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Comment expliquer la réaction du PS après l’échec des municipales?

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L’Elysée a fait savoir mardi 25 mars qu’il y aurait « nécessairement une expression et une action » du président de la République et du gouvernement en avril après un premier tour marqué par une abstention record, une percée historique du Front national et un vote-sanction contre les socialistes dans plusieurs grandes villes. Une déclaration nécessaire après la réaction des dirigeants socialistes au lendemain du 1er tour des municipales. Décryptage de la situation avec Jacques Le Bohec, professeur à l’Université Lyon 2.

JOL Press : Qu’avez-vous pensé de la réaction des dirigeants socialistes au lendemain du premier tour des municipales ?

Jacques Le Bohec : Comme d’habitude, elle est hallucinante. Elle est symptomatique d’un fonctionnement séparé du microcosme politique. Elle est similaire à celle de l’UMP, mais avec des spécificités. Tout d’abord, il est singulier qu’ils négligent les découvertes en sociologie électorale et de l’analyse du phénomène Le Pen. Ils estiment par exemple que les votes Le Pen s’expliquent par la réalité des problèmes mis en avant par le FN et qu’il faut donc les prendre à bras-le-corps. Ils font naïvement confiance aux sondeurs, dont les prévisions se sont particulièrement avérées erronées, induisant en erreur les candidats ingénus et ignorants. On les aura avertis, pourtant.

Il faut dire que les caciques du Parti socialiste n’entretiennent guère de liens avec la recherche de haut niveau en science politique. Ne s’en servant pas, on comprend que le ministère veuille limiter l’importance de cette discipline qui ne dit pas toujours ce que les politiques aimeraient entendre (et qui ressemble au miroir magique de la méchante reine dans Blanche-neige). Depuis plusieurs décennies, les dirigeants de ce parti tirent les conclusions qui les arrangent des échecs électoraux compte tenu de leur origine sociale souvent bourgeoise : aller encore plus loin dans les politiques de dérégulation favorables aux intérêts des classes supérieures, des riches, donc d’eux-mêmes.

Avec les échecs prévisibles des municipales et des européennes en 2014, les députés de la majorité ont du mouron à se faire et ils commencent à s’inquiéter pour leur siège (avec raison). Seront-ils sensibles aux menaces de la rue de Solferino ? Quelle est la proportion de parlementaires qui ont encore une conscience de gauche bien affirmée ? Les troupes obéissent à un chef tant qu’il les mène à la victoire, mais si la tendance s’inverse, que risque-t-il de se passer ?

JOL Press : Faut-il remplacer Jean-Marc Ayrault ?

Jacques Le Bohec : La question n’est pas le remplacement de Jean-Marc Ayrault mais la politique qui sera menée par la suite. L’actuel Premier Ministre est tout à fait capable de mener une véritable politique de gauche si le président de la République le lui demande, même avec une autre équipe. Mais ils ne penchent (pensent) pas de ce côté. Les résultats assez passables, aggravés par les préventions anti-socialistes et les interprétations orientées des journalistes des médias d’information continue, vont sans doute conduire François Hollande à en changer. Mais ils risquent de penser qu’ils ont raison de toute façon en analysant les votes de façon orientée et simpliste. Par exemple, ils vont supposer que les raisons de voter sont d’ordre politique et vont s’exprimer en terme d’électorat (de gauche ou de droite), ce qui est aberrant scientifiquement. 

En outre, ils ont, lors de la soirée électorale, osé expliquer les résultats par «  l’impatience » des Françaises et des Français. L’impatience. Si beaucoup d’électeurs des classes populaires et moyennes n’ont pas voté pour les candidats du PS, ce n’est pas à cause de la politique droitière du gouvernement, dont on a testé l’inefficacité depuis 1983 avec les gouvernements successifs de droite et de gauche, voire d’extrême droite : c’est parce que les Françaises zé les Français sont « impatients ». Cela fait des années que les classes populaires et moyennes subissent l’austérité, avec des conséquences jour après jour, ne serait-ce que sur la santé, l’éducation, la scolarité et l’avenir des enfants, mais il faudrait encore attendre et attendre. Godot ? On croit rêver.

JOL Press : Un remaniement ne servirait à rien, selon vous ?

Jacques Le Bohec : Peu de chances par exemple qu’ils stoppent, avec le nouveau gouvernement, le processus de destruction de l’enseignement public supérieur qui est en cours. Avec une loi Fioraso qui prolonge la loi Pécresse au point qu’elle est appelée LRU2. Alors que les gouvernements successifs font succéder les politiques d’austérité et invitent les habitants à se serrer la ceinture, à patienter depuis trente ans, trente ans, il faudrait qu’ils attendent les effets improbables de mesures déjà testées par Chirac, Jospin, Fabius, Villepin, Raffarin, Sarkozy et consorts. Mais les dirigeants « socialistes » ne peuvent pas comprendre les raisons profondes du désaveu. Un peu comme Ségolène Royal le soir du 21 avril 2002 qui ne comprenait pas alors que le gouvernement avait « bien travaillé », qui estimait que le passage à l’euro s’était bien passé, que les électeurs étaient des «  ingrats ». Des ingrats !

En réalité, les dirigeants du PS ne doivent surtout pas comprendre les électeurs mécontents, par exemple en tenant compte des recherches de Daniel Gaxie, car cela supposerait de renier tout ce qu’ils sont et ont été. Tout leur laisse penser qu’ils sont plus intelligents que la moyenne. Du coup, ils ont tendance à sous-estimer l’intelligence des individus moins dotés en capitaux qu’eux. Leur ego et leur confiance en soi sont très élevés. Aucun n’est pourtant réputé fortiche en sciences sociales. Leur position actuelle est surtout acquise grâce à des capitaux économiques, culturels et sociaux hérités, certainement pas grâce à leurs mérites ou à leurs savoirs supérieurs sur la société, qu’ils ne connaissent que par ouïe dire, par fiches interposées.

On va donc continuer comme avant, en accélérant même vers l’inévitable mur. Le futur gouvernement sera sans doute très attentif aux manifestations de colère de parties de la population qui ne font pas partie de ses électeurs (pigeons, homophobes, catholiques tradis, patrons, etc.), ce qui est très logique… L’actuel gouvernement « socialiste » va continuer consciencieusement à saper les bases sociales qui engendrent des masses d’électeurs fidèles (emplois publics et parapublics) à leur parti…

Les informations qui sont tombées aujourd’hui à ce sujet confirment exactement cette analyse pessimiste. « Le message aurait été entendu », nous dit-on, mais l’explication retenue est-elle la bonne ? Apparemment pas puisque l’on nous certifie que François Hollande aurait répondu à Cécile Duflot en Conseil des ministres: « Il faut des résultats ; il faut aller plus vite et être plus cohérent, plus fort ». L’autisme se vérifie clairement à travers les réactions aux mauvais chiffres du chômage, qui ne sont pas uniquement des chiffres, mais aussi des hommes et des femmes vivant dans des conditions catastrophiques pour la plupart. Mercredi soir, la télévision le montrait tout sourire en traversant le hall de l’Elysée. Réjouissons-nous, tout va bien pour lui. La promesse d’un geste fiscal en faveur des Français est tombée complètement à plat. Pourquoi cette promesse serait-elle respectée quand les précédentes ne l’ont pas été, se disent-ils ? Une telle mesure ne risque-t-elle pas de passer pour une forme de charité un peu méprisante et une gestion du pays au jour le jour alors que c’est l’orientation globale des choix gouvernementaux qui pose problème ?

JOL Press : François Hollande ne va-t-il pas choisir de réorienter sa politique ?

Jacques Le Bohec : Imagine-t-on François Hollande, qui s’est dit « social-démocrate » et qui envisage sérieusement un « pacte » avec les patrons (on utilise d’habitude le terme à propos du pacte avec le diable…), opérer un virage à gauche conforme à ses promesses de campagne ? Après un Lionel Jospin qui assurait en 2002 ne pas être de gauche et assurant que « l’Etat ne peut pas tout »… Pourquoi les électeurs des classes populaires et moyennes voteraient pour des candidats de gauche si ceux-ci leur disent implicitement : on ne fera rien pour vous….? De quoi se plaignent-ils au final? Comment, dans ces conditions, le FN ne serait-il pas le premier parti de France lors du scrutin européen de mai prochain ?

Les temps à venir vont sacrément s’assombrir pour le PS mais aussi pour la majorité de la population, exaspérée par l’arrogance de ces gens qui vivent autarciquement dans une bulle, avec une bonne partie d’apparatchiks protégés de la vie réelle et qui fantasment sur ce que seraient les besoins des entreprises privées. Des dizaines de milliards sont ainsi dépensés en vain alors qu’il n’y a soi-disant plus de sous ! Evidemment, la porte-parole du gouvernement est en première ligne et tout à fait typique de cette attitude.

Dans un débat avec Marine Le Pen dimanche soir, elle fut spectaculairement mise dans l’embarras face à une autre femme (parité, quand tu nous tiens…), la présidente du FN. Celle-ci a fini par déclencher l’hilarité en faisant une imitation infantilisante (gna-gna-gna-gna) révélatrice de l’habitus de son interlocutrice. Terrible. Avec cette anecdote, on constate que les dirigeants du FN ont beau jeu face à ces dirigeants du PS autistes, protégés, arrivistes, soumis, ignorants, arrogants, libéraux et naïfs. C’est presque cadeau.

Au début du phénomène Le Pen (1983-1986), le PS mitterrandien avait favorisé le FN dans une stratégie très maligne (même si pas toujours efficace) : faire diversion des renoncements ; empêcher des majorités de droite. Désormais, le PS favorise toujours le FN, même s’il n’est pas le seul, mais involontairement… Le petit jeu PS/UMP de dimanche soir dernier consistant à s’accuser d’avoir causé les votes FN (« c’est ta faute/mais non c’est toi ») concourt lui aussi au phénomène Le Pen. La fille cadette de Jean-Marie Le Pen peut se frotter les mains face à ces manques flagrants d’intelligence tactique et de connaissance de la réalité des votes et de la société, ce qui ne veut pas dire qu’elle propose une analyse plus pertinente.

JOL Press : La stratégie du Front républicain, mise en place dans cet entre-deux tour, face à la progression du FN, sera-t-elle selon vous efficace ?

Jacques Le Bohec : Cette stratégie, une consigne hiérarchique surtout, n’a pas été mise en place partout, mais elle peut être efficace dans bien des situations. C’est juste une question d’arithmétique. Cela n’éliminera pas les votes FN comme par magie, mais permettra de limiter le nombre de villes gagnées par ce parti, sous l’étiquette RBM (Avignon) ou avec son soutien parmi d’autres (Béziers). Il reste néanmoins toujours des incertitudes avec un taux d’abstention aussi élevé, que nous avions pressenti dans une interview précédente, liées à la mobilisation d’une partie des abstentionnistes pour ou contre l’arrivée d’un maire du Front national. Dans la plupart des cas néanmoins, il y a de fortes chances que le rapport de forces ne bouge pas. Peu de chances pour les abstentionnistes soient mobilisés par une promesse ou une hausse du chômage: ils savent déjà à quoi s’en tenir.

Il est intéressant par ailleurs de noter que le retrait de l’investiture partisane nationale, effectif dans plusieurs cas, ne fasse plus vraiment peur. On pense à Grenoble pour la majorité sortante PS (question d’orgueil personnel sans doute pour Jérôme Safar) ou bien à Villeneuve Saint Georges dans la région parisienne (pour un UMP qui fusionne avec un FN). Il n’est pas à exclure que l’exemple de l’élection législative à La Rochelle en juin 2012 ait fait des émules. Le candidat dissident (Olivier Falorni) avait perdu l’investiture du PS, certes, mais il a quand même été élu contre une Ségolène Royal humiliée (avec le soutien de la concubine de François Hollande jalouse de son ex, un vrai vaudeville puéril). Il n’est pas inscrit dans le groupe socialiste, mais parmi les non-inscrits et survit très bien au traumatisme…

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jacques Le Bohec est professeur à l’Université Lyon 2, diplômé de Sciences-Po Bordeaux et spécialisé en sciences de l’information et de la communication.

Ouvrages parus:
– Gauche-droite. Genèse d’un clivage politique, coll. en codirection avec C. Le Digol, PUF
– Dictionnaire du journalisme et des médias, PUR, 2010.
– Elections et télévision, PUG, 2007.
– Sociologie du phénomène Le Pen, La Découverte, Repères, 2005.
– Les interactions entre les journalistes et J.-M. Le Pen, L’Harmattan, 2004.
– L’implication des journalistes dans le phénomène Le Pen, L’Harmattan, 2004.
– Les mythes professionnels des journalistes, L’Harmattan, 2000.
– Les rapports presse-politique, L’Harmattan, 1997.

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