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Afrique: une explosion de la pollution d’ici 2030?

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JOL Press : Vous avez mis en évidence dans vos travaux le risque d’accroissement des émissions de polluants atmosphériques sur le continent africain d’ici 2030. Comment avez-vous mené vos recherches ?
 

Cathy Liousse : Dans nos récents travaux, nous avons remarqué que la pollution anthropique, c’est-à-dire induite par l’homme, était importante dans les villes africaines. Les concentrations mesurées dans l’air étaient exceptionnellement élevées. Nous travaillions depuis des années sur la pollution par les feux de savane en Afrique – touchant donc plutôt les zones rurales – mais pas sur les zones urbaines. Au niveau international non plus, le problème de la pollution dans les villes africaines ne posait pas vraiment question.

En remarquant les concentrations très élevées, nous nous sommes dit qu’il fallait vraiment regarder de plus près quels étaient les émetteurs polluants et donc établir des inventaires d’émissions, en essayant d’intégrer les spécificités africaines. Ce sont ces inventaires d’émissions qui servent de base pour calculer ensuite les impacts sur la santé, sur l’environnement etc. C’est ainsi que nous avons développé cette étude.

Nous avons commencé par nous intéresser à l’année 2005 en nous appuyant sur des données diverses : des questionnaires de consommation de fuel, soumis aux autorités de différents pays, des enquêtes de terrain ou encore des résultats de programmes de recherche – par exemple, des mesures avaient été effectuées sur la pollution émise par les pots d’échappement des véhicules à deux roues dans certaines villes africaines.

JOL Press : Quelles sont les principales sources d’émissions polluantes en Afrique ?

Cathy Liousse : Les feux domestiques tout d’abord, avec la fabrication très polluante du charbon de bois pour la cuisine. Puis, les véhicules à deux roues, souvent utilisés comme taxis, utilisant des combustibles très polluants (des mélanges d’huiles et d’essences frelatées). Cela touche particulièrement des pays proches du Nigéria, où l’essence de contrebande est souvent utilisée et où le trafic est important. D’autres sources de pollution peuvent venir de vieilles voitures ou de vieux camions. Les industries et centrales thermiques enfin.

JOL Press : Vous dites que la pollution atmosphérique en Afrique était sous-estimée. Il n’y avait donc pas eu suffisamment d’études sur cette question ?
 

Cathy Liousse : C’est plutôt l’intérêt pour cette question qui n’est pas suffisant : il n’y a pas assez de réseaux de surveillance et de mesure de la qualité de l’air, notamment en Afrique de l’Est, centrale et de l’Ouest. Ce n’est pas le cas en Afrique du Sud avec des agences de qualité de l’air actives. De manière générale, les autorités commencent cependant à prendre conscience du niveau de la pollution et des problèmes qui en découlent, notamment parce que les concentrations sont très élevées. Au niveau international, quand on parle pollution, on évoque surtout le cas de la Chine, de l’Inde et de l’Amérique du Sud. Le cas de l’Afrique est une question nouvelle.

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JOL Press : Quels régions, pays et villes et du continent africain sont les plus touché(e)s par ces taux élevés de pollution ?
 

Cathy Liousse : Les disparités régionales de la pollution sur le continent sont bien sûr espèces et sources de combustion dépendantes. C’est en Afrique de l’Ouest que l’on trouve les émissions d’espèces carbonées gazeuses et particulaires les plus importantes, suivie de l’Afrique du Sud et de l’Afrique centrale, les plus faibles étant en Afrique du Nord. Ce classement montre l’importance des émissions par les feux domestiques, et moins par les industries. Par contre, les émissions des espèces gazeuses, azotées et soufrées (reliées aux industries) sont prédominantes en Afrique du Sud, en Afrique du Nord et ensuite en Afrique de l’Ouest et centrale.

Quand on regarde les projections de population en 2030, un hub va se créer au niveau du golfe de Guinée (de Lagos à Abidjan) où les villes connaissent une urbanisation galopante qui risque de favoriser les émissions polluantes. Pour l’Afrique centrale, c’est l’Ethiopie et le Kenya les plus touchés. Pour l’Afrique australe, c’est l’Afrique du Sud avec Johannesburg et sa région, où toutes les industries sont concentrées. En Afrique du Nord, c’est surtout l’Égypte avec la mégacité du Caire (>10 millions d’habitants), et le Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie).

JOL Press : Y a-t-il une prise de conscience des autorités africaines sur les risques liés à la pollution ?
 

Cathy Liousse : Nous n’avons pas encore commencé à travailler sur l’aspect sociétal de la question, mais c’est en projet. Néanmoins, concernant les pays avec lesquels nous travaillons – nous venons de démarrer un programme européen avec la Côte d’Ivoire et le Bénin, à Abidjan et Cotonou – les autorités sont avec nous, le ministère de l’Environnement est intéressé et les scientifiques qui travaillent avec nous sur ces sujets dans ces pays depuis une vingtaine d’années essaient d’avoir des liens forts avec les autorités pour les sensibiliser.

JOL Press : Quels sont les risques pour la santé ?
 

Cathy Liousse : Concernant les particules émises par exemple par les sources liées aux deux-roues ou alors liées aux véhicules diesel – nous avons mené des études à Bamako et au Sénégal – un des risques pour l’instant étudiés est essentiellement le développement de maladies respiratoires. Nous avons fait des études sur des mesures in vitro et in vivo qui ont montré que ces sources de pollution comportaient en effet des risques inflammatoires liés aux propriétés de taille et chimique des particules qui pénètrent très loin dans les voies respiratoires, jusqu’aux alvéoles. Cela peut provoquer diverses maladies, allant du simple rhume jusqu’à l’asthme et à la mort dans les cas les plus graves. En 2030, si rien n’est fait pour essayer de réduire ces émissions de carbone suie, de carbone organique et de gaz, il faut s’attendre à une hausse des cas de mortalité.

JOL Press : Quelles sont les perspectives pour 2030 ?
 

Cathy Liousse : Nous avons fait des projections pour le futur à partir de deux scénarios issus du modèle économique POLES et qui décrivent, pour 2030, soit un monde sans politique environnementale, soit un monde avec les mesures du protocole de Kyoto. Mais comme pour l’Afrique cela ne changeait pas grand-chose, puisque Kyoto ne prend pas en compte les spécificités des émetteurs africains, nous avons construit un troisième scénario type « idéal » qui inclut de vraies réductions d’émission pour l’Afrique. Selon nos calculs, sur le total des émissions dans le monde liées au trafic, à l’industrie et aux activités résidentielles, le poids de l’Afrique pourrait ainsi représenter entre 20 et 55% des émissions globales en 2030.

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REF : monde sans politique environnementale 
ccc: monde avec mesures de réduction incluses dans le protocole de Kyoto 
ccc*: scénarios avec des réductions spécifiques à l’Afrique.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Cathy Liousse est directrice de recherche au laboratoire d’aérologie du CNRS de Toulouse, et physico-chimiste spécialiste de l’impact des émissions sur le climat et la santé.

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