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Communication: comment réparer la bourde de Christiane Taubira?

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Accusée d’avoir menti dans l’affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy, Christiane Taubira, la Garde des Sceaux, a tenté de se défendre lors du point de presse du gouvernement, juste après le conseil des ministres. Une communication qui s’est retournée contre elle, car la haute définition aidant, les journalistes du Monde ont constaté que les lettres qu’elle a montrées à la presse pour sa défense ont prouvé qu’elle était « régulièrement » tenue au courant de l’évolution de l’enquête liée au financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007. Comment réparer une telle erreur de communication ? Eléments de réponses avec Jean-Luc Mano, spécialiste de la vie politique française, journaliste et conseil en communication. Entretien.

JOL Press : Pourquoi Christiane Taubira a cru bon affirmer qu’elle ne savait rien ? Que cherchait-elle à prouver ?

Jean-Luc Mano : Il existe un fort syndrome français chez les politiques qui les porte à considérer que quand on est détenteur du pouvoir, la meilleure stratégie est la dénégation. Ne pas avouer immédiatement la vérité est un réflexe. Comme cette réaction de Christiane Taubira n’a pas été encadrée, qu’il n’y a pas de discussions inter gouvernementales et qu’aucun cadre n’est fixé par un patron, à l’arrivée, chacun fait ce qu’il veut et se laisse aller à des réflexes malheureux.

Ces erreurs de communication sont inévitables parce qu’il n’y a pas de travail, ce gouvernement fait preuve d’amateurisme en matière de communication. En communication, il n’y a rien de pire que de nier la crise. Dans un premier temps, le pouvoir a eu un réflexe de gourmandise après que son adversaire principal a été mis en difficulté. Et aveuglé par cette satisfaction, il n’a pas vu venir le deuxième coup et a manqué totalement de prudence. Au départ, ils n’ont pas vu qu’une crise était en train de s’abattre sur eux, ils ont cru qu’il suffisait e nier le problème pour le régler.

JOL Press : Mais que craignait-elle en disant qu’elle n’était au courant de rien ? Pourquoi n’a-t-elle pas assumé qu’il était bien normal qu’une Garde des Sceaux soit un minimum au courant pour une affaire d’une telle ampleur ?

Jean-Luc Mano : L’ensemble de la communication gouvernementale et présidentielle, depuis le début de ce mandat, tente à tout prix de ne pas reproduire les faits dont est actuellement accusé Nicolas Sarkozy dans sa gestion de la justice. L’exécutif répugne à s’occuper des affaires judiciaires, envers et contre toute réalité, jusqu’à ne pas fournir les explications normales que pourrait donner un ministre pour informer la population de la situation.

Cependant avouons qu’il s’agit d’un cas extrêmement compliqué : vous avez un ancien président de la République, candidat virtuel à la prochaine élection présidentielle, premier opposant virtuel, certes, mais opposant tout de même, au président de la République actuel, qui est mis sur écoutes dans le cadre de plusieurs affaires depuis le mois de septembre. Il est évident que face à cette situation, l’opinion ne peut s’empêcher de penser que tous les faits et gestes de l’ancien président sont épiés. Au-delà de la simple affaire judiciaire, une question politique se pose. Le gouvernement voulait éviter que les Français pensent que les secrets politiques échangés au téléphone par Nicolas Sarkozy puissent être à la disposition du pouvoir.

JOL Press : Comment le gouvernement peut-il désormais réparer une telle erreur de communication ?

Jean-Luc Mano : Le gouvernement a choisi, pour se défendre, de cogner très fort sur Nicolas Sarkozy en rappelant que l’ancien président était à l’origine de toute cette affaire. « Ce n’est pas la gauche qui est mise en cause, faut-il le rappeler ? » ont expliqué les socialistes, Christiane Taubira en tête. Cette opération n’est pas inutile puisque les ténors de l’UMP Jean-François Copé (31 % d’opinion favorable), François Fillon (48 %) et Nicolas Sarkozy (44 %) perdent six points de popularité dans le tableau de bord Ifop-Paris Match publié mardi 11 mars.

François Hollande n’a pas exigé la démission de sa ministre de la Justice – ce qui aurait été le cas dans n’importe quel Etat anglo-saxon – mais il avancera peut-être le remaniement, après le deuxième tour des municipales, afin d’écarter Christiane Taubira du gouvernement.

JOL Press : Dans ce match qui a opposé l’UMP au gouvernement, peut-on dire que tous les acteurs de l’affaire sont perdants à 10 jours des municipales ?

Jean-Luc Mano : Il est trop tôt pour le dire, il faudra regarder les sondages pour tout le monde mais, à l’évidence, on peut dire qu’il n’y a aucun gagnant dans cette affaire. Nicolas Sarkozy est évidemment atteint, comme le montre les sondages, mais les grands gagnants seront, sans aucun doute, les extrêmes, au détriment des partis de gouvernement.

JOL Press : François Hollande devrait-il prendre la parole pour apaiser les choses ?

Jean-Luc Mano : C’est ce qui se ferait dans tout Etat réellement démocratique. Quand un ministre du gouvernement est mis si durement en cause après avoir lancé des propos contraires à la vérité,  le chef de l’Etat, le garant absolu de la justice doit réagir. Après la scène de mercredi, lorsque Christiane Taubira a exhibé un document à décharge alors qu’il était, en réalité, fortement à charge, naturellement le président de la République devrait parler afin de mettre un terme au trouble qui s’empare de la classe politique. Il avait pris la parole lors de l’affaire Cahuzac et on peut considérer qu’il y a aujourd’hui matière à le faire aussi. Il est vrai cependant que toute communication présidentielle, à quelques jours des municipales, est particulièrement périlleuse.  

JOL Press : Quelle va être la stratégie du gouvernement d’ici les municipales ?

Jean-Luc Mano : Le gouvernement a la chance inouïe que le parlement soit en vacances, cela apaise les débats politiques et les ministres ne sont pas confrontés aux questions au gouvernement mais je ne serais pas étonné qu’il y ai une nouvelle vague de scandales après les municipales qui soit réglée par un remaniement.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Luc Mano a été journaliste, puis est devenu parallèlement conseiller en communication. Il a débuté sa carrière à L’Humanité en 1979, puis est passé par TF1 en 1983, dont il est devenu chef du Service politique. Il est aujourd’hui conseiller en communication chez Only Conseil dont il est le co-fondateur et le directeur associé. Il anime un blog sur l’actualité des médias et vient de publier Les Perles des politiques.

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