Site icon La Revue Internationale

Destitution du maire de Bogotá: «une décision politique de Santos»

arttesano.jpgarttesano.jpg

[image:1,l]

JOL Press : La destitution du maire de gauche Gustavo Petro – rendue officielle mercredi 19 mars – est-elle justifiée ?
 

Michel Gandilhon : La révocation de Gustavo Petro paraît disproportionnée par rapport à ce qu’on lui reproche : avoir re-municipalisé le ramassage des ordures à Bogotá. Même la presse colombienne la plus hostile à Gustavo Petro et à la gauche considère qu’il s’agit là d’une mesure injustifiée. La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) – l’équivalent de la Cour de justice de l’Union européenne – vient quant à elle de déclarer que les droits de Gustavo Petro avaient été violés. Il a non seulement été destitué de ses fonctions à la mairie de Bogota mais il est également exclu de la vie politique pour15 ans…

JOL Press : Faut-il voir dans cette destitution une décision politique de la part du président colombien Juan Manuel Santos ?
 

Michel Gandilhon : Le jeu de Juan Manuel Santos dans cette affaire est très intéressant. En destituant Gustavo Petro, il réaffiche une fermeté vis-à-vis de la gauche en lançant un message à l’électorat d’Alvaro Uribe, à deux mois des élections présidentielles. Dans le même temps, il continue d’affirmer qu’il continuera les négociations avec les FARC : c’est ce qu’il a déclaré à la presse colombienne il y a quelques jours. N’oublions pas que la popularité de Juan Manuel Santos s’est largement effritée…Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il était à 70% de popularité, il est aujourd’hui tombé à 44-45 %. Juan Manuel Santos, comme les FARC et la gauche colombienne ont vraiment du souci à se faire s’ils n’obtiennent pas très vite des résultats concrets dans le processus de paix, comme un cessez-le-feu.

JOL Press : La destitution du maire de Bogota, ex-guérillero du M19, risque-t-elle de freiner le processus de paix entre le gouvernement et les FARC ?
 

Michel Gandilhon : Les FARC ont en effet déclaré, il y a quelques jours à La Havane, que si Gustavo Petro était destitué, ils considèreraient cela comme un coup d’Etat. Cela pourrait donc remettre en cause les négociations de paix. Mais il est important de rappeler que la guérilla du M19 ne s’entendait pas avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC).
Je pense la réaction des FARC est surjouée… Gustavo Petro et les FARC ne s’apprécient pas particulièrement. En janvier 2010, Gustavo Petro, alors candidat à la présidentielle, voulait que les dirigeants des FARC soient jugés pour crime de guerre et pour crimes contre l’humanité par le Tribunal pénal internationalsuite à l’enlèvement et au meurtre du gouverneur du département de Caquetá en Colombie.Gustavo Petro a également quitté le Pole démocratique pour fonder son mouvement, rompant ainsi les liens avec la partie de la gauche colombienne la plus favorable aux FARC.

JOL Press: Le nouveau parti d’Alvaro Uribe est devenue la 1ère force d’opposition lors des élections législatives de mars. Peut-on parler d’un « vote sanction » pour Juan Manuel Santos ?
 

Michel Gandilhon : On peut en effet parler de vote sanction pour Santos, mais également pour toute la classe politique colombienne de gauche, de droite, et extrême gauche confondue. Le vrai vainqueur de ces élections au Congrès c’est l’abstention, qui atteint presque 60%, soit presque 10% de plus qu’aux élections précédentes au Congrès en 2010. Même si l’abstention est traditionnellement forte en Colombie, c’est tout de même le symptôme d’une désaffection de la population colombienne à l’égard de leur classe politique. L’opinion publique est de plus en plus sceptique sur les accords de paix avec les FARC. Ils ne voient vraiment grand-chose de concret venir, il y a donc un doute de plus en plus grand.

JOL Press : Alvaro Uribe est-il encore populaire en Colombie ?
 

Michel Gandilhon : Alavaro Uribe reste quelqu’un d’extrêmement populaire dans la population colombienne : les enquêtes d’opinion montrent que 60% des Colombiens ont une très bonne opinion d’Alvaro Uribe. Il faut cependant relativiser son succès électoral : certes, son parti le Centre démocratique, qu’il a créé, a fait 15% des voix aux élections sénatoriales, mais c’est un succès en trompe l’œil… Alvaro Uribe a récupéré un certain nombre de voix d’extrême droite. En 2010, le parti de l’Intégration nationale (PIN), proche du paramilitarisme, qui avait remporté 8% des voix ne s’est présenté aux dernières élections : Alvaro Uribe a donc récupéré cet électorat et puisé des forces au sein des 30% de Colombiens qui sont contre les négociations avec les FARC. Il est loin cependant de pouvoir contrarier au Congrès la coalition qui soutient Santos, laquelle reste largement majoritaire.

JOL Press : L’arrivée du parti d’Alvaro Uribe sur la scène politique pourrait-elle avoir un impact sur les négociations de paix entre le gouvernement et les FARC qui se déroulent en ce moment à La Havane ?
 

Michel Gandilhon : Je ne pense pas que cela va avoir un impact significatif mais il y a une pression claire sur Juan Manuel Santos. Alvaro Uribe est très populaire et l’opinion colombienne est devenue pessimiste sur l’avenir du processus de paix. Cela d’ailleurs été mesuré dans les enquêtes d’opinion : en septembre 2012, 55 à 60 % des Colombiens étaient optimistes sur le processus de paix. Aujourd’hui, la situation s’est complètement inversée. Si Juan Manuel Santos n’obtient pas très rapidement des résultats, Alvaro Uribe risque d’en profiter, même si son candidat aux élections présidentielles n’est pour l’instant crédité que de 9 à 10% dans les sondages.

JOL Press : Comment expliquer une telle désillusion de la population sur les accords de paix ?
 

Michel Gandilhon : Pour le moment, rien ne s’est vraiment réalisé sur le terrain. Il y a des signatures, des engagements, des proclamations, mais dans la vie quotidienne des Colombiens, pas grand-chose n’’évolue. C’est notamment le cas pour la question de la réforme agraire, très importante en Colombie. Juan Manuel Santos s’est engagé à rendre des millions d’hectares de terres volées par les paramilitaires dans les années 1990-2000 aux paysans, mais le processus est à peine engagé. On parle de paix, mais il faut savoir que sur le terrain, il n’y a pas de cessez-le-feu, la guerre continue. Dernièrement, dans le sud-est de la Colombie, les FARC ont tué des militaires, tandis que les paramilitaires continuent de tuer des syndicalistes. Encore aujourd’hui, des gens meurent à cause du conflit. Les Colombiens sont donc sceptiques. Rationnellement les Colombiens estiment que ces accords de paix sont nécessaires, – dans une enquête d’opinion, 60% des Colombiens ont déclaré que le prochain Président, quel qu’il soit, devra continuer la politique de négociation de paix avec les FARC – mais comme ils ne voient pas de résultats venir ils sont de plus en plus dubitatifs, ce qui explique le résultat des élections au Congrès.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

—————————

Michel Gandilhon est chercheur dans le domaine des drogues illicites, et auteur de La Guerre des paysans en Colombie, de l’autodéfense agraire à la guérilla des FARC, paru aux éditions Les Nuits rouges en 2011.

Quitter la version mobile