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Catalogne: «Des revendications nationalistes exacerbées par la crise»

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JOL Press : Le Tribunal constitutionnel (TC) a déclaré illégal, le 25 mars dernier, le projet d’autodétermination de la Catalogne. Une décision prévisible ?
 

Mathieu Petithomme : Oui, cette décision était attendue. La Constitution espagnole qui date de 1978 est très claire: la souveraineté réside dans l’ensemble du peuple espagnol. Si une décision constitutionnelle visant à créer un nouvel Etat doit être prise par referendum, elle concerner l’ensemble du peuple espagnol. Il s’agit d’un jeu politique : cela permet à la classe politique catalane de se positionner en victime en arguant que des évolutions politiques ne sont pas possibles dans le système politique espagnol tel qu’il existe aujourd’hui.

Il y a une question morale dans ce débat sur l’indépendance de la Catalogne. Qui est le peuple souverain ? Pour ceux qui pensent que la souveraineté regroupe l’ensemble du peuple espagnol, il semble immoral qu’une partie seulement du territoire puisse faire sécession. Au contraire, pour ceux qui partagent le principe moral de l’autodétermination des peuples, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il est pour eux moralement acceptable que les Catalans puissent disposer de leur propre futur. C’est une question morale à laquelle il n’y a pas de réponse. En revanche, il y a une réponse juridique : aujourd’hui,  dans la Constitution espagnole, il n’est pas possible d’organiser un référendum au niveau régional pour faire sécession de l’Etat espagnol. Juridiquement, c’est donc l’Etat central qui a le dernier mot.  

JOL Press : Malgré cette décision de justice, le référendum du 9 novembre sera-t-il maintenu ?
 

Mathieu Petithomme : On ne peut pas savoir. Si la Catalogne organise un référendum qui n’est juridiquement pas valable, mais qui est accepté politiquement accepté, cela lui permettra ensuite de négocier avec le pouvoir central. Une manière de peser dans des négociations politiques futures avec le gouvernement espagnol. Même si l’indépendance ne pourra pas être actée du jour au lendemain.

 JOL Press : Qu’est-ce que les nationalistes catalans reprochent au gouvernement central ?
 

Mathieu Petithomme : Il y a de vrais et de faux griefs. L’argument des nationalistes est de dire que la Catalogne est la région la plus développée de l’Espagne, la plus peuplée, qui donne plus de ressources à l’Etat national, en termes d’impôts et de transferts des revenus, alors qu’elle n’en reçoit pas de ressources de l’Etat espagnol. C’est l’argument classique repris par d’autres partis nationalistes dans différents pays, comme par exemple la Ligue du Nord en Italie.

Là encore, si on essaie d’analyser les faits réels, on peut avoir une vision plus nuancée : certes la Catalogne contribue plus au budget de l’Etat national espagnol, mais en même temps, la Catalogne est l’une des régions les plus endettées de l’Espagne. Cet endettement est dû à des politiques nationales, mais également à des politiques régionales soutenues par les partis du gouvernement nationaliste successifs. C’est donc très simplificateur de dire que tous les problèmes viennent de Madrid…

JOL Press : La Catalogne pourrait-elle survivre économiquement sans le gouvernement central ?
 

Mathieu Petithomme : Si la Catalogne devient indépendante, il y aurait des représailles économiques de la part de l’Espagne, qui pourrait par exemple introduire des taxes pour l’importation et l’exportation des produits alors que la grande majorité du commerce de la Catalogne est fait avec le reste de l’Espagne.  La situation économique de la Catalogne pourrait donc s’enrayer de manière très sévère.

JOL Press: Si la Catalogne devenait indépendante, serait-elle exclue de l’Union européenne ?
 

Mathieu Petithomme : Rien n’assure que la Catalogne soit acceptée comme un Etat indépendant au sein de l’Union européenne. Les déclarations de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et des dirigeants de l’Union européenne, sur ce sujet sont sans équivoques. Les commissaires européens refusent d’accepter un pays indépendant  de manière inconditionnelle.

Il faudrait que la Catalogne passe par une phase d’adhésion, qui se fait à l’unanimité des Etats membres. Et, sachant que l’Espagne boycottera cette adhésion, elle  deviendrait un Etat en marge de l’Union européenne, comme ce qui s’est passé avec Chypre.

JOL Press : L’indépendance de la Catalogne vous paraît-elle probable dans un futur proche ?
 

Mathieu Petithomme : A court terme,  cela me semble très improbable. D’abord, il n’est pas certain que le référendum d’indépendance soit organisé. Il n’est pas sûr non plus que les Catalans l’acceptent : même s’il y a une poussée indépendantiste, les Catalans sont divisés sur le sujet. Et puis, troisièmement, même si le référendum était accepté, juridiquement, cela n’aurait aucun effet et il serait invalidé par le Tribunal constitutionnel. Il s’agirait simplement d’une bombe politique, qui mènerait à des discussions entre le gouvernement catalan et le gouvernement espagnol qui pourraient peut-être déboucher sur une indépendance.

Nous sommes dans un schéma plus complexe que celui du référendum en Ecosse, par exemple, où si le « oui » l’emporte cela débouche sur une indépendance.

JOL Press: Le sentiment nationaliste en Espagne a-t-il toujours existé ?
 

Mathieu Petithomme : Oui, depuis le XIXe siècle, ce sentiment culturel se base avant tout sur la défense de la langue catalane. Il a ensuite donné corps au développement d’une conscience nationale. Lorsqu’on se penche sur l’Histoire, on se rend compte que le nationalisme catalan a toujours progressé dans les moments où l’Etat espagnol était lui-même en crise.

C’est une réponse à la faillite de l’Etat central. A la fin du XIX siècle, l’Etat espagnol a perdu ses colonies : il y avait alors une crise très forte de la monarchie espagnole et du modèle de l’Etat unitaire. C’est en réaction à cette faillite de l’Etat unitaire que les nationalismes périphériques – que cela soit le nationalisme Catalan ou Basque – ont émergé.

JOL Press: La crise a-t-elle renforcée cette volonté d’indépendance de la Catalogne ?
 

Mathieu Petithomme : A la fin des années 90 – début des années 2000, l’Etat espagnol fonctionnait assez bien économiquement et politiquement, le nationalisme espagnol était là, mais moins fort qu’aujourd’hui. Si l’on assiste actuellement à un renforcement des revendications nationalistes, c’est avant tout parce que l’Etat espagnol est très faible, que les institutions sont discréditées, une corruption très forte des élites politiques à Madrid et, effectivement, surtout à cause de la crise économique et sociale qui frappe le pays depuis six ans. Les élites politiques catalanes profitent de ce contexte de crise pour affirmer qu’ils s’en sortiront mieux tout seul.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Mathieu Petithomme est maître de conférences en sciences politique à l’IUT Besançon et a co-écrit avec Alicia Fernández García l’ouvrage « Les nationalismes dans l’Espagne contemporaine (1975-2011) » (Editions Armand Colin).

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