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Dette mondiale: «Une telle hausse est unique dans l’Histoire»

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JOL Press : Une telle explosion de la dette mondiale, dans un laps de temps aussi bref, a-t-elle déjà été constatée  par le passé ? Est-elle une conséquence inéluctable de l’effondrement du système économique ou financier (comme ce fut le cas en 1929 ou en 2008) ?
 

Jean Andreau : Je ne crois pas qu’on ait déjà assisté à une telle progression. Il faut dire aussi que cette dette mondiale – qui comprend la dette des États et celle des entreprises – n’a pas été calculée depuis longtemps. D’ailleurs, avant le 20ème siècle, de tels chiffres n’existaient pas. Néanmoins, je ne m’avance pas beaucoup en disant que non, une telle augmentation est unique.

Quant au lien avec les crises économiques mondiales, il est important de replacer chaque épisode dans son contexte. Crise économique et envol de la dette sont liés par la façon dont a traité cette crise. L’endettement est plus le résultat du remède à la crise que de la crise en elle-même. L’endettement mondial actuel s’est ainsi vu impacté par les plans de relance et les politiques d’austérité. La situation après la crise de 1929 n’avait donc rien à voir.  

JOL Press : Peut-on cependant comparer la situation mondiale d’endettement actuel à une autre époque, comme les années 1930 par exemple ?
 

Jean Andreau : C’est en effet possible, puisque les deux guerres mondiales ont généré une forte dette publique. Beaucoup plus forte, par rapport au PIB, qu’aujourd’hui, pour les pays qui étaient alors en guerre. Les guerres de la Révolution et de l’Empire avaient produit, elles aussi, cet effet en France. La dette pouvait alors dépasser les 200 % du PIB de la France.

JOL Press : Comment la dette s’est-elle résorbée dans ces cas de figure ?

Jean Andreau : En premier lieu, par l’inflation. En outre, ces conflits furent suivis d’une très forte reprise de l’activité économique, liée principalement à la reconstruction. La croissance a ainsi augmenté les revenus de l’État, alors que l’inflation réduisait le poids de la dette.

L’inflation est donc la solution qui a prévalu, et ce dans un passé assez récent. Dans le cas des deux guerres mondiales, cette solution a fait ses preuves. Elle n’a pas bloqué la reprise de la croissance, alors qu’on pouvait justement s’y attendre. L’inflation post-Seconde Guerre mondiale n’a pas empêché la forte croissance des Trente Glorieuses.

JOL Press : Comment se met en route ce processus d’inflation ?
 

Jean Andreau : L’inflation est une hausse générale des prix qui peut dépasser les 10 %. On parle alors d’inflation à deux chiffres, comme cela fut le cas en France dans les années 1970. Ceux, par exemple, qui ont acheté un appartement à cette époque ont gagné beaucoup avec l’inflation générale.

Quant aux décideurs, il s’agit logiquement de tout l’appareil des entreprises qui forment un tissu économique. Ce ne sont donc pas les gouvernements qui la mettent en place. Au contraire, ces derniers ont toujours cherché à lutter contre la hausse des prix. Sous la IVème République, limiter l’inflation était une des priorités du gouvernement.

JOL Press : L’effacement – total ou partiel – de la dette a-t-il déjà été mis en place pour endiguer son accroissement ?

Jean Andreau : Effectivement, l’effacement partiel est assez courant. C’est d’ailleurs ce qui se passe actuellement, dans les faits, pour la Grèce.

Cependant, il n’existe pas de solution miracle. Nous devons tirer deux leçons du passé, afin de résorber le gouffre d’aujourd’hui. La première est que nous ne pouvons plus, comme ce fut le cas au 20ème siècle, raisonner en dehors du cadre mondial.

En outre, on ne doit pas séparer ce chiffre de celui de la dette privée (ménages, particuliers…). Les deux ne sont pas forcément corrélatifs. L’endettement en Afrique, par exemple, est assez faible en ce qui concerne la dette publique. Une proportion énorme de cet endettement relève des dettes privées.  

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Jean Andreau est un historien français, spécialiste des questions économiques. Ancien élève de l’École normale supérieure,  il enseigne aujourd’hui à l’École des hautes études en sciences sociales. 

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