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Affaire Buisson: l’entrisme est-il de retour dans la vie politique?

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L’affaire Buisson n’a pas fini de faire parler d’elle : mercredi 5 mars, Le Canard enchaîné et le site Atlantico publiait des enregistrements de réunions à l’Élysée et de conversations privées en 2011 en tre Nicolas Sarkozy et ses proches. Faut-il voir dans la stratégie de Patrick Buisson, conseiller très controversé de l’ancien président et de nombreuses figures de l’UMP, une forme d’entrisme ? Jusqu’où serait-il allé pour étendre son influence ? Eléments de réponse avec Jean Garrigues, spécialiste d’histoire politique. Entretien.

JOL Press : Pouvez-vous nous donner quelques rappels historiques de l’entrisme en politique ?

Jean Garrigues : L’entrisme en politique c’est presque une doctrine, c’est une stratégie que Léon Trotski avait adopté dans les années 30 pour ses partisans qui étaient exclus de l’appareil soviétique mais aussi de tous les partis communistes européens. Il s’agissait d’entrer dans d’autres formations politiques, y compris dans le Parti communiste, pour se faire une place dans la vie politique.

C’est une doctrine presque officielle de Léon Trotski qui se retrouve en France à partir des années 50 jusqu’aux années 70, dans les organisations trotskistes, comme l’OCI (Organisation communiste internationaliste) dont les militants qui étaient exclus de vie politique ont intégré la SFIO puis le Parti socialiste pour faire évoluer, de l’intérieur, les idées, les valeurs et le programme du PS.

JOL Press : A-t-on des exemples célèbres de partis ou de personnes qui ont pratiqué cette technique dans l’histoire récente ?

Jean Garrigues : On retrouve cette pratique à l’extrême droite, notamment au Front national où tout un courant qui venait d’une extrême droite dure, pétainiste et nostalgique de l’Algérie française – je pense à l’Œuvre française, menée par Pierre Sidos – a tenté de s’infiltrer au sein du FN pour y exercer une influence. On les retrouvera auprès de Bruno Mégret dans les années 80 ou dans l’entourage de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, le Front national s’est débarrassé de ses éléments mais on en retrouve encore dans l’entourage de Bruno Gollnisch qui s’était présenté à la présidence du parti face à Marine Le Pen.

Pratiquer l’entrisme, c’est faire passer ses idées en s’infiltrant dans un autre parti que le sien. Une stratégie qui existe aussi par le biais des syndicats. On en a parlé assez récemment à propos du Front national, mais c’est ce qui avait été fait par le Parti communiste, en France dans les années 30, quand le PC était hors du jeu politique et qu’il avait tenté un autre type d’infiltration dans des organisations qui participent aussi à la vie politique, les syndicats.

On sait que dans les années de Guerre froide, la CGT, par exemple, était infiltrée par un grand nombre de militants communistes. Et on peut considérer cela comme une forme d’entrisme, même si c’était relativement officiel : des liens très étroits existaient entre la direction de la CGT et le comité central du Parti communiste.

Récemment, le syndicat Force ouvrière a sanctionné une responsable du Nord-Pas-de-Calais, candidate FN aux cantonales, deux semaines après la suspension d’un responsable CGT en Moselle pour le même motif. Au syndicat SUD, les trotskistes font encore de l’entrisme.

JOL Press : L’entrisme en politique existe-t-il encore ? Comment se pratique-t-il de nos jours ?

Jean Garrigues : Je pense que l’entrisme est en voie de disparition parce que la diffusion de l’information, aujourd’hui, permet assez peu de dissimuler ses origines politiques. Il peut y avoir des transferts, je pense notamment à Guillaume Peltier, ancien militant du Front national qui est, à présent, vice-président de l’UMP, mais ce n’est pas exactement la même chose.

On peut considérer comme des formes d’entrisme l’influence de certains mouvements ou organisations non gouvernementales, comme Greenpeace, au sein de partis écologistes. Mais à l’origine de l’entrisme, on retrouve avant tout une stratégie concertée et collective qui n’existe plus aujourd’hui. Je ne pense pas que les militants de Greenpeace investissent, de manière collective et concertée, la mouvance écologiste. Il s’agit avant tout de trajectoires personnelles. On connait les origines trotskistes d’un certain nombre de figures du Parti socialiste, comme Lionel Jospin ou Julien Dray, mais de manière générale, cette doctrine est en voie de disparition.

JOL Press : Peut-on dire, pour se raccrocher à l’actualité, que Patrick Buisson a cherché à faire de l’entrisme, en se rapprochant au plus près de Nicolas Sarkozy, ou était-ce davantage une stratégie personnelle ?

Jean Garrigues : Je pense que Patrick Buisson est davantage dans l’ambition personnelle. Le point commun entre sa stratégie et l’entrisme, c’est qu’il s’est infiltré dans une structure, dans un lieu de pouvoir en l’occurrence, qui n’appartient pas à sa famille d’origine puisqu’il ne s’est jamais caché d’être plutôt maurassien et monarchiste. Mais il s’agit vraiment d’une ambition personnelle : il a été successivement le conseiller de Jean-Marie Le Pen, de Philippe de Villiers et de Nicolas Sarkozy. On ne voit pas là de stratégie concertée mais la volonté de faire prévaloir ses idées, dans le cadre d’un parcours individuel.

JOL Press : Et Jean-Luc Mélenchon avec le Parti communiste…

Jean Garrigues : Jean-Luc Mélenchon n’a pas comme stratégie d’infiltrer la direction du Parti communiste, c’est un allié du PC au sein du Front de gauche. Il s’agit là d’une stratégie d’alliance et non d’une stratégie d’entrisme. L’entrisme comporte une part de dissimulation, ce qui n’est pas le cas dans une stratégie d’alliance où chaque partenaire avance à visage découvert.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Spécialiste d’histoire politique, Jean Garrigues est professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans. Il est membre du jury du prix de thèse de l’Assemblée nationale, du prix du Livre d’histoire du Sénat et du prix Jean Zay, du conseil scientifique des Rendez-vous de l’histoire et du Comité d’histoire de la Ville de Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008), Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012) ou Le monde selon Clemenceau (éditions Tallandier, 2014).

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