est qu’une partie importante de la rente pétrolière est reversée dans les politiques sociales. De fait, le Venezuela vit sur des richesses qui sont importantes, mais qu’il épuise au fur et à mesure des années sans les renouveler.

L’économie vénézuélienne repose également sur un double marché. Le marché noir, qui envoie essence et produits alimentaires vers les pays voisins, est un circuit vicieux que personne au Venezuela n’a jusqu’ici réussi à rompre.

JOL Press : Comment la population réagit-elle face à ces pénuries ?
 

Jean-Jacques Kourliandsky : Elle le vit très mal. La partie de la population qui vote pour l’opposition en fait porter la responsabilité au président Nicolas Maduro, et les partisans du président Maduro en font porter la responsabilité aux propriétaires des supermarchés et autres magasins en les accusant d’être des fraudeurs. Cela participe à la polarisation du climat politique.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Jean-Jacques Kourliandsky est chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) sur les questions ibériques (Amérique latine et Espagne). Consultant sur les situations relatives à ces régions auprès de l’administration publique et des entreprises, il intervient également auprès des Fondations Friedrich Ebert et Jean Jaurès en Amérique Latine. Il est diplômé en sciences politiques et docteur en histoire.

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