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Argentine: Face à l’inflation, la campagne des «prix surveillés»

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JOL Press : Quel est l’objectif de la campagne « prix surveillés » dans les supermarchés en Argentine ? 
 

Carlos Quenan : La campagne des prix surveillés est un engagement mis en place par le gouvernement, les supermarchés et les principaux distributeurs pour qu’il y ait des prix de référence pour un ensemble de produits de consommation base. L’objectif de ce contrôle des prix est d’essayer d’éviter un dérapage de l’inflation : un danger pour l’économie argentine. Il y a un risque de spirale: dévaluation-inflation-hausse des salaires.

JOL Press : Comment ce contrôle des prix est-il vérifié dans les supermarchés ? L’efficacité de cet accord a-t-elle été prouvée ?
 

Carlos Quenan : Le gouvernement a mis en place des contrôles ponctuels et appelle les consommateurs à s’adresser à la direction de défense de consommateurs de chaque ville. Il y a une interaction forte entre le gouvernement et les entreprises des produits concernés pour l’accomplissement de l’accord établi. Le secrétaire d’Etat au commerce intérieur effectue des visites dans les chaînes de supermarché pour vérifier que le contrôle des prix est respecté. L’efficacité ce type de mesure de contrôle ne peut durer qu’un certain temps, et permet d’atténuer l’impact de la dévaluation du peso argentin sur le pays.

JOL Press: L’inflation pour le mois de janvier en Argentine a atteint 3,7%, la plus importante hausse des prix mensuelle depuis la crise économique de 2001.  Cette inflation est-elle uniquement liée à la dévaluation du peso argentin ?
 

Pierre Salama : Cette inflation est la conséquence des effets de la dévaluation. C’est un effet quasiment mécanique: il y a eu des comportements spéculatifs de la part des grands groupes exportateurs : le premier comportement a été le stockage du soja dans l’attente d’une dévaluation, et pour en tirer davantage d’argent en peso argentin. Cela a généré moins d’argent en dollars pour le gouvernement, qui pouvait moins défendre sa monnaie.

JOL Press : Au-delà des « prix surveillés », quelles sont les autres les autres mesures que peut mettre en place le gouvernement argentin pour freiner l’inflation ?
 

Carlos Quenan :  Le gouvernement peut agir sur deux domaines étroitement liés entre eux : les négociations salariales et la situation budgétaire. Dans ce contexte de tensions inflationnistes présent depuis plusieurs années en Argentine – et qui s’est accentué avec la dépréciation du peso en janvier dernier – les syndicats demandent des hausses de salaires importantes. Dans le cadre de ces négociations collectives, les syndicats des enseignants sont les premiers à négocier avec l’Etat. Les négociations qui ont commencé la semaine dernière ont déjà révélé un écart important entre ce qui a été proposé par le gouvernement (22% sur l’ensemble de l’année) contre 40% pour les syndicats.

Les négociations entre les fonctionnaires de l’Education nationale et l’Etat sont importantes d’un point de vue de la dynamique salariale générale, puisque cela va fonctionner comme benchmark, comme cadre de référence pour les autres négociations salariales qui vont suivre mais aussi du point de vue des finances publiques.

JOL Press : La situation actuelle rappelle-t-elle la période traumatisante de l’hyperinflation  en Argentine ?
 

Pierre Salama : C’est évidemment dans la tête de beaucoup de personnes… Le souvenir est là. Mais l’hyperinflation était autrement plus importante. Dans un pays comme l’Argentine, l’hyperinflation se traduisait par une inflation mensuelle de l’ordre de 30% à 40%. Le souvenir repose surtout sur les effets de cette hyperinflation : les conséquences sont très importantes sur les pauvres et les couches moyennes de la société, puisque cela les appauvrit davantage, et cela enrichit les plus riches. Face à cette situation, le gouvernement a augmenté les subventions pour les couches de la population les plus défavorisées et a tenté de contrôler les prix de certains produits de base, mais cela ne se traduit pas toujours par un succès. L’Histoire montre que c’est facile de bloquer un prix, mais beaucoup plus difficile d’en sortir…En général, lorsqu’on en sort, cela donne naissance à un « boom inflationniste ».

JOL Press : Cette crise annonce-t-elle la fin pour Cristina Kirchner ?
 

Pierre Salama : Je pense que nous sommes déjà dans la « fin de Cristina Kirchner » : elle est toujours au pouvoir mais cela n’a rien avoir avec les deux premiers mandats. Le troisième mandat est synonyme perte de confiance  et de tricherie, notamment avec cette histoire d’indice des prix.

Et puis Cristina Kirchner n’a plus la possibilité de se présenter puisqu’elle a perdu les élections, et n’a donc pas la majorité pour changer la Constitution. Par ailleurs, elle est diminuée physiquement.  Son absence pendant plus d’un mois, alors que la spéculation battait son plein a été coûteuse.

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Pierre Salama est économiste et professeur émérite des universités Centre d’Économie de Paris-Nord. Il est l’auteur de l’ouvrage Les économies émergentes latino-américaines : entre cigales et fourmis aux Editions Armand Colin.

Carlos Quenan est professeur d’économie à Paris III la Sorbonne Nouvelle, vice président de l’Institut des Amériques et spécialiste de l’Amérique latine chez Natixis.

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