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Brésil: le «Coupe du monde bashing» va-t-il perturber le Mondial 2014?

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JOL Press : Nous sommes à 100 jours de la Coupe du monde de football. Des manifestations contre la tenue de l’évènement sportif ont encore eu lieu ces derniers jours. Les revendications des manifestants sont-elles aujourd’hui les mêmes que l’année dernière ?
 

Stéphane Monclaire : Les revendications sont différentes. En juin dernier, elles portaient notamment sur l’augmentation des prix des transports dans les très grandes villes. Au fur et à mesure que se greffaient de nouveaux groupes sociaux à ce mouvement de protestation, les revendications se sont élargies. Le gouvernement brésilien a ensuite publié les chiffres du coût de préparation du Mondial. Ces chiffres – 11 milliards d’euros – ont paru astronomiques à la population brésilienne.

Il faut bien comprendre que les Brésiliens, comme la plupart des gens dans le monde, ne prêtent généralement pas attention aux sommes exactes et aux budgets alloués à la sécurité sociale, aux hôpitaux, à l’enseignement supérieur… Quasiment personne n’est capable de donner un chiffre qui s’approche de la réalité concernant ces sommes. Par contre, dès lors que ces budgets portent sur un sujet qui les intéresse fortement, les chiffres commencent à parler. Autrement dit, cette Coupe du monde ne coûte pas cher par rapport à d’autres dépenses publiques, mais comme les Brésiliens ignorent le montant de ces autres dépenses, ils ont l’impression que cette coupe coûte extrêmement cher.

Ensuite, la presse se livre à des comparaisons entre le coût de la Coupe du monde au Brésil par rapport au coût de la Coupe du monde en Afrique du Sud, en Allemagne, en Corée ou en France… Et des dernières coupes, c’est en effet la coupe brésilienne qui coûte le plus cher. Donc la presse s’interroge : pourquoi la coupe brésilienne coûte-t-elle plus cher, alors qu’il n’a pas fallu construire tous les stades ? Il a fallu en construire certains mais, pour le reste, il s’agissait avant tout de rénovation ou de transformation.

La presse fait aussi d’autres comparaisons avec le nombre d’écoles ou d’hôpitaux qui auraient pu être construits, d’ambulances qui auraient pu être achetées etc. C’est le genre de comparaison qui émeut les Brésiliens, puisqu’ils s’aperçoivent que cet argent aurait pu être mieux utilisé. Enfin, les Brésiliens découvrent des cas où il y a visiblement eu de la corruption indirecte, de l’argent public qui a pu servir à enrichir frauduleusement certaines personnes, et cela rend encore plus désagréable le coût de cet évènement auprès de l’opinion publique.

JOL Press : La colère des Brésiliens risque-t-elle cependant de perturber le Mondial ?
 

Stéphane Monclaire : Il se passe actuellement au Brésil une sorte de « Coupe du monde bashing » : 51% des Brésiliens disent regretter que le Brésil organise la Coupe du monde. C’est un gros pourcentage, sachant qu’au départ les Brésiliens étaient extrêmement fiers d’accueillir cette Coupe du monde. Aujourd’hui, les plaisanteries consistent à pratiquer l’humour noir et à critiquer fortement cette Coupe du monde.

Mais ce n’est pas parce que les Brésiliens sont de plus en plus mécontents des sommes engagées dans cette Coupe du monde qu’ils ne regarderont pas le Mondial. Et ce n’est pas non plus pour autant qu’ils descendront massivement dans la rue. Il y aura sans doute des manifestations qui regrouperont quelques centaines voire quelques milliers de personnes, mais il ne devrait théoriquement pas y avoir de manifestations de masse, car les Brésiliens vont suivre cette Coupe du monde, surtout au moment où le Brésil jouera.

Cela n’empêchera pas quelques mobilisations éparses, ponctuelles, notamment de petits groupes radicaux qui profiteront de la présence des journalistes du monde entier pour manifester. Il ne faut cependant pas être victime des images, de quelques slogans ou de ceux qui parlent le plus fort.

JOL Press : Pourquoi la plupart des manifestations qui ont eu lieu ces derniers temps au Brésil ont-elles dégénéré en violences ?
 

Stéphane Monclaire : Il y a trois raisons : la première, c’est que la stratégie de certains des manifestants est de ne pas éviter l’affrontement avec les forces de l’ordre, d’essayer de paralyser le centre-ville un certain temps, et d’attirer les médias. Pour cela, il faut faire quelque chose de spectaculaire, d’innovant, à travers des stratégies d’affrontements ou de « black bloc ». Cette stratégie a un risque : que la manifestation dégénère.

Ce risque est d’autant plus grand que les forces de l’ordre sont mal préparées à ce genre de manifestations : c’est la deuxième raison. C’est-à-dire qu’elles ont tendance à paniquer et à réprimer plus que nécessaire, ce qui entraîne souvent des bavures. Elles s’en prennent à des innocents, utilisent des balles en caoutchouc ou tapent sur des journalistes ; donc la presse s’émeut et donne encore plus d’écho à ces manifestations.

La troisième raison tient au fait que certains manifestants peuvent être manipulés par des forces de l’ordre ou des groupes que l’on a du mal à identifier. Par exemple, il y a une dizaine de jours, une manifestation s’est soldée à Rio par un mort : un journaliste qui a pris une fusée d’artifice dans le visage. Cette fusée venait d’un manifestant, mais on ne sait pas comment ni pourquoi cette fusée a atterri dans les mains de ce manifestant.

En cumulant ces trois facteurs, on arrive souvent à des manifestations qui se terminent dans la violence. Cela a deux conséquences paradoxales : d’un côté, le fait divers tragique – la mort d’un journaliste, des manifestants blessés – donne à la manifestation un écho dans les médias, attise le mécontentement et fait descendre les gens dans la rue. La deuxième conséquence, c’est que cela montre que ces manifestations sont entachées de violences, inhibe certains éventuels manifestants à manifester, et délégitime socialement les formes d’actions violentes.

JOL Press: Les élections présidentielles brésiliennes auront lieu en octobre prochain. La Coupe du monde sera-t-elle un « tremplin » pour la popularité de Dilma Rousseff ou pourrait-elle au contraire en pâtir ?
 

Stéphane Monclaire : Il y aura en effet au mois d’octobre une élection présidentielle – comme tous les quatre ans –, mais le même jour, les Brésiliens auront aussi à élire le gouverneur de leurs États, les sénateurs, les députés fédéraux, et les députés des assemblées législatives de chaque État fédéré du Brésil.

Depuis 1994, c’est-à-dire depuis que la durée du mandat du chef de l’État brésilien est de quatre ans, l’élection présidentielle tombe toujours l’année de la Coupe du monde. Les Brésiliens sont donc habitués depuis 20 ans à ce chevauchement de la campagne électorale et de la Coupe du monde. Mais le Mondial, en lui-même, n’a pas d’impact sur la compétition électorale. Que le Brésil gagne ou perde, cela n’a pas changé les orientations de vote des électeurs.

Par contre, si dans les 100 jours qui arrivent, des scandales éclatent concernant tel élu local ou tel groupe d’élus locaux qui auraient profité des travaux de la Coupe du monde pour s’enrichir personnellement ou enrichir des amis, cela aura un impact sur le vote reçu par ces élus. La sanction électorale sera forte parce que tout ce qui a trait à la coupe du monde est fortement observé par la population.

Les Brésiliens aiment le football et les « à côté » du football : le transfert des joueurs, la construction des stades etc. Donc lorsqu’ils entendent qu’untel est corrompu et qu’en plus il a pris cet argent dans le cadre de la Coupe du monde de football, cet élu ou ce groupe d’élus sera sans doute sanctionné dans les urnes.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Stéphane Monclaire est politologue et spécialiste de l’Amérique latine et du Brésil. Il est maître de conférences à l’Université Paris 1 et chargé de cours à l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine (IHEAL).

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