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Dette en Argentine: Cristina Kirchner dans le collimateur?

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JOL Press : Cristina Kirchner est aujourd’hui à Paris où elle doit rencontrer François Hollande. Quel impact la crise de la dette en Argentine a-t-elle eu sur ses relations avec la France ?
 

Dario Rodriguez : La question de la renégociation de la dette argentine de 10 milliards de dollars par le Club de Paris [groupe informel de 19 pays créanciers] est au centre des tensions entre l’Argentine et la France. En même temps, les deux pays ont toujours entretenu des bonnes relations. Il y a depuis longtemps des échanges culturels, économiques et politiques entre la France et l’Argentine. François Hollande a eu une position assez consensuelle autour de la question de la dette, et on espère que la rencontre sera productive pour les deux pays.

JOL Press : Cristina Kirchner a déjà été élue deux fois à la tête de son pays, en 2007 et 2011. Pourrait-elle briguer un troisième mandat en 2015 ?
 

Dario Rodriguez : C’est constitutionnellement impossible. Elle a essayé de faire passer une réforme constitutionnelle pour pouvoir envisager la possibilité de se représenter une troisième fois. Mais la situation actuelle ne lui est pas particulièrement favorable : l’Argentine fait face à de nombreux problèmes économiques, et la cote de popularité de la présidente a baissé depuis quelques temps. Cela éloigne encore plus la possibilité pour elle de se représenter, puisqu’elle ne bénéficie pas d’appuis suffisants pour espérer faire passer cette réforme de la Constitution.

JOL Press : Quel impact ses problèmes de santé, qui l’ont fait « disparaître » pendant quelques temps de la scène politique, ont-ils eu sur sa popularité ?

Dario Rodriguez : Sa baisse de popularité, qui dure depuis déjà un an, n’est pas liée à ses problèmes de santé. Cette baisse s’est clairement exprimée lors de la défaite gouvernementale aux élections de mi-mandat, en octobre dernier : car si le gouvernement a conservé sa majorié, il a en effet vu l’opposition rafler les cinq provinces les plus importantes du pays. Cette baisse de popularité est en fait surtout liée à l’augmentation des prix, à l’inflation, à l’incapacité du gouvernement à contrôler les variables macroéconomiques, aux problèmes de gestion gouvernementale, aux dénonciations de corruption du gouvernement etc. Des problèmes que le kirchnérisme affronte depuis un bon moment.

JOL Press : Que représente aujourd’hui le kirchnérisme ?
 

Dario Rodriguez : Le kirchnérisme est un projet politique de sortie de cette crise terrible à laquelle l’Argentine a dû faire face à partir de 2001. C’est un projet qui a vraiment séduit une très grande partie de la population, notamment la classe moyenne, jusqu’en 2007. Après le départ de Néstor Kirchner et l’arrivée de sa femme Cristina à la tête du pays, les relations entre le kirchnérisme et la classe moyenne se sont compliquées. Quand Cristina a commencé son premier mandat, la crise du secteur agricole a éclaté. Elle a ensuite réussi à récupérer sa popularité après la mort de Néstor, en 2010, mais aussi grâce à l’établissement d’un certain nombre de mesures populaires auprès des classes moyennes.

Un ensemble de lois dites progressistes, comme la légalisation du mariage homosexuel, ont été bien accueillies par une majeure partie de la population et ont contribué à la réélection de Cristina en 2011. Aujourd’hui, on est dans une situation où le bilan du kirchnérisme, au niveau socio-économique, reste assez positif (diminution de la pauvreté et du chômage) mais avec des problèmes à court et à long terme (surtout l’inflation et l’insécurité). Ce sont les deux grands problèmes inscrits à l’agenda public aujourd’hui en Argentine.

Le kirchnérisme est encore une grande force nationale installée dans toutes les provinces – il a encore la majorité au Parlement. Face à lui, l’opposition est complètement fragmentée. Mais c’est peu le même schéma qu’en 2009 : le kirchnérisme perd du pouvoir, et l’opposition reste très divisée. La grande différence avec 2009, c’est qu’aujourd’hui, Cristina ne peut plus se représenter et Néstor Kirchner est mort… Comment le kirchnérisme va-t-il pouvoir affronter ce nouveau défi qui l’attend en 2015 ? La question reste posée.

JOL Press : Malgré les divisions, quelles figures de l’opposition pourraient gagner suffisamment de terrain pour espérer prendre la tête du pays en 2015 ?
 

Dario Rodriguez : Pour l’instant, la figure de Sergio Massa, député dans la province de Buenos Aires (province-clédans le jeu politique puisqu’elle recense 38 % des 41 millions d’habitants), sort du lot. C’est un ancien membre du gouvernement qui a fait partie du cabinet Kirchner en 2008-2009 avant qu’il ne rencontre des problèmes avec la partie « dure » du kirchnérisme. Il a alors décidé de quitter le gouvernement et de former sa propre force politique en juin 2013, le Frente Renovador (FR).

C’est un exemple, comme on en a eu déjà beaucoup ces derniers temps sur la scène politique argentine, d’une figure assez populaire, auprès des secteurs indépendants et de la classe moyenne. Ayant une stratégie très pragmatique, il a établi des accords avec des péronistes ou des partisans de centre-droit. La possibilité pour lui de gagner du terrain dépend surtout de sa capacité à aller au-delà du territoire de la province de Buenos Aires et surtout à rétablir des alliances avec les péronistes non kichnéristes, c’est-à-dire ceux qui ont en fait quitté ou abandonné les projets kichnéristes. Cela dépendra aussi beaucoup de l’évolution de la situation économique actuelle et de la popularité du gouvernement.

Mis à part la figure de Sergio Massa, il existe d’autres forces du centre-gauche, qui sont dans une situation assez fragmentée et ont une présence très localisée (dans la région de Santa Fe, dans la capitale fédérale, mais pas au-delà  de ces territoires). Les défis, pour l’opposition, c’est de réussir à construire un projet à long terme, de réussir à s’articuler et à établir des alliances, et de permettre en ce sens-là l’alternance en Argentine.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Dario Rodriguez est diplômé en science politique à l’Université de Buenos Aires (Argentine) et docteur en science politique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Science Po). Il est docteur associé au Centre d’Etudes et Recherches Internationales, enseignant vacataire en Histoire de l’Amérique latine au Collège Universitaire de Sciences Po, et membre du bureau de l’Observatoire Politique de l’Amérique latine et Caraïbes (OPALC). Ses recherches portent notamment sur l’analyse des leaderships présidentiels en Amérique du Sud

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