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De la brimade au viol: le fléau des violences sexuelles dans l’armée

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JOL Press: Comment en êtes-vous venues à enquêter sur les violences sexuelles dans l’armée française ?
 

Leïla Miñano : Tout a commencé en lisant la presse. Nous nous sommes rendues compte avec Julia Pascual que dans l’armée américaine mais que beaucoup autres armées du monde – comme en Israël, au Canada, en Australie ou en Angleterre – étaient touchées par ce fléau des violences sexuelles à l’intérieur de leurs rangs. Nous nous sommes demandées pourquoi rien n’avait été écrit sur le sujet en France et avons donc décidé de mener l’enquête.

JOL Press: L’armée française est l’une des plus féminisées en Europe, mais dans le même temps votre enquête montre que les femmes n’y ont pas leur place. Comment expliquer ce paradoxe ?
 

Leïla Miñano : Ce n’est pas une spécificité française, c’est valable dans toutes les armées du monde, comme Etats-Unis qui ont une armée aussi féminisée que la nôtre, ou en Israël dont l’armée est plus féminisée que la France, où les femmes sont aussi aux prises de ces violences. En revanche, la France a pris la décision à la fin du service militaire, en 1996, de faire venir les femmes par milliers dans l’armée sans préparer les hommes sur le terrain. Dans ce bastion traditionnellement réservé aux hommes, il aurait fallu préparer les personnes à recevoir et à accepter cet élément nouveau. Les hommes qui avaient toujours été entre eux considèrent que l’armée était une affaire d’hommes: ils ont vu arriver des milliers de femmes et cela a donné lieu à des attitudes de rejet collectif.

JOL Press: Comment se traduisent ces attitudes ?
 

Leïla Miñano : Cela va de la blague graveleuse, à la brimade jusqu’à l’agression sexuelle, jusqu’au viol.

JOL Press: Quel est le terreau de ces violences ?
 

Leïla Miñano : En comparant toutes les affaires, nous avons remarqué que le terreau de ces violences était souvent l’alcool. Il y a un vrai problème de consommation d’alcool dans l’armée: on y boit plus que dans la société civile. C’est souvent à la faveur de soirées alcoolisées et lors de consommation de stupéfiants, en caserne ou en opérations extérieures, que l’agresseur va déraper : en tentant des approches, ou en ayant des attitudes déplacées. Mais il y a également des cas de harcèlement sexuel qualifiés par des actes répétés sans être lié à l’alcool où le supérieur hiérarchique harcèle pendant plusieurs mois sa victime.

JOL Press: Qu’arrive-t-il aux femmes qui osent parler ?
 

Leïla Miñano : Nous avons réservé un chapitre de notre livre à ce que nous avons appelé la stratégie du « mouton noir », qui porte bien son nom. Une fois qu’elles vont décider de dénoncer ces actes à la hiérarchie ou de porter plainte, elles vont devenir celles par qui le scandale arrive, celles qui ont salit l’image de l’unité et de l’armée. Elles vont donc être écartées: elles seront mutées, ou alors, traumatisées par ce qu’elles ont vécu, elles se mettent en arrêt maladie et seront poussées à la réforme pour inaptitude ou infirmité.

JOL Press: Celles qui dénoncent ces crimes sont-elles minoritaires ?
 

Leïla Miñano : Je pense qu’il s’agit d’une minorité de cas. Dans notre livre, nous faisons état d’une cinquantaine d’affaires. Nous avons fait le choix de se cantonner, dans l’immense majorité des cas,  à des affaires qui ont été jugées et dont la culpabilité des agresseurs a été reconnue. Mais il ne s’agit que du sommet émergé de l’iceberg.

JOL Press: Comment la hiérarchie réagit lorsqu’une femme soldat révèle avoir été victime de violences ?
 

Leïla Miñano : En mutant les femmes victimes de violences dans une autre unité, les supérieurs hiérarchiques font en sorte de ne pas faire exploser le scandale. En les chassant, l’honneur est sauf. Même une fois que la victime a obtenu gain de cause auprès de la justice, l’agresseur n’est pas mis à la porte de l’armée : il reste en place.

JOL Press: Cette impunité incite-t-elle les agresseurs à recommencer ?
 

Leïla Miñano : Différentes études menées aux Etats-Unis et en Suède le prouvent: le modèle affiché est l’impunité qui encourage l’agresseur à recommencer.

JOL Press : Face à l’inaction de la hiérarchie, des structures se sont-elles développées pour soutenir les victimes ?
 

Leïla Miñano : Dans l’armée, les soldats ont l’interdiction de se syndiquer et n’ont pas le droit d’appartenir à une association. La seule association qui existe est ADEFDROMIL, l’Association de Défense des Droits des Militaires, qui conseillent les victimes sur leurs droits, et leur apporte un soutien psychologique. Mais cette structure n’a pas d’existence légale et reste dans un vide juridique. Au sein de l’Europe, la France est le seul pays à ne pas avoir ce droit d’association pour les militaires. 

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