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Cohn-Bendit, Vietnam, liberté sexuelle: souvenirs d’un 22 mars

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Il est de ces nuits qui marquent l’Histoire. Celle de la Saint Barthélémy en 1572, qui a vu se dérouler le massacre éponyme. Celle du 4 août 1789 également, qui abolit les privilèges de la noblesse et marque la destruction du féodalisme de l’Ancien Régime. Et puis il est de ces nuits qui, faute de rester immémoriales, marquent du moins une génération. La nuit du vendredi 22 mars 1968 en fait partie.

Un mouvement spontané

Le mouvement du 22 mars est un mariage – surprenant de prime abord – entre des revendications quotidiennes et une opposition à la Guerre du Vietnam. Le 20 mars, une poignée de militants d’extrême-gauche saccage le siège français d’American Express. Appartenant au Comité Vietnam national, ils militent pour « la victoire du peuple vietnamien contre l’impérialisme américain ». Parmi les quelques 300 personnes de cette mise à sac, six sont arrêtées. Elles viennent des Jeunesses communistes révolutionnaires, pour certaines.

Dans l’après-midi du 22 mars, une assemblée d’étudiants de la faculté de Nanterre vote la création d’un comité de soutien, appelé tout simplement du jour de son lancement. Ce mouvement, sans le savoir à ce moment-là, entraîne une cascade d’évènements conduisant, progressivement, aux événements du mois de mai : création à Nanterre du Centre d’études et de recherches politiques et sociales (CREPS), riposte du doyen de la faculté…

Une salade de tendances

Au-delà de la simple opposition à la guerre du Vietnam, le mouvement se fonde sur des braises chauffées au fil des mois par certains agitateurs. En janvier, Daniel Cohn-Bendit s’insurge contre un rapport sur la jeunesse, qui laisse les questions sexuelles de côté.

C’est ainsi que, de l’anomalie que représente la réunion d’anarchistes et des futurs mao-spontex, de trotskistes et d’ « Enragés » situationnistes, le mouvement du 22 mars se crée une identité de cette altérité. Ce trait d’union s’effectue finalement logiquement. L’opposition aux Américains engagés au Vietnam trouve son écho à la fois chez les maoistes et autres partisans d’un « communisme de guerre », et les pacifistes et/ou anti-américains.

De la même manière, la libération sexuelle, héritée de la « beat generation », devient rapidement le refrain que les futurs soixante-huitards reprennent en chœur. Les désirs de libéralisation des mœurs s’affichent alors à travers des revendications concrètes, plus accessibles qu’un anti-impérialisme idéologique : le premier droit demandé est celui, pour les étudiants, d’aller dans les chambres des filles des résidences universitaires !

Le prélude à Mai 68 et ses figures

Le Mouvement du 22 mars n’a pas vocation à durer. Autoproclamé apolitique, il fonctionne sur un simple principe de votes à l’unanimité. S’essoufflant au fil des mois, remplacé par la vague estudiantine de mai, il est officiellement dissous par décret le 12 juin 1968, en même temps qu’une dizaine de groupuscules d’extrême-gauche.

En tête de gondole du groupe d’étudiants, un certain Daniel Cohn-Bendit y fait ses premières armes, en tribun qui harangue la foule et agresse verbalement ses contradicteurs, fussent-ils doyens ou étudiants. Un terrain d’entraînement pour une figure qui émerge véritablement quelques mois plus tard, jusqu’à devenir un symbole pour certains. Les autres leaders du Mouvement du 22 mars se retrouvent d’ailleurs, pour la plupart, dans les salles occupées de la Sorbonne à la fin du printemps : René Riesel (un « Enragé de Nanterre »), Serge July (futur mao-spontex, qui se définit à la fois comme libertaire et autoritaire) ou encore le trotskiste Daniel Bensaïd.

Le 22 mars meurt finalement de ce qui avait fait sa raison d’être, un anarcho-libertarisme réunissant trop de mouvances pour être pérenne.

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