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Comment la victoire d’Anne Hidalgo à Paris a-t-elle été possible?

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La campagne de Paris a été le théâtre d’un terrible affrontement entre deux femmes que tout opposait : Anne Hidalgo, la discrète, élevée dans une cité HLM par des parents immigrés espagnols, face à la médiatique Nathalie Kosciusko-Morizet, polytechnicienne, fille, petite-fille et arrière-petite-fille de responsables politiques.

Bertrand Gréco et Gaspard Dhellemmes ont suivi toutes les étapes de cette élection capitale et ont mené de nombreux entretiens pour reconstituer ce passionnant House of cards version française. Ils dévoilent les réunions secrètes, les velléités de putsch contre la chef de file UMP, les phrases assassines des acteurs clés de cette bataille, dans une Histoire secrète d’une élection capitale (Editions du Moment – 4 avril 2014). Entretien avec l’un des co-auteurs.

JOL Press : Si elle semblait probable, la victoire était-elle acquise pour Anne Hidalgo ?

Bertrand Gréco : On ne peut pas dire que la victoire était acquise pour Anne Hidalgo – en politique, tout est toujours possible – mais il est vrai que la configuration électorale de Paris rendait très compliquée la victoire pour Nathalie Kosciusko-Morizet. Depuis le début de la campagne, ces enjeux étaient connus : à Paris, on ne parle pas d’une élection mais de 20 élections. NKM aurait pu être majoritaire en voix au 2nd tour et perdre cette élection malgré tout parce qu’elle n’aurait pas réussi à faire basculer les bons arrondissements.

Anne Hidalgo savait qu’elle avait toutes ses chances mais, encore une fois, rien n’était joué d’avance. Elle a géré cet avantage avec beaucoup de sérieux, c’est d’ailleurs ce qui la caractérise. Anne Hidalgo n’est pas une femme qui laisse beaucoup de place à la fantaisie et à l’improvisation. Elle est très organisée, quitte à être un peu ennuyeuse par moment. Tous les observateurs s’accordent pour dire qu’elle a commis très peu de fautes pendant cette campagne. La candidate socialiste a indéniablement réussi sa campagne.

JOL Press : Comment a-t-elle réussi à s’imposer dans un contexte de grande impopularité gouvernementale ?

Bertrand Gréco : Il faut déjà savoir que Paris fait toujours figure d’exception. Paris a basculé à gauche en 2001, alors que la France avait déjà connue une vague bleue cette année-là. Par ailleurs, Anne Hidalgo s’est placée dans la continuité de Bertrand Delanoë dont l’action à la tête de la ville est très appréciée par les Parisiens. Les électeurs ont estimé que la première adjointe de ce maire pouvait faire une bonne maire, à son tour, parce qu’elle allait faire la même politique.

[image:2,s]Anne Hidalgo a pris soin, assez rapidement, de se démarquer de l’exécutif. Elle a régulièrement formulé des reproches à l’égard de l’action gouvernementale et a cherché à ne pas nationaliser la campagne. Elle a mis en avant le fait que ce qu’elle proposait pour Paris n’était pas toujours sur la même ligne que celle du gouvernement et s’est alliée très tôt avec les communistes qui refusent d’entrer au gouvernement.

Cette prise de recul a sans doute joué mais les Parisiens ont, avant tout, souhaité voter pour la candidate qui s’inscrivait dans la lignée de Bertrand Delanoë.

Enfin, je pense qu’Anne Hidalgo a bénéficié du rejet de Nathalie Kosciusko-Morizet. NKM est arrivée à Paris avec une image « bobo compatible », elle devait séduire l’électorat de l’est parisien qui vote majoritairement à gauche et elle a échoué dans cette tâche. La droite a fait un bon score à Paris, avec notamment quatre arrondissements acquis dès le 1er tour, mais il s’agissait-là d’arrondissements bourgeois de droite qui n’avaient pas besoin d’elle pour s’affirmer de droite. Sa personnalité un peu en marge de la droite traditionnelle et sa modernité n’ont pas vraiment fonctionné à Paris.

JOL Press : Vous disiez que Paris faisait toujours figure d’exception sur le plan électoral. Comment expliquer ce phénomène ?

Bertrand Gréco : Il faut remonter loin dans l’histoire pour comprendre ce phénomène : toutes les révolutions sont nées à Paris. Ce n’est pas un hasard si NKM a utilisé pendant sa campagne des expressions comme « insurrection démocratique » ou « révolution ». Les Parisiens aiment bien se démarquer, avoir une singularité et ne pas voter comme tout le monde. Paris est une ville à l’électorat très divers : il y a une vraie différence entre les populations du XVIe et du VIIIe et celles du XIXe ou du XXe. C’est aussi une ville très ouverte sur le monde où on trouve le plus grand nombre de nationalités différentes. Quand on est Parisien, peut-être a-t-on le sentiment d’avoir une responsabilité particulière.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Bertrand Gréco, 41 ans, est journaliste au Journal du dimanche depuis 1997, en charge du suivi de la politique parisienne depuis 1999. Il a publié Municipales 2008 : la bataille de Paris. Il est aussi l’auteur de Passion Pierre (2009), un livre consacré au patrimoine et à l’architecture.

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